mardi 13 décembre 2011

Indécision 2012

Jamais, me semble-t-il, le paysage électoral n'a semblé plus flou, plus indéterminé à quelques mois d'une élection présidentielle. À une exception près : François Hollande reste largement favori pour le second tour. Mais les pronostics de second tour souffrent tous de négliger le premier, et c'est lui qui oriente la partie la plus longue de la campagne présidentielle.

Nicolas Sarkozy bénéficie incontestablement du contexte de crise européenne, qui met en avant sa réactivité et son dynamisme. Cependant, une épée de Damoclès est suspendue sur sa tête : la perte du triple A, difficile à éviter, ne pourra pas apparaître autrement qu'un échec pour le gouvernement. D'autre part, la montée de François Bayrou dans les sondages (dont la possibilité était envisagée dans le dernier post de ce blog, un peu d'autosatisfaction ne fait pas de mal) peut être embarrassante pour lui, parce qu'elle révèle non pas tant une adhésion forte au projet du président du Modem que le fait que beaucoup d'électeurs de droite modérée ne peuvent pas voter pour le président sortant au premier tour : le discours de Grenoble et ses suites, les attaques contre les magistrats les en détournent.

Quid de la candidature de Dominique de Villepin ? C'est pour récupérer le même électorat qu'il se lance, mais sans grand bilan, sans projet clair autre que celui d'apparaître comme un "homme providentiel" (mais à quel titre?), sans parti derrière lui, c'est à un pari risqué qu'il s'adonne. Seule une ruée de jeunes militants et/ou une montée rapide dans les sondages pourrait lui donner une légitimité qui pour l'instant est problématique.

François Hollande n'a pas encore choisi clairement son attitude : faut-il réagir au coup par coup au déroulement de la crise européenne et à la conclusion d'accords, ou privilégier une campagne de fond ? Il lui manque encore une équipe rapprochée, et non pas l'usine à gaz de son dispositif de campagne, pour lui donner du jeu et assumer la réactivité, tout en donnant le sentiment qu'une équipe est prête à prendre en main les affaires de la France. En effet, l'aspiration à un gouvernement d'union nationale, diffuse, est aussi celle d'un gouvernement de fortes personnalités, dont la compétence serait reconnue au-delà de leurs frontières politiques.

Pour l'instant, le candidat socialiste n'arrive pas à éviter une allure de "mouche du coche" qui met en avant les côtés les plus friables de sa personnalité, tout en masquant son potentiel d'homme d'union et de négociateur. La dénonciation d'accords obtenus de haute lutte et dans une contrainte maximale, fuits d'une entente franco-allemande difficile, ne le grandit pas.

Autre inconnue : les deux principaux candidats n'ont pratiquement rien à promettre, tant les caisses sont vides (elles sont en fait plus que vides). Comment l'électorat va-t-il se comporter ? Le vote protestataire, dans ses différentes variantes, et surtout le vote FN et Front de gauche, est-il susceptible d'en bénéficier ?

Pour l'instant, la campagne est étouffée par l'actualité de la crise européenne et de ses multiples rebonds. Les candidats modérés souffrent de ne pas expliquer, depuis l'échec de Valéry Giscard d'Estaing pour la droite, depuis le tournant de la rigueur pour la gauche, en 1982-1983, la nature de la contrainte économique et les marges de manoeuvre qu'elle laisse aux gouvernants ; les candidats contestataires souffrent d'un déficit de crédibilité.

Nous assistons à une course où les faiblesses des uns et des autres sont criantes - renforcées par le fait que chacun, faute d'un projet bien établi, est tenté plutôt de mettre au jour les failles de ses concurrents. Le négatif, somme toute, risque de dominer longtemps cette campagne.

jeudi 24 novembre 2011

Une chance pour François Bayrou ?


Les candidats du PS et de l'UMP ont montré ces dernières semaines, à côté de leurs atouts respectifs, des faiblesses qui paraissent structurelles.

Rappelons d'abord les atouts, qui ne sont pas négligeables.

Nicolas Sarkozy a profité de la crise européenne ; sa réactivité, son énergie peuvent se donner carrière dans un contexte où il faut décider vite, trouver un accord avec l'Allemagne, et montrer que les gouvernants ne se laissent pas balloter sans réagir par les flots de marchés. Il campe ainsi sur des positions qui parlent à l'électorat de la droite républicaine : le pragmatisme et le souci de réalisme.

François Hollande a montré qu'il n'était pas prisonnier de ses alliances, en se montrant ferme dans les négociations avec les écologistes, et quand bien même Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages, il reste largement en tête des intentions de vote au second.

Les faiblesses tiennent à la difficulté pour les deux candidats de se dégager de leurs errements traditionnels.

À droite, la réaction au meurtre horrible du Chambon-sur-Lignon est caricaturale. Alors que la question posée est bien celle des responsabilités personnelles des uns et des autres, et en particulier du chef d'établissement qui, semble-t-il, n'a pas voulu recevoir des informations capitales pour la décision d'admettre ou pas dans son établissement l'élève incriminé, on réagit en bricolant une loi à la va-vite, comme si la loi était magiquement le remède aux défaillances des individus. Ce n'est ni sérieux, ni, à mon sens, estimable. Les faits divers épouvantables ne sont pas des occasions politiques ; les lois, si on veut qu'elles soient équilibrées et applicables, ne s'improvisent pas sur un coin de table.

À gauche, le positionnement de campagne de François Hollande reste hasardeux. L'organigramme de son équipe de campagne est surréaliste ; on trouve une usine à gaz là où on pouvait attendre une équipe resserrée, avec des champs clairement définis pour chacun, et qui pourrait laisser présager ce que serait un futur gouvernement. Et le candidat ne parvient pas à s'empêcher de jouer les mouches du coche en commentant à chaud les négociations européennes, sans être encore porteur d'une alternative crédible.

Quant au centre, depuis le retrait en rase campagne de Jean-Louis Borloo, aucune candidature alternative ne décolle - et cet espace reste, finalement, libre pour François Bayrou.

Tenace, courageux, celui-ci s'est isolé et n'a pas réussi à construire un véritable rassemblement politique ; mais les Français le connaissent, et sa critique globale du système politique, quand bien même elle l'a éloigné de la tradition centriste, moins portée ordinairement aux jugements tranchés, peut trouver un écho en cette période de crise. Surtout, il pourrait reconquérir un électorat de centre droit qui peinera à voter pour Nicolas Sarkozy au premier tour, et peut-être aussi des électeurs écologistes modérés ne se retrouvant pas dans le radicalisme verbal d'Eva Joly.

Le terrain est cependant loin d'être dégagé pour lui. Il ne peut plus compter sur un engouement de la jeunesse comme en 2007, parce que l'effet de nouveauté ne jouera plus en sa faveur. Il lui faudra aussi pondérer son discours renvoyant systématiquement dos à dos la gauche et la droite, et passer d'une condamnation globale à une évaluation critique du bilan de Nicolas Sarkozy. La réforme constitutionnelle de 2008, par exemple, ne peut laisser les centristes indifférents.

Surtout, il lui faudrait, peut-être en s'appuyant sur des hommes comme Jean Arthuis, renouer des liens avec les autres centristes et avec des figures de la droite modérée. Après l'hyper-présidence, nombre d'électeurs attendent une équipe et un chef d'équipe. François Hollande tardant à s'engager dans la voie de la constitution d'une équipe crédible, il y a là, incontestablement, "un coup à jouer". Mais il faut pour cela sortir de l'isolement.

samedi 19 novembre 2011

De la guerre du feu à l'actualité politique


J’habite actuellement dans une maison en travaux, donc en partie ouverte sur l’extérieur. C’est un enjeu de fermer certaines pièces, alors que, la nuit, le froid tombe sur la plaine. C’est curieux, mais on retrouve alors des plaisirs élémentaires dont bien des gens sont encore privés. Manger chaud, être à l’abri du froid et de la pluie. Et peut-être, derrière, une grande vérité politique.

L’humanité est depuis la nuit des temps confrontée aux mêmes ennemis. Le froid, la nuit menaçante, la maladie, la faim, la mort. Tout cela, c’est la nécessité. On l’oublie quand tout va bien, mais elle revient régulièrement frapper à notre porte.

Produire, extorquer à la nature ce qu’elle n’était pas prête à nous donner. Le passage de la chasse à la cueillette à l’agriculture et l’élevage. Quand le vent nocturne souffle, je repense à la première lecture qui m’aie vraiment transporté, La guerre du feu de Jean Rosny-Aîné. Je ne parle pas du film, tristement anthropologique, et alimentant le simplement le frisson rétrospectif des modernes. Le livre était enthousiasmant ; cette tribu menacée par la perte du feu qu’elle ne savait pas encore produire, envoyant des guerriers en quête de cette ressource rare. Et ceux-ci apprenant des autres ce qui leur manquait, faisant même au passage alliance avec des animaux supérieurs. Et reconquérant un avenir évanoui.

Et puis, cela se terminait en un combat opposant les deux équipes parties à la recherche du feu manquant. Ceux qui l'avaient trouvé devaient lutter pour ne pas se faire déposséder de leur trouvaille, et recueillir, dans le clan, le prestige qui leur revenait.

Plus tard, la nécessité est devenue économique : les contraintes de la production et de l'échange ont pesé sur nous. L'idée d'un monde où le politique aurait commandé l'économique est un mythe; le pouvoir a eu maille à partir avec cette nécessité, et s'en est débrouillé comme il pouvait. La lutte est devenue en partie concurrence, sans que la guerre ni la lutte pour le pouvoir ne disparaissent.

Tout est dit : la lutte contre la nécessité, la lutte des hommes entre eux. Les deux choses qu’une conception naïve de la politique commence précisément par évacuer, les deux fatalités que nous devons connaître (et non pas nier) pour les surmonter. Et l’avenir qui ne se rouvre que si hic et nunc, nous les surmontons.

Derrière l’opacité d’une société complexe, d’une actualité multiforme, j’ai le sentiment que ce sont toujours ces deux choses que nous devons retrouver : ce qui est nécessaire, et ce qui pacifie – ou ce qui limite la lutte au strict nécessaire. Qu'il y a là une vieille contrainte, qui accompagne l'humanité depuis le début de sa marche, si nous ne renonçons pas à l'idée d'une marche commune de notre espèce.

Chaque fois que nous nions la nécessité, la bête nécessité de produire, chaque fois que nous devenons inconscient du progrès conquis sur la nature - parfois en faisant alliance avec elle, belle dimension, mais pas la seule - nous reculons. Chaque fois que nous remplaçons la nécessité par la lutte politique, que nous imaginons que rien d’extérieur à l’humanité (ou à la société) ne pèse sur elle, que « tout est politique », nous reculons.

dimanche 6 novembre 2011

Vieux débat sur la liberté d'expression

Les fils de discussion qui se multiplient sur la toile depuis l'attentat contre les locaux de "Charlie-Hebdo" donne, à les parcourir, un sentiment étrange. On a l'impression de se retrouver face à trois strates différentes, qui affleurent ici où là mais possèdent une forte continuité.

La première strate, c'est l'attachement à la liberté d'expression. Il y a là une révolte qui se comprend facilement : les auteurs de l'attentat tentent de faire taire un organe de presse par l'usage de la force brutale. On ne va pas discuter, on intimide. Le refus de ce genre de procédé rallie aisément une majorité, et c'est heureux.

La seconde strate, c'est la question du respect de l'Islam, et plus généralement la question de l'attitude à avoir face aux religions. Peut-on ridiculiser les croyances de nombreux Français, qu'il s'agisse du catholicisme et de l'Islam ? Ici, la polémique internet est beaucoup plus âpre, et elle dérape facilement de part de d'autre. D'une part, on en vient vite à l'injonction d'un respect obligatoire (et si on ne s'y soumet pas, cela légitimerait d'une certaine manière la violence) et d'autre part, on voudrait ajouter un texte de loi spécifique sur la liberté du blasphème.

La troisième strate, c'est l'affrontement intercommunautaire pur et dur. Catholiques et musulmans jouent alors à savoir qui est le plus stigmatisé, qui réagit avec le plus de dignité... Les libres-penseurs, comme on aurait dit sous la IIIème République, estiment que les religions sont trop visibles. Ici, l'affaire "Charlie-Hebdo" devient purement et simplement un prétexte pour que les différentes familles spirituelles et philosophiques poursuivent leurs affrontements - d'ailleurs pas toujours dénués de sens.

Je crois que le problème est que l'on confond un problème lié à la loi et un problème lié aux mœurs. On pourrait reprendre ici l'idée de Montesquieu : ce qui régule notre vie publique, c'est à la fois la loi et les mœurs, ce qui relève du droit, et ce qui relève, en dernière analyse, de la "morale" ou de l'éthique. Plus un pays est libéral, et moins la loi mêle de réguler les mœurs.

La première strate concerne la loi. Ici, il faut être inflexible. Nulle action violente n'est tolérable contre une opinion, un dessin de presse, un article. C'est une des plus belles conquêtes de l'Etat de droit que les débats d'idées restent des débats d'idées. La loi prévoit d'ailleurs (quoi qu'on en pense) des possibilités de recours contre certains propos, rien n'empêche de les utiliser.

La seconde strate concerne les mœurs. Est-il bon ou utile de chercher à choquer ? Est-il bon ou utile de faire des amalgames ? L'humour a-t-il une valeur absolue, qui permet tout ? Est-ce qu'on s'attaque aux faibles ou aux forts quand on tourne en dérision telle ou telle religion ? Ces questions sont bien sûr particulièrement vives quand il s'agit de Charlie-Hebdo, qui "fait dans la provocation". La provocation est-elle ou nous responsable de la violence qu'elle suscite ? La cherche-t-elle pour se légitimer ? La loi ne fournit pas, et c'est heureux, de réponse à ces questions, et si elle cherchait à le faire, nous ne serions plus dans une démocratie libérale.

La troisième strate renvoie à ce qu'on appelle le "communautarisme". En France, le terme est, somme toute, une insulte. Dans le monde anglo-saxon, le communautarisme est un courant de philosophie politique, une sorte d'extension du libéralisme aux communautés, qui devraient être collectivement respectées, et dont le principal souci du législateur serait d'assurer leur harmonieuse coexistence. Ce communautarisme se heurte à plusieurs difficultés : les communautés veulent-elles coexister ? La valorisation des communautés, n'est-ce pas la renonciation à la protection de l'individu ? Enfin, la cohésion de la communauté nationale n'est-elle pas menacée par le communautarisme ?

Je crois que si l'on ne distingue pas ces trois strates, le débat devient toxique et dérape facilement. Comme si nous n'avions le choix qu'entre l'approbation inconditionnelle de la vision de l'Islam (et des religions) diffusée par Charlie-Hebdo et la légitimation honteuse du fanatisme, présenté comme la réaction de pauvres victimes innocentes. Comme si notre vision de ce que devrait être le débat sur les religions, ou notre vision des religions, devait avoir force de loi.


mardi 1 novembre 2011

post-scriptum grec

La situation grecque est potentiellement révolutionnaire. Le gouvernement vient de perdre tous ses appuis extérieurs sans gagner aucun nouvel appui intérieur. Et s’il ne démissionne pas très vite, tout cela peut devenir incontrôlable.

Face à cette situation nouvelle, la position de tous ceux qui contestent le « système » n’est pas renforcée mais fragilisée. Ils n’ont aucune proposition pour traiter la crise différemment et ne sont pas prêts à prendre le pouvoir en profitant de la crise.

Et derrière, une vraie question : faut-il directement consulter les citoyens dans une situation d'urgence ? Les dirigeants ne doivent-ils pas d'abord prendre leur responsabilité, et prendre le risque d'être ensuite désavoués ? Le référendum est-il une formule magique ou un abandon de la nation à l'opinion ?

Le gouvernement français actuel se trouve à la barre en pleine tempête. Position périlleuse, mais qui peut lui permettre de retrouver, au moins temporairement, une certaine crédibilité. La réactivité de Nicolas Sarkozy pourrait trouver là un terrain favorable.

Le parti socialiste, quant à lui, a une bonne occasion de montrer s’il est prêt à gérer les affaires de la France. Sa prise de position est pour l'instant un peu décalée, il me semble qu'il pourrait sans péril soutenir ponctuellement les efforts franco-allemands, tout en se réservant de juger le résultat ; François Hollande devrait intervenir plus personnellement. Les heures décisives ne sont pas celles où l'on fait campagne, mais celle où l'on se situe.

L’histoire est en marche, et avance aussi par des décisions hasardeuses, qui involontairement posent le doigt où cela fait mal : en l’occurrence le manque de gouvernance de l’Europe !

No, We Can't !

François Hollande a eu beau évoquer le réenchantement d'un "rêve français" qui, à mon sens, s'est un peu perdu dans les sables au XXe siècle, il est clair qu'il n'aura devant lui qu'une "marge de promesse" très limitée. Et d'ailleurs, il le sait très bien ; si un de ses proches a évoqué l'idée que le programme du PS, dans la situation actuelle, ne peut être appliqué, ce n'est pas un hasard.

Il a été en partie investi parce que la promesse de la victoire brillait à son front, comme elle brillait en 2006 sur celui de Ségolène Royal, mais peut-être aussi parce qu'avec Manuel Valls il était celui des candidats à la candidature qui promettait le moins de miracles.

Nous allons vers une élection où les candidats des forces de gouvernement, UMP et PS, n'ont rien à promettre, et où, quand bien même ils font des promesses, personne ne croit que la situation européenne actuelle leur permettra de les tenir. Nous allons donc vers une expérience assez rare, qui nous permettra d'avoir la réponse à la question suivante : que font les électeurs quand on ne peut rien leur promettre de façon crédible ?

Comme nous le voyons face à la crise grecque, jamais la gestion des affaires et les forces de l'enthousiasme politique n'ont été plus éloignées. Les gouvernants français et allemand, le FMI s’échinent à improviser des montages viables pour empêcher la faillite de l'euro, tandis que les indignés de tout genre, de manifestation en manifestation, assènent une conviction : la démocratie la plus directe possible serait la panacée à tous nos maux.

Dans la première option, il y a une réalité économique et financière, plus ou moins bien comprise par les gouvernants, qui circonscrit la politique comme "art du possible". Les dirigeants font, avec plus ou moins de compétence, ce qu'ils peuvent faire à un moment donné. La politique est alors l'art d'inventorier les marges de manœuvre dont nous disposons, et d'expliquer comment on va s'en servir par rapport aux objectifs que l'on se donne et aux valeurs dont on se réclame. On cherche finalement plus l'adhésion à des projets précis et des valeurs définies que le rêve.

Dans la seconde option, la réalité est toute entière politique. La prétendue contrainte économique n'est qu'un miroir aux alouettes masquant les intérêts de la classe dirigeante, et dès lors que l'action politique permettra de faire voler en éclat l'illusion de cage que l'on nous a inventée, aucun problème ne nous résistera durablement.

La première option est, des deux, la moins enthousiasmante. Elle a cependant l'avantage de se soumettre en permanence à la discussion : on peut toujours confronter les résultats d'une action politique aux objectifs affichés, et critiquer les décisions prises. Ici, la politique n'est pas le domaine du rêve, elle est celui de la responsabilité. Mais quand nous demandons du rêve, sommes-nous vraiment ce que nous prétendons être, c'est-à- dire les héritiers des Lumières ? Ou sommes-nous de grands enfants pitoyables ?

La seconde option sauve l'aspect exaltant de la politique, elle peut donner à ses tenants un grand shoot d'espérance. Mais il n'y faudra pas regarder de trop près, parce qu'on nous demande tout d'abord de nier la contrainte économique ; l'invocation d'une époque bénie, située dans un passé mythique, ou la politique aurait dominé l'économie, oblige à constater que cet âge d'or rétrospectif n'a jamais existé nulle part (à moins de "réenchanter" le communisme, mais c'est pour le moins une lourde tâche). Ensuite parce qu'on nous demande une foi pascalienne, non seulement dans la faisabilité de la démocratie directe, mais dans la sagesse du grand nombre et la capacité à régler simplement des questions difficiles. Il faut pouvoir se réjouir de la perspective d'un référendum grec...

Jusqu'à présent, les partis de gouvernement et leurs candidats se sont tirés du dilemme par le lyrisme démocratique : tenir un discours de toute puissance alors même que l'on ne propose que des réformes limitées et plus ou moins raisonnables (quid aujourd'hui du "Yes, we can!" d'Obama, ou du "Ensemble, tout devient possible!" de Nicolas Sarkozy?), jouer sur les espoirs et les peurs des contemporains sans trop se lier les mains. La situation actuelle rend cela bien difficile.

Il manquait jusqu'à présent à l'échéance de 2012 sa coloration particulière : la voilà.

mercredi 19 octobre 2011

Un piètre baroud d'honneur


Souvenir des années 1970 et 1980… l’ambiance politique était plus proche de la guerre civile qu’aujourd’hui. Les gens de droite et de gauche avaient du mal à se parler, et, collégien, puis lycéen et étudiant, je n’avais pas encore abordé ces milieux où l’on peut se parler tranquillement entre sensibilités différentes, sans chercher à se convaincre où à remporter je ne sais quelle victoire fictive devant un auditoire promu malgré lui au rang d’arbitre.

Souvenir d’une gauche au pouvoir décevante après 1981, dont, finalement, on ne pouvait pleinement saisir et approuver l’évolution au pouvoir que de l’extérieur, tant elle était imposée par la dure réalité, par la résistance du réel à l’idéalisme inconséquent. D’une embardée à l’extrême gauche pour pouvoir prolonger la fidélité au mythe, et puis d’un ralliement à la droite modérée.

La droite républicaine de l’époque avait bien des défauts, mais elle me paraissait moins sectaire, moins assurée de son bon droit, moins persuadée d’être le « parti des gens bien » que la gauche d’alors. Il y était alors plus facile d’être modéré, libéral au sens le plus profond du terme, de s’intéresser au « camp d’en face », à son évolution. Alors même que la gauche découvrait enfin Raymond Aron, on l’y appréciait depuis longtemps. Pour un intellectuel, il semblait y avoir là plus de liberté, plus de souplesse, plus de relativisme, quand bien même les leaders y étaient souvent décevants.

Des ponts intellectuels s’y tissaient avec le centre gauche, qui redécouvrait le patrimoine démocratique et si bien sûr, comme dans tous les camps, il y avait une arrogance, celle-ci semblait justifiée par la longue lutte contre le communisme, qui semblait encore redoutable sur le plan international alors qu’il achevait de se déliter.

Bref, on pouvait se montrer modéré et large. J’ai l’impression aujourd’hui que ce temps n’est plus.
Le feu d’artifice de Nicolas Sarkozy, qui a commencé par rassembler toutes les sensibilités de la droite républicaine pour les jeter dans une action confuse, même si ici ou là elle n’est pas sans mérite, a eu sur ce milieu un effet délétère que nous mesurons aujourd’hui.

Face au succès (il faut bien commencer par le dire !) des primaires socialistes, qui investissent largement après un débat de bonne tenue un candidat que l’on aura du mal à faire passer pour un dangereux révolutionnaire ou un irresponsable, on attendait une autre réaction de l’UMP.

Aurait-il été si compliqué de dire en substance : « Nous nous réjouissons de voir que la gauche de gouvernement a pu débattre, désigner son candidat, mobiliser son camp, parce que nous aimons la démocratie. Nous félicitons François Hollande de sa victoire. Il est bon pour nous, et pour le débat politique à la qualité duquel nous sommes attachés, d’avoir face à nous un candidat de qualité. Demain commence une nouvelle étape : nous allons débattre projet contre projet, et faire valoir contre lui nos arguments » ?

Les réactions hargneuses, et, pour tout dire, sans fair play ni classe, de Jean-François Copé ou de Christian Jacob, la réaction crispée de François Fillon, l’attaque sur le champ et sans contre-proposition du projet socialiste, la reprise sans vergogne des attaques de Martine Aubry contre François Hollande, tout cela est pitoyable. Réaction de mauvais joueurs, d’enfants jaloux, d’entêtés qui ne peuvent se résoudre au démenti de leur prévision d’une primaire catastrophique pour le PS.

Complaisance sectaire dans le négatif, tout en expliquant le projet présidentiel n’est pas encore au point, attaque prématurée et contreproductive… tout cela donne une impression de vide idéologique et de fébrilité. Quitte à être antipathiques, il faudrait au moins être efficaces.

Mise en ordre du bilan, édification de nouveaux projets, définition d’une ligne pour la campagne ; si l’on n’a pas fait tout cela, il ne reste qu’à taper sur le « camp d’en face ». Mais qui cela peut-il convaincre ?

La droite républicaine ne peut exister que si elle incarne un certain réalisme, le souci de l’unité nationale et le respect pour les institutions qui garantissent le libre débat dans le pays. Cela n’est praticable qu’en avançant ses propres propositions. Même ainsi, la défaite est possible, et même probable. Mais pourquoi anticiper celle-ci en se jetant dans une offensive de mauvaise foi, désespérée et inopportune ?

La droite d’aujourd’hui devient progressivement irrespirable pour les modérés qui n’y pèsent plus et n’arrivent même plus à inspirer aux débats une tonalité apaisée. Émiettés, sans candidat crédible, qu’ont-ils à faire dans une campagne qui s’annonce nauséabonde ?


lundi 10 octobre 2011

9 leçons de la primaire

La première : la mobilisation est indéniable et réjouissante : les électeurs sont au rendez-vous quand on leur demande de s’informer en suivant les débats et de prendre parti entre divers candidats.

La seconde : jusqu’à présent, les candidats ont montré un respect mutuel qui donne une image positive de la politique comme échange d’arguments, et leur performance indique que la gauche a un bon réservoir de leaders de qualité.

La troisième : il faut aller chercher l’électeur, proposer, aller de l’avant et prendre des risques ; l’abstention prudente et bonhomme de François Hollande lors de ces débats ne lui a pas profité.

La quatrième : sans doute, deux millions d’électeurs et demi, c’est un succès. Cependant, 5% du corps électoral, c’est assez peu par rapport à l’ensemble de l’électorat et même de l’électorat de gauche. Si le résultat du second tour et serré, l’investiture apparaîtra tout de même assez maigre.

La cinquième : l’électorat qui s’est déplacé n’a pas permis de surmonter les clivages socialistes, et de ce point de vue la primaire n’est pas une formule magique. Les socialistes restent divisés entre les tenants de l’ « à gauche toute contre la mondialisation » (le camp du « non » de 2005), les identitaires qui pensent que le PS peut rester sur les fondamentaux de l’ère Jospin, et les sociaux-libéraux qui estiment que la mondialisation implique une modification des politiques publiques. On aura reconnu les lignes Montebourg (peut-être Montebourg-Royal, Aubry et Hollande-Valls).

La sixième : les primaires n’ont pas permis une mise à jour du programme socialiste et ne sont pas le lieu où l’on peut proposer des mesures neuves. Chacun y joue sa partition, avec certains effets de surenchères (les méchantes banques, par exemple). Rien ne garantit donc que le plus de démocratie améliore mécaniquement l’offre politique.

La septième : les sociaux-libéraux et les identitaires ne doivent pas surestimer l’adhésion qu’ils ont reçue. En grande partie, celle-ci provient d’une promesse de victoire brillant au front de leurs candidats, victoire contre Nicolas Sarkozy. En cas d’investiture et de victoire, l’élan de l’opinion vers eux sera peu durable et peu solide.

La huitième : si Arnaud Montebourg avec succès et Manuel Valls avec peu de réussite ont su délivrer un discours clair, les deux principaux candidats n’ont jusqu’à présent proposé aucune nouvelle mesure saillante ; Il est difficile de dire si c’est faute d’en avoir élaboré avec leur entourage ou s’ils les tiennent en réserve pour le second tour ou pour la vraie campagne présidentielle.

La neuvième : la primaire ne remplace pas le travail au sein des partis politiques ; le programme socialiste, avec son sérieux et ses limites, est resté la base sur laquelle les deux leaders ont travaillé. L’inconvénient et qu’il était synthétique, quand bien même il marquait une intégration par le PS de la culture de gouvernement.

dimanche 9 octobre 2011

Un succès démocratique et ses limites

La démocratie se nourrit de la participation citoyenne et des débats d’opinion. De ce point de vue, la mobilisation de l’électorat de gauche autour des primaires socialistes est encourageante. Mais s’en tenir à cet aspect des choses, c’est n’avoir de la démocratie qu’une vision enchantée, c’est-à-dire postuler que de la mobilisation des citoyens, de la montée du débat et de la volonté d’engagement, les solutions aux problèmes de l’heure vont surgir miraculeusement.

Cette vision est celle de ceux que l’on appelle les « indignés » : d’une démocratie « réelle », donnant aux citoyens le maximum de pouvoir et d’initiative, surgiront des solutions à la crise économique et financière que nous traversons. Le « peuple », dès lors qu’il pourra s’exprimer pleinement, saura résoudre les questions qui nous hantent… ce que croyaient les démocrates enthousiastes des années 1840.

Il me semble que le vécu des démocraties européennes qui ont, pour les plus anciennes, commencé de s’installer au dix-neuvième siècle, suggère une autre vision. Les démocraties apparaissent bien davantage comme les régimes où les initiatives des gouvernants se heurtent au maximum de résistance possible de la part de la population. Grèves, manifestations, alternances politiques, pétitions sont autant d’indication d’une force de résistance de la société civile face à ceux qui la gouvernent, volonté de résistance qui parfois permet d’améliorer ou de rendre praticables les réformes nécessaires.

Quand on demandait à Georges Clemenceau ce qu’était pour lui la démocratie, il disait que c’était le régime où les « initiatives d’en haut » étaient comme « filtrées » par l’opinion pour se convertir en « directives » acceptables par la majorité. Cette vision nous incite à ne pas nous borner à la demande politique, mais à nous tourner aussi vers l’offre politique.

Pour qu’une démocratie fonctionne, pour que le régime politique démocratique parvienne à répondre aux difficultés de l’heure, il faut que l’opinion, qui s’exprime par de multiples canaux, puisse prendre appui, pour les faire prévaloir, pour les infléchir, pour les enrichir ou pour les contester, sur des directives claires.

C’est précisément ce qui manque dans les débuts de la campagne présidentielle de 2012. Les offres politiques claires se trouvent pour l’instant chez ceux qui n’ont soit aucune chance d’être élus, soit aucune chance de devenir candidats : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, et, parmi les « candidats à la candidature » socialistes, Arnaud Montebourg et Manuel Valls.

On excusera le rapprochement qui peut sembler étrange. Mais nul ne sait ce que sera le programme de Nicolas Sarkozy, tandis que les deux principaux prétendants socialistes se sont réfugiés, pour l’essentiel, dans des vues synthétiques, vagues et peu novatrices. Le retrait de Jean-Louis Borloo découle aussi de l’absence d’une perspective claire – et Dominique de Villepin comme François Bayrou en restent à des considérations d’une extrême généralité.

Si la démocratie se nourrit de l’investissement des citoyens, elle ne peut se passer d’un discours politique structuré et clair, et qui ne s’en tienne pas à un simple diagnostic, de la part de ceux qui prétendent à la diriger. Rien n’indique, pour l’instant, que 2012 permettra d’avancer vers des objectifs clairs et cohérents.

dimanche 2 octobre 2011

Déliquescence du centre

Le retrait de la candidature Borloo relève de déterminants à la fois personnels et collectifs.

Personnels, tout d'abord : les centristes vivent actuellement ce que les souverainistes ont vécu de manière chronique. Ils se sont engagés derrière un leader qui n'a manifestement pas la force de caractère, et la capacité à prendre des risques, qui permettent à un homme politique de s'imposer. Les qualités intellectuelles, discursives, humaines de Jean-Louis Borloo, son expérience n'ont pas suffi. Sa capacité à tenir un discours véritablement centriste, et à initier l'éventuel ralliement d'écologistes modérés non plus.

Il ne suffit pas d'avoir un profil. Il faut être prêt à se lancer, y compris quand les temps sont "troublés". Et il faut se sentir responsable de ceux qui se mouillent pour vous, de ceux qui ont pris le risque de se situer, de s'éloigner de leurs amis pour vous suivre.

Les déterminants collectifs ne sont cependant pas à négliger : les centristes demeurent des leaders sans troupes, et cumulent les réseaux de notables inorganisés. Ils n'ont pas travaillé ni vraiment renouvelé leurs thèmes centraux : le libéralisme politique, le "social" (oui, mais comment ? Il semble que la question soit considérable), l'Europe (le souhait de "plus de fédéralisme", à mon sens, ne suffit plus), et la question des alliances n'a pas été suffisamment explicitée.

Je pense que ces déterminants collectifs peuvent servir de base à tous les renoncements.

Maintenant, le retrait de Jean-Louis Borloo va-t-il profiter à Nicolas Sarkozy ? Rien n'est moins sûr. Toute une partie de l'électorat de droite modérée est orphelin. Il aura du mal à se rallier à un autre candidat de gauche que Manuel Valls, pourrait éventuellement suivre François Hollande, à la condition expresse, et pour l'instant non remplie, que celui-ci renonce à être l'homme de la synthèse socialiste. Il irait vers Hervé Morin, mais pas en grand nombre. Peut-être que Dominique de Villepin pourrait en retrouver une bonne partie.

L'inconnue demeure cependant les axes de campagne de Nicolas Sarkozy, et ici le rôle de Bruno Lemaire est déterminant, dans un contexte de déliquescence idéologique profonde de l'UMP. On attend logiquement (avec toutes les limites de la logique en politique) une mise en oeuvre du bilan du quinquennant, délicate du fait de l'aspect touffu et inachevé de l'action gouvernementale, mais la question du projet d'avenir nous projette dans les brumes du mystère.

Non, le retrait de Jean-Louis Borloo ne va pas clarifier les choses. En politique, seuls des projets charpentés et rassemblant un camp, ou au moins une famille politique, apportent de la clarté. Pour l'instant, quand bien même l'intérêt suscité par la primaire socialiste indique un intérêt profond d'une grande partie des français pour le débat politique, rien n'indique que la campagne à venir serait porteuse de solutions nouvelles et/ou de choix décisifs.

mardi 27 septembre 2011

Utopie éducative

Je n’ai pas beaucoup parlé d’éducation jusque-là. Il y a pourtant plus de vingt ans que j’enseigne. J’avoue que cette pratique m’a plutôt radicalisé dans la critique de notre système français, à différence de bien d’autres domaines, et ce malgré la qualité de nombre d’enseignants. Dans l’enseignement supérieur (pourtant en évolution lente depuis quelques années) comme dans l’enseignement secondaire – je laisse de côté le primaire que je connais très mal.

J’ai été frappé ces derniers temps par le débat avorté sur les horaires d’enseignement des professeurs du secondaire qui ne travailleraient « que » 18 heures. Que les critiques préparent 18 heures du cours, nous verrons ensuite. Mais j’ai été tout aussi atterré par la proposition de François Hollande de recréer purement et simplement plusieurs dizaines de milliers de postes d’enseignants, alors qu’il semblait jusque-là, avec Manuel Valls, le plus lucide des candidats de gauche quant à la contrainte budgétaire, dont nous savons qu’elle va encore s’appesantir dans les années qui viennent.

Réduire la question de notre système scolaire à des économies au détriment de la qualité (les deux heures d’enseignement supplémentaire évoquées) ou au simple effet bénéfique supposé de la dépense publique (plus d’enseignants et tout ira mieux) me semble réducteur, pour ne pas dire plus.

Je crois qu’il faut laisser les enseignants tranquilles avec leur quota d’heures. Je ne crois pas qu’un gouvernement sérieux pourra créer beaucoup de postes. Je pense par contre qu’il faudrait s’attaquer à d’autres problèmes.

Nous finançons difficilement et parfois mal un système où les matières enseignées sont de plus en plus nombreuses, avec un enseignement de lycée aux filières lourdes et inutiles (c’est à seize ans qu’il faut savoir si on est « scientifique » ou « littéraire », par exemple, comme si le développement intellectuel s’arrêtait là), et où la part du travail à la maison n’a cessé d’augmenter.

Les programmes d’histoire, pour ne parler que d’eux, demeurent d’une ambition folle, d’une étendue démesurée et d’une visée conceptuelle incroyable. Ils tentent en outre, par le biais d’une méthodologie extraordinaire (qui a jamais écrit quelque chose d’intelligent en se servant de la méthode du « paragraphe argumenté » ?) de donner un « esprit critique » qui ne vient qu’en s’exprimant librement et en confrontant des informations différentes.

L’ambition des programmes, qui ne prend pas en compte l’allongement moyen de la durée des études, et le travail à la maison corollaire ont un effet : accroître la ségrégation sociale. L’explosion des cours et assistances à domicile accentue l’écart entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas faire aider leurs enfants à assimiler les leçons et faire leurs devoirs.

Pour une fois, j’ai envie de proposer quelque chose : réduction des programmes, maintien des enseignants à 18 heures par semaine, suppression du travail à domicile. Des cours le matin. Le travail « à la maison » n’en serait plus : il serait donné à faire l’après-midi, où les élèves travailleraient en groupe, ce qui permettrait aux plus dégourdis dans telle ou telle matière d’aider les autres. Une partie seulement du service des professeurs servirait à faire des cours. Le reste serait d’être, de manière plus souple, en mesure d’aider les élèves, l’après-midi, dans leur travail personnel. Et de nouer ainsi, de manière très simple, un contact personnel avec ceux qui en ont le plus besoin.

Je pense également qu’un professeur qui n’a pas à tenter de faire cours entre 17 et 18 heures à une classe peu (ou encore moins que d’habitude) désireuse de l’entendre serait moins stressé, et vivrait une journée plus humaine.

Le soir, les enfants redeviendraient des enfants, et les jeunes des jeunes, hors du cadre scolaire. Je repense souvent à cette idée. Il m’arrive, moi aussi de caresser des utopies.

dimanche 25 septembre 2011

Horizon 2012


Tout à l'heure, de part et d'autre d'une clôture, sous le soleil, je parlais avec mes voisins. Retraites, déficits, élection... Une chose est frappante : même ceux qui sont plutôt optimistes sur le long terme (nous étions du nombre) sentent mal les années qui viennent. Et ne placent dans l'échéance électorale à venir que des espérances modérées.

Il y a le poids de ce que tout le monde sait : les retraites seront difficiles à financer, la manne publique est largement tarie, et au mieux, on peut espérer que les efforts nécessaires soient justement répartis.

Quelle croix pour les candidats de 2012 ! Pour les candidats qui ont une chance d'être élus, je veux dire. Les autres peuvent tranquillement développer une condamnation globale du "système" et proposer des solutions d'autant plus radicales qu'ils savent bien qu'ils ne seront jamais en mesure de les mettre en oeuvre, ou alors, rêvent-ils, dans une situation tellement bouleversée qu'ils auraient les mains libres.

Comment être élu en disant aux électeurs : vous paierez plus d'impôts, l'Etat devra rogner sur les avantages et aides qu'il vous accorde, et en plus le paquebot tournera lentement ? Oui, il tournera lentement, c'est ce que nous avons appris cette semaine, en voyant que la cure d'austérité sévère infligée au Royaume Uni par David Cameron n'a pas réduit le déficit de l'Etat. Même l'idée d'une potion amère administrée en début de mandat doit être remisée au magasin des illusions pour gouvernants courageux.

Et pourtant... il y a une dure vérité derrière cette situation : le temps où les réformes nécessaires pouvaient être opérées dans une douceur relative, en usant du donnant-donnant, est passé. Tout ce que l'on peut promettre en échange des réformes sera payé comptant, et les rendra, à terme, plus dures.

Ce n'est pas seulement la dette qui est inquiétante : c'est aussi que la croissance française ne soit tirée que par la consommation. Je ne peux m'empêcher de voir là un effet de la composition particulière des "élites" françaises : surdiplomées, développant des fraternités de grandes écoles, un esprit de caste particulier, et ayant opéré une soudure dangereuse entre le monde la décision politique, celui de la haute administration et le patronat des plus grands groupes.

D'où l'indécision chronique caractéristique de la confusion entre administration et politique, le choix d'aider prioritairement les plus grands groupes, et le délaissement des petites et moyennes entreprises. D'où l'utilisation des fonds publics pour se sortir de toutes les impasses politiques provoquées à la fois par l'angoisse des gouvernants et la conviction profonde que les électeurs "ne comprendraient pas".

D'où, depuis les années 1980, la répétition inlassable de "solutions" coûteuses et inopérantes, la procrastination politique érigée au rang d'assurance vie pour des élites persuadées d'être seules compétentes. Il me semble parfois qu'il y aurait un chemin à la fois plus libéral et plus social à trouver, et qu'il commencerait par une prise de distance entre l'Etat et les grandes entreprises. Moins de règlements et moins d'aides à la fois.

Mais cela n'aidera pas les candidats de 2012, qui ne peuvent, finalement, plus promettre grand chose. L'accueil fait à la proposition de François Hollande d'embaucher autant d'enseignants que les postes supprimés par l'actuel gouvernement le prouve : personne n'y croit.

Nous allons donc vers une élection sans promesses, sans grande espérance enthousiasmante. Peut-être, au fond, l'opinion est-elle plus mûre que nos politiques ne le croient ? Ce sera finalement la grande question de 2012.


vendredi 16 septembre 2011

complément sur les primaires

La supériorité oratoire de Manuel Valls et d'Arnaud Montebourg venait tout simplement de ce qu'ils incarnaient chacun une ligne claire, une "gauche" et une "droite" du PS. Mis à part le candidat radical, les autres essayaient de faire une synthèse, ce que l'on comprend.

Cependant, on peut après ce débat avoir une nostalgie : celle de l'organisation du PS de manière plus structurée, entre une majorité et une opposition, porteuses chacune d'une ligne, chacune attendant l'échec éventuel de l'autre pour orienter l'ensemble du parti.

Le débat y gagnerait en clarté, et la gauche, qui a plus besoin que la droite de charpente idéologique (le pragmatisme y étant moins valorisé) en bénéficierait... par ricochet, la droite aussi, qui aurait à fournir un plus grand effort pour se positionner.

Je ne peux m'empêcher de lire aussi cela de manière générationnelle, et de constater que les talents les plus évidents ont décidément du mal à trouver leur place, et en sont réduits à nous donner des regrets.


jeudi 15 septembre 2011

Premier débat




Commençons par les bonnes surprises :

La performance des journalistes, d'abord : nous sommes habitués à des questions agressives, faussement impertinentes et au fond très conformistes. Nous avons vu là la contraire. De vraies questions, souvent audacieuses, et qui servaient à mieux comprendre ce que chaque candidat voulait proposer, à mettre en évidence ses forces et ses faiblesses.

Ensuite, la manière dont se sont comportés les candidats : fermes, courtois, respectueux les uns des autres. Ils ont de ce point de vue donné une très bonne image de leur parti et de sa démocratie interne, alors que l'on pouvait craindre (et que l'on nous avait annoncé) le pire.

Ni François Hollande, ni Martine Aubry, ni Ségolène Royal n'ont surpris. Le premier a tenté, en s'énervant un peu, et en prenant un ton plus tranchant, de montrer qu'il avait la carrure présidentielle. La seconde est restée l'incarnation de quelques poncifs : la dépense publique forcément productive, la possibilité pour les gouvernements de relancer la croissance... sa performance dépendra de la foi des sympathisants socialistes dans ces axiomes. Tout au plus a-t-elle, sur la fin, tenté d'attaquer François Hollande sur la jeunesse et sur le nucléaire.

Ségolène Royal était elle-même en plus apaisé, mais n'a pas créé d'effet de surprise. Ses partisans voteront pour elle ; un élan supplémentaire reste, à mon avis, improbable.

Parmi les "petits" candidats, chacun a joué sa partition également. Arnaud Montebourg plus calme que d'ordinaire, avec un discours très structuré. Jean-Michel Baylet en électron libre au fond dépendant. Manuel Valls... à mon sens, quand bien même il ne disait rien de vraiment nouveau, c'est peut-être le seul qui a pu gagner des points ce soir.

La référence à Mendès-France, explicite, s'imposait. Un discours-vérité, ferme, tranchant, structuré (comme celui de Montebourg : il y a bien une unité générationnelle). Le plus curieux est que ce candidat qui n'est pas favori est le seul à avoir parlé de la France. Le seul a avoir dit qu'il était fier de ce qui s'était passé en Lybie l'après-midi même, et à saisir que la gauche ne pouvait pas demeurer indifférente à un combat mené au nom de la démocratie.

Le seul aussi, m'a-t-il semblé, à parler de vérité. Et à expliquer que réformer n'était pas forcément mettre de l'argent que l'on n'avait pas sur la table. Il y avait aussi, me semble-t-il, une envergure que les autres ne montraient pas.

Pour le reste, mis à part l'hypothèse Valls qui reste très théorique, l'endettement du pays est mal parti. On tape sur les méchantes banques, qu'on voudrait ramener deux cents ans en arrière, en séparant le dépôt de l'investissement spéculatif, sans dire comment. Et puis on allonge des millions qu'on n'a pas. Mais qu'on aura peut-être, si certaines réformes le permettent, ou si on arrivait (comment ?) à relancer la croissance, ce qu'aucun gouvernement n'a jamais fait.

A mes yeux donc, une confirmation : la relative panne d'idée du PS qui est devenu raisonnable aux dépends de sa capacité de proposition. Et deux bonnes surprises : le véritable goût de la démocratie de ce parti, qui n'a donc pas rompu totalement avec la gauche humaniste d'avant François Mitterrand, et la carrure de Manuel Valls.

mardi 13 septembre 2011

La Grèce, l'Europe et les Etats

La question de la Grèce vient au bout de plusieurs coups de semonce. On l’a d’abord analysée à partir de grandes oppositions toutes faites : solidarité européenne contre égoïsmes nationaux, pression des capitaux contre volontarisme politique, population contre gouvernants. Tant que l’on en restait là, chacun voyait son point de vue confirmé part la crise, que tout le monde clamait avoir prévu. C’est une règle du débat politique : la réalité ne s’y fait jour et ne s’y impose que très progressivement.

Comme toute crise, celle-ci est le révélateur d’une autre, ou plus exactement de deux autres. Une crise de l’endettement des États et une crise de la gouvernance européenne.

Je ne reviendrai pas longtemps sur la question de la dette ; au moins cette crise a-t-elle le bon effet d’imposer cette question et d’obliger les uns et les autres à prendre en compte ce problème.

S’agissant de la gouvernance européenne, tous les partisans de l’Europe s’accordent sur le diagnostic d’un déficit de décision. Il est d’ailleurs ancien : quand on y réfléchit bien, il est hallucinant de penser que la Grèce a été intégrée à la zone euro alors que seuls 15% des impôts rentraient effectivement, et qu’il n’y avait pas de cadastre. Le trucage de ses comptes publics est avéré, mails le problème est aussi qu’il n’ait pas été détecté.

Je crois que l’on ne gagne rien à ce propos à s’en tenir à une critique de la technocratie européenne et à pleurer sur l’éloignement de l’Europe et des citoyens.

L’Europe proche des citoyens ? Au risque de décevoir, elle ne l’a jamais été. La construction européenne a avant tout été un rêve de dirigeants et d’éducateurs, de politiques, de fonctionnaires, de professeurs aussi lassés de voir l’Europe s’entredéchirer périodiquement. Il a fallu du courage pour la mettre sur les rails, et même pour la réconciliation franco-allemande. Quand Adenauer et de Gaulle vont ensemble à la cathédrale de Reims, la foule est peu nombreuse et l’enthousiasme mince.

A partir des années 1970, on a voulu démocratiser cette construction européenne, et c’est cette démocratisation qui a mal fonctionné. En 1972, le référendum français à propos de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne bat des records d’abstention ; en 1992, le traité de Maastricht n’est adopté que d’extrême justesse ; et on se souvient de la claque de 2005.

Cela veut dire que si nous avons besoin d’un gouvernement économique européen, ce sont avant tout aux États de se mettre à la tâche, à moins de s’en remettre à une technocratie européenne qui aura bien du mal à imposer quoi que ce soit sans graves secousses. La légitimité démocratique est encore très largement concentrée dans les États nations, qui demeurent un maillon indispensable pour renforcer l’Europe, dans cette construction issue d’un mélange inextricable, et peut-être sage au fond, de logique fédérale et de logique confédérale.

C’est donc dans le combat politique à l’intérieur de chaque État que l’Europe doit redevenir une priorité, et singulièrement chez nous, malgré le traumatisme de 2005. Il faudra procéder dans la campagne présidentielle à une évaluation serrée des bilans et des projets européens.