samedi 19 novembre 2011

De la guerre du feu à l'actualité politique


J’habite actuellement dans une maison en travaux, donc en partie ouverte sur l’extérieur. C’est un enjeu de fermer certaines pièces, alors que, la nuit, le froid tombe sur la plaine. C’est curieux, mais on retrouve alors des plaisirs élémentaires dont bien des gens sont encore privés. Manger chaud, être à l’abri du froid et de la pluie. Et peut-être, derrière, une grande vérité politique.

L’humanité est depuis la nuit des temps confrontée aux mêmes ennemis. Le froid, la nuit menaçante, la maladie, la faim, la mort. Tout cela, c’est la nécessité. On l’oublie quand tout va bien, mais elle revient régulièrement frapper à notre porte.

Produire, extorquer à la nature ce qu’elle n’était pas prête à nous donner. Le passage de la chasse à la cueillette à l’agriculture et l’élevage. Quand le vent nocturne souffle, je repense à la première lecture qui m’aie vraiment transporté, La guerre du feu de Jean Rosny-Aîné. Je ne parle pas du film, tristement anthropologique, et alimentant le simplement le frisson rétrospectif des modernes. Le livre était enthousiasmant ; cette tribu menacée par la perte du feu qu’elle ne savait pas encore produire, envoyant des guerriers en quête de cette ressource rare. Et ceux-ci apprenant des autres ce qui leur manquait, faisant même au passage alliance avec des animaux supérieurs. Et reconquérant un avenir évanoui.

Et puis, cela se terminait en un combat opposant les deux équipes parties à la recherche du feu manquant. Ceux qui l'avaient trouvé devaient lutter pour ne pas se faire déposséder de leur trouvaille, et recueillir, dans le clan, le prestige qui leur revenait.

Plus tard, la nécessité est devenue économique : les contraintes de la production et de l'échange ont pesé sur nous. L'idée d'un monde où le politique aurait commandé l'économique est un mythe; le pouvoir a eu maille à partir avec cette nécessité, et s'en est débrouillé comme il pouvait. La lutte est devenue en partie concurrence, sans que la guerre ni la lutte pour le pouvoir ne disparaissent.

Tout est dit : la lutte contre la nécessité, la lutte des hommes entre eux. Les deux choses qu’une conception naïve de la politique commence précisément par évacuer, les deux fatalités que nous devons connaître (et non pas nier) pour les surmonter. Et l’avenir qui ne se rouvre que si hic et nunc, nous les surmontons.

Derrière l’opacité d’une société complexe, d’une actualité multiforme, j’ai le sentiment que ce sont toujours ces deux choses que nous devons retrouver : ce qui est nécessaire, et ce qui pacifie – ou ce qui limite la lutte au strict nécessaire. Qu'il y a là une vieille contrainte, qui accompagne l'humanité depuis le début de sa marche, si nous ne renonçons pas à l'idée d'une marche commune de notre espèce.

Chaque fois que nous nions la nécessité, la bête nécessité de produire, chaque fois que nous devenons inconscient du progrès conquis sur la nature - parfois en faisant alliance avec elle, belle dimension, mais pas la seule - nous reculons. Chaque fois que nous remplaçons la nécessité par la lutte politique, que nous imaginons que rien d’extérieur à l’humanité (ou à la société) ne pèse sur elle, que « tout est politique », nous reculons.

3 commentaires:

Diane LB a dit…

Je lis et relis les trois derniers paragraphes qui me semblent riches de sens multiples tant les termes "nécessité" mais aussi "retrouver" et "nier" sont porteurs d'ambiguités. Je t'évoquais ailleurs Diderot et l'argument du besoin opposé à son Bougainville. Mais, en fait, nous sommes dans des registres différents. Peux-tu préciser ta pensée profonde ?

Jérôme Grondeux a dit…

Modification faite !

Diane LB a dit…

Merci...