mardi 17 juillet 2012

Petit billet pour l'histoire politique


L’histoire politique est actuellement peu en vogue dans la communauté historienne. Bien des facteurs y concourent.

Tout d’abord, elle semble très traditionnelle, parce que, depuis Thucydide, le pouvoir a été au centre du discours historique. Quand on lit L’histoire des Francs, de Grégoire de Tours, on voit bien que s’y entremêlent des considérations très générales tenant au cadre chrétien de l’Histoire, vu comme une histoire du salut, et aussi comme une histoire où les « bons » sont récompensés et les méchants punis, et un récit très politique, où l’on voit à quel point l’évêque de Tours, héritier des élites gallo-romaines, juge de haut les actions des monarques mérovingiens, suit pas à pas ruses et compromis, et s’attache à l’idée que l’on peut les utiliser pour la « bonne » cause.

Déjà, on mesure que faire l’histoire du politique, c’est faire une histoire orientée vers un « mieux », vers un idéal, et suivre les méandres de manœuvres parfois peu édifiantes. Travailler à la charnière de l’idéal et de la réalité, entre rêve et prosaïsme. Avoir la tête dans la philosophie et les pieds dans l’intrigue. Cela ne gêne pas ceux pour qui l’histoire est une discipline culturelle, et tourmente ceux qui rêvent d’en faire une « science ». Une science qui ne se salirait pas les mains et trouverait dans ses procédures dominées sa propre justification.

Outre ce côté traditionnel, qui peut toujours la faire verser dans l’idéologie ou dans le moralisme, l’histoire politique souffre d’être une histoire de la réflexion, du calcul et de la décision, au milieu de sciences humaines parfois marquées par un déterminisme primaire. Pour ceux qui pensent que les structures socio-économique ou que la « culture » nous déterminent, pour ceux qui en sont restés à une lecture simple du premier Michel Foucault ou de Pierre Bourdieu, le politique n’est qu’une illusion, pas un objet d’étude en soi. On pourrait être tenté par réaction d’écrire une histoire politique « en l’air », faisant bon marché de toutes les déterminations, de toutes les contraintes, qui serait une erreur jumelle, quoiqu’inverse de la précédente.

Pourtant, l’histoire est un outil remarquable d’analyse politique : le poids des situations, des héritages, le choc des projets et de la réalité, la finitude de l’action humaine, la naissance des grandes catastrophes et des belles réalisations, cela mérite d’être replacé dans la profondeur du temporelle.

Toute cette curiosité de l’humain qui fait l’histoire, qui se penche inlassablement sur les rapports complexes entre l’individu et la collectivité, tout ce qui pousse à comprendre avant de juger – on sent bien que cela peut nous mener à une perception moins sectaire, plus pluraliste, plus profonde de notre vie politique.

À l’heure de la communication politique triomphante, je crois que l’histoire politique a aussi une autre mission, celle d’être démythificatrice. L’historien est là pour regarder derrière les slogans et les effets d’image, précisément parce que l’histoire repose sur un souci constant de distinguer le prouvé, le probable et l’hypothétique. De distinguer le fait et l’interprétation. Et, finalement, le possible et l’impossible : cette dernière distinction n’est-elle pas le meilleur des vaccins contre le démagogie ? 

dimanche 1 juillet 2012

La politique française présentée aux Sud-coréens....

Grâce à la bienveillance d'une amie, je présente lundi 2 juillet, à l'ambassade de Corée du Sud, le paysage politique français à une délégation de responsables politiques sud-coréens. Je reproduis ici le texte de mon intervention : c'est amusant de devoir décrire, en termes simples, les caractéristiques de notre vie politique. On ne dit rien de vraiment nouveau, mais les paradoxes et les lignes de force apparaissent plus clairement.


Le paysage politique français est par certains côtés très classique : une droite et une gauche qui, depuis 1981 alternent au pouvoir. Tout au plus peut-on remarquer que cette alternance a été très rapide : depuis 1981, toutes les majorités sortantes ont été battues aux législatives, sauf en 2007. Cette alternance a par contre été très difficile pour le Sénat, qui a été à droite de 1958 à 2011, et n’est à gauche que depuis cette dernière année. Mais la France est clairement une démocratie à alternance, une démocratie libérale.

Par contre, il y a des particularités, comme dans tous les pays, de la vie politique française. La droite est marquée par une tradition particulière, celle du gaullisme. A gauche, le parti socialiste, actuellement au pouvoir depuis les dernières élections, a eu une histoire particulière, qui l’a longtemps contraint à faire le grand écart entre son idéologie et son action au gouvernement. Enfin, si les institutions favorisent la bipolarisation, aucun des partis de gouvernement (le parti socialiste à gauche depuis 1969-1971, l’UMP à droite depuis 2002), ne parvient à représenter vraiment l’ensemble de la gauche ou l’ensemble de la droite.

Rappelons avant de développer ces points particuliers la contrainte institutionnelle : nos institutions de la Cinquième République remontent à 1958, mais en 1962, il y a eu une réforme très importante. Le président de la République, d’abord élu par un collège de 80 000 grands électeurs (donc au suffrage universel indirect) est depuis cette année 1962 élu au suffrage universel direct.

L’élection présidentielle est très vite devenue l’élection la plus importante aux yeux des Français. Cependant, au départ, le mandat présidentiel était de 7 ans, alors que les députés sont élus pour 5 ans. En 1986 et en 1993, l’opposition avait gagné les élections et il y avait eu à chaque fois une cohabitation de 2 ans : le premier ministre et le gouvernement n’étaient pas du même « bord » que le président. En 1997, le président de droite, Jacques Chirac, avait dissous l’Assemblée nationale et la gauche avait gagné. La cohabitation avait duré 5 ans. Au départ, l’opinion avait apprécié le fait que gauche et droite travaillent ensemble, mais rapidement, l’ambiance s’était dégradée. En 2000, les Français ont approuvé par référendum la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans. Les présidentielles précèdent de quelques semaines les législatives, et le risque de cohabitation est moins important.

Deux grands partis de gouvernement, l’UMP et le parti socialiste

Les socialistes ont d’abord été divisés, à la fin du XIXe siècle, en petits groupes, et puis ils se sont unis en 1905 pour former la SFIO, Section Française de l’Internationale Ouvrière, membre de la Seconde internationale. En 1920, ce parti éclate pour donner deux partis : la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste), qui devient le Parti communiste, et un autre parti qui garde le nom de la SFIO, qui refuse de rejoindre le camp communiste.

Officiellement, la SFIO, comme beaucoup de partis socialistes avant le denier tiers du XXème siècle, reste un parti révolutionnaire, où Marx reste une référence, et qui veut collectiviser l’économie. Si les militants de la SFIO ne sont pas communistes, c’est qu’ils sont attachés à la démocratie, et qu’ils pensent soit qu’on peut transformer l’économie dans le cadre de la démocratie, soit que la révolution viendra d’elle-même, plus tard, quand l’économie sera suffisamment développée. Le principal homme politique de la SFIO, Léon Blum, en 1926, avait formulé une distinction très subtile entre « l’exercice » et la « conquête » du pouvoir. La SFIO peut exercer le pouvoir, si le résultat des élections le lui permettent, mais si l’heure de la grande transformation de la société n’est pas venue, elle se contentera de faire une politique sociale sans remettre en question les bases du capitalisme, de l’économie de marché. La « conquête du pouvoir », ce sera plus tard, au moment où se produira la grande Révolution, pacifique ou non, qui changera toute la société. La SFIO au pouvoir sera donc un parti qui fait des réformes en faveur des ouvriers sans changer le système économique, la Révolution est toujours là, mais dans un horizon lointain.

La SFIO va exercer le pouvoir à plusieurs reprises : en 1936-1937, et pendant quelques années de la Quatrième République (1946-1958). Mais les socialistes n’aiment pas cela, et pensent toujours qu’ils risquent d’y perdre leur âme. D’ailleurs, avec Guy Mollet (février 1956-1957) elle se compromet dans la guerre d’Algérie. Marginalisé par le retour de Charles de Gaulle en 1958, la SFIO est mourante en 1969. Elle est remplacée par un nouveau parti, le Parti socialiste, celui qui est au pouvoir actuellement.

Un homme a permis à ce parti de devenir véritablement un parti de gouvernement. Cet homme, c’est François Mitterrand. Il vient du centre, et il a été candidat unique de la gauche aux élections présidentielles de 1965 (les premières au suffrage universel direct) face à Charles de Gaulle. En 1971, il rejoint le parti socialiste et en prend le contrôle au congrès d’Épinay. Pour lui, le Parti socialiste doit viser à conquérir le pouvoir. S’il parle encore de Révolution, s’il veut la « rupture avec le capitalisme », il ne sépare pas cette idée de la victoire électorale et de la conquête légale du pouvoir. Il faut unir la gauche, faire alliance avec les communistes, remporter les présidentielles (ou les législatives, à défaut) nationaliser les plus grandes entreprises, planifier l’économie, donner plus de pouvoir aux syndicats, créer une société d’économie mixte où l’État dominera le marché.

A partir de 1971 et du programme commun de la gauche signé en 1972, les socialistes, qui sont dans l’opposition depuis les débuts de la Cinquième République, ont bien un parti de gouvernement, mais ils n’en ont pas encore une idéologie de parti de gouvernement. Alors que l’économie française s’est ouverte après la Seconde guerre mondiale, ouverture accrue par la construction européenne et le Marché commun mis en place après le Traité de Rome de 1957, les socialistes, pour la plupart, pensent désormais qu’une victoire électorale suffit pour transformer la société.

Quand François Mitterrand devient président de la République en 1981, il y a beaucoup de réformes importantes, comme l’abolition de la peine de mort ou la décentralisation (les départements et les régions sont désormais gérées par des élus) mais les socialistes se heurtent à la réalité du pouvoir. Ils comptaient sur les nationalisations pour changer le mode de fonctionnement des entreprises, sur le plan pour relancer l’économie, sur la relance par la consommation. La relance économique échoue, les entreprises nationalisées sont dirigées comme les autres, la France dépend beaucoup de ses échanges extérieurs, il faut lutter contre l’inflation, le commerce extérieur se dégrade, les dépenses publiques (déjà) pèsent lourd : ils prennent en 1983 ce qu’on a appelé le « tournant de la rigueur ». Ils découvrent qu’ils ne vont pas rompre avec le capitalisme.

Ils ont prouvé qu’ils pouvaient exercer le pouvoir, mais c’est aux dépends de beaucoup de leurs anciennes idées. Le parti socialiste évolue idéologiquement, mais non pas, comme la social-démocratie allemande (qui a changé son idéologie au congrès de Bad Godesberg de 1959) avant d’exercer le pouvoir, mais après, sous la pression de la réalité.

La chute du mur de Berlin, en 1989, marque le début de l’écroulement du communisme en Europe, en 1991, l’Union soviétique s’effondre. Au parti socialiste, on songe même à abandonner l’adjectif de « socialiste ». En 1990, la déclaration de principes du congrès de Rennes reconnaît que toutes les libertés se tiennent, et qu’on ne peut donc séparer la liberté économique des autres. Mais c’est véritablement en 2008, alors que l’actuel président de la République, François Hollande, est premier secrétaire du PS, qu’une nouvelle déclaration de principes du parti déclare que son idéal social est désormais « l’économie sociale et écologique de marché ».

Quand on compare les campagnes socialistes de 1981 et de 2012, on mesure le changement : on invoquait en 1981 le « peuple de gauche », en 2012 la patrie et la République.

La droite française a elle aussi beaucoup évolué depuis les débuts de la Cinquième République. Auparavant, on y trouvait essentiellement les démocrates-chrétiens du MRP (Mouvement Républicain Populaire), parti de centre droit, et la droite républicaine marquée par le libéralisme. Mais une nouvelle force avait fait son apparition en 1947 avec le RPF (Rassemblement du Peuple Français) : les gaullistes.

Le milieu d’origine de Charles de Gaulle est catholique et monarchiste. Lui-même a été marqué dans sa jeunesse par des auteurs nationalistes : le monarchiste Charles Maurras, les républicains Maurice Barrès et Charles Péguy.  Il ne croit pas possible un retour de la monarchie et a retenu des deux derniers la volonté d’un rassemblement national. Militaire, il a cherché en vain pendant l’entre-deux-guerres à faire évoluer la doctrine stratégique de la France pour la préparer au choc avec l’Allemagne, a rencontré beaucoup d’hommes politiques, en a conclu qu’ils étaient en général médiocres, et cela a renforcé sa critique d’une Troisième République jugée trop parlementaire.

De 1940 à la Libération, à la tête de la France Libre, il a fédéré les résistants à l’occupation allemande. De 1944 à 1946, il est à la tête de la coalition qui dirige la nation, mais en 1946, il a démissionné, refusant l’emprise des « partis », les partis politiques qui, à ses yeux, divisent la nation. Au printemps 1946, il a expliqué dans un discours célèbre chez nous, le discours de Bayeux, la République qu’il voulait. C’est un mélange entre un régime parlementaire et un régime présidentiel. Le président de la République devrait être un grand personnage prestigieux, au-dessus des partis, qui ne se contente pas d’être le gardien des institutions, mais donne les grandes orientations nationales, rend les grands arbitrages, en travaillant avec le premier ministre qui lui, représente la majorité parlementaire.
Un proche de de Gaulle, Michel Debré,  son premier ministre de 1958 à 1962, a explicité cela par une formule frappante : « dépolitiser l’essentiel national ». Le président de la République doit incarner l’unité nationale de manière active, comme un monarque en fait, qui ne serait pas qu’un monarque comme au Royaume-Uni.

De Gaulle veut rassembler les Français autour de trois axes :
-          L’unité nationale autour d’un État fort
-          Une politique extérieure de prestige
-          La modernisation pour le progrès économique et social.

Mais il est difficile de se réclamer de l’unité nationale, de vouloir rassembler, dépasser le clivage droite-gauche et de rassembler ses partisans dans un parti. Quand, en 1947, le général de Gaulle avait fondé le RPF (Rassemblement pour la France), il voulait que ses adhérents puissent en même temps demeurer membres d’un  autre parti, sauf le parti communiste (la guerre froide commençait). Mais cela n’avait pas fonctionné, et le RPF, qui a duré jusqu’en 1953, est devenu un parti comme les autres.

Quand le général de Gaulle revient au pouvoir en 1958, et fonde la Cinquième République, il faut bien rassembler ses partisans pour les élections législatives : c’est la fondation de l’UNR, Union pour la Nouvelle République, qui changera de nom plusieurs fois, mais vivra jusqu’en 1976.

Très tôt, on se rend compte que l’espoir d’un rassemblement national tourne court : dès 1959, il n’y a plus de socialistes dans le gouvernement du général de Gaulle. En 1962, les démocrates-chrétiens le quittent à cause de ses réserves sur la construction européenne. L’élection du président de la République au suffrage universel, qui se tient pour la première fois en 1965, accentue et confirme cela : le général de Gaulle n’est élu qu’au deuxième tour, face au candidat unique de la gauche, et en rassemblant essentiellement des voix de droite.

C’est donc un paradoxe : malgré l’action du petit groupe des « gaullistes de gauche », assez marginalisés, le général de Gaulle, qui voulait dépasser le clivage droite-gauche qui n’aimait pas les partis politiques, a donné naissance au parti politique le plus nombreux et le plus organisé de la droite française.

Les gaullistes ont l’habitude de se rassembler derrière un leader sans trop discuter, et la démocratie interne, dans le parti, est très faible. Bien sûr, les gaullistes vont connaître des divisions, des rivalités, mais ils se rassemblent toujours derrière leur chef. Quand, en 1976, Jacques Chirac fonde le RPR, Rassemblement Pour la République, qui succède à l’ancien parti gaulliste et vit jusqu’en 2002, rien ne change de ce point de vue : son autorité sera parfois contestée, mais il gardera toujours un contrôle sur le parti.

Le gaullisme a changé durant cette période : Charles de Gaulle avait accepté le traité de Rome qui fondait le Marché commun européen, mais il voulait une «Europe des nations ». Jacques Chirac, en 1992, est favorable à la ratification du traité de Maastricht, qui mène à la création de l’euro. Les gaullistes étaient plutôt des dirigistes, qui, sans être socialistes, voulaient un État modernisateur impliqué dans la conduite et la stimulation de l’économie : ils deviennent plus libéraux à partir des années 1980. Ceux qui contestent ces virages vont se retrouver dans la mouvance dite « souverainiste », mais ils ne sont jamais parvenus à fonder de grands partis politiques.

En 2002, au lieu du traditionnel affrontement droite-gauche, le second tour de l’élection présidentielle a vu le président sortant, Jacques Chirac affronter non pas son premier ministre socialiste, Lionel Jospin, mais le leader de l’extrême-droite, Jean-Marie Le Pen. Après une facile victoire, Jacques Chirac a cru l’heure venue de créer une nouvelle force politique, qui rassemblerait les gaullistes, les centristes et les libéraux-non gaulliste, l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle, puis Union pour un Mouvement Populaire). Nous verrons que la tentative de rassemblement des droites a échoué, mais il faut noter que les gaullistes sont demeurés dominants dans ce mouvement : il était prévu d’y créer des tendances qui n’ont jamais vu le jour.

En 2004, Nicolas Sarkozy s’est emparé de l’UMP, et cela a été déterminant pour sa marche vers la présidentielle. Aujourd’hui, après l’échec de sa réélection, ce mouvement dominé par les gaullistes se trouve dans une situation inédite : il n’a plus de leader incontesté : Jean-François Copé, qui ene st à la tête, l’ancien premier ministre François Fillon et l’ancien ministre Xavier Bertrand s’affrontent pour le leadership.

Parmi les forces de gouvernement, il en est une qui a quasiment disparu : les centristes. Dans les années 1960, ceux-ci se sont divisés sur la question du soutien à apporter au général de Gaulle. Un homme va les réunir dans une grande formation de centre droit : Valéry Giscard d’Estaing. Venu de la droite républicaine, il a longtemps été ministre des finances, sous de Gaulle et sous le successeur de celui-ci, Georges Pompidou. Après la mort de ce dernier avant la fin de son septennat, en 1974, il a été, avec l’appui de Jacques Chirac, élu premier président non-gaulliste de la Cinquième République. Jacques Chirac est devenu premier ministre, mais les deux hommes ne sont pas entendus, et le premier ministre a démissionné en 1976. Pour contrer le RPR, VGE, qui avait cru pouvoir se rallier durablement les gaullistes, crée en 1978 l’UDF (Union pour la Démocratie Française). Elle rassemble des libéraux, d’anciens démocrates-chrétiens, des radicaux. C’est plus une fédération qu’un parti.

L’UDF, parti de centre droit, ne s’est jamais vraiment remise de la défaite de VGE en 1981, mais elle est restée jusqu’en 2002 un indispensable partenaire des gaullistes. Un homme, François Bayrou, a refusé que les centristes rejoignent l’UMP en 2002. Il a d’abord maintenu une UDF diminuée, misant tout sur une éventuelle victoire à l’élection présidentielle. Déjà candidat en 2002, il se représente aux élections de 2007. Arrivé en troisième position au premier tour, il n’appelle pas à voter au second pour Nicolas Sarkozy, provocant le départ de la plupart des élus du mouvement qui fondent le Nouveau Centre.  Il poursuit le projet de la construction d’un centre indépendant de la droite et de la gauche. En 2012, il ne donne pas de consigne de vote pour le second tour, mais déclare qu’à titre personnel il votera pour le candidat socialiste, François Hollande. Les élections législatives ne donnent que deux députés au Modem.

Les centristes aujourd’hui sont donc principalement partagés entre l’UMP, où ils constituent une minorité, le Nouveau Centre, allié à l’UMP, dont l’audience est assez faible, et le Modem en voie d’extinction. Ils n’ont pas réussi à trouver un candidat aux dernières présidentielles : le radical Jean-Louis Borloo, issu de l’UMP, a renoncé à poser sa candidature, Hervé Morin, du Nouveau Centre, a jeté l’éponge durant la campagne du fait de ses faibles scores dans les sondages, et François Bayrou n’a pas entraîné derrière lui l’ensemble des centristes. Il ne reste donc pas grand-chose de ce qui fut, autrefois, l’UDF.

La résistance au bipartisme et les nouvelles forces politiques

Les institutions de la Cinquième République poussent au rassemblement de la droite et de la gauche et mènent la vie dure aux centristes. Le mode d’élection du président de la République et celui des députés, qui est le scrutin d’arrondissement uninominal à deux tours (sauf un essai de proportionnelle en 1986-1988) favorisent donc nettement le parti socialiste et la droite gaulliste. On le voit bien aujourd’hui où le PS est majoritaire dans toutes les instances nationales. Cependant, ni l’UMP ni le PS n’ont réussi à rassembler l’ensemble de la droite et de la gauche.

En effet, le bipartisme se heurte dans notre pays à une forte résistance. Si les partis de gouvernement acceptent l’économie de marché, s’ils acceptent la construction européenne et la monnaie unique, ils n’ont pas réussi à entraîner l’ensemble du pays dans ce choix. Nous ne nous intéresserons plus ici à la tentative de François Bayrou, finalement héritière de l’ambition première du gaullisme : rassembler la droite et la gauche. Mais à ceux qui, à gauche et à droite, échappent aux grands partis.

À gauche, le Parti communiste a profondément marqué la culture politique française. Il rassemble environ un tiers des électeurs à la Libération. Il a une bonne implantation dans le monde ouvrier, et contrôle jusque dans les années 1970 le principal syndicat ouvrier, la CGT (Confédération Générale du Travail). Et puis, en France, une partie de l’opinion est très attachée à l’idée d’une révolution qui amènerait une vraie égalité, c’est un des souvenirs, avec les droits de l’homme, laissés par la Révolution française. Il a connu un déclin avec la perte d’attraction du modèle soviétique. A partir du milieu des années 1970, il est dominé par le Parti socialiste, et son déclin s’accélère dans les années 1980. La participation au gouvernement en 1981-1984 ne lui a pas profité.
Mais le parti communiste conserve une forte implantation locale (en particulier dans la région parisienne) et des militants. Par exemple, dans la dernière élection présidentielle, il s’est rangé derrière un ancien socialiste, Jean-Luc Mélenchon. Le « parti de gauche » que celui-ci a fondé en 2008 après son départ du parti socialiste a constitué avec le Parti communiste le « Front de gauche ». Il est anticapitaliste, mais se place sur le terrain légal. Par contre, il ne se réclame plus de l’héritage de l’URSS.

Enfin, les années 1960 ont vu apparaître en France, comme dans d’autres pays très développés économiquement, une contestation de la « société de consommation ». Elle a donné lieu d’un côté à un certain renouveau de l’extrême gauche, c’est-à-dire ceux qui étaient plus à gauche que le parti communiste. Ils ont trouvé un leader populaire aux élections de 2002 et surtout de 2007 en la personne d’Olivier Besancenot, mais le parti ensuite lancé par celui-ci, le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) n’a pas rencontré de succès. De l’autre côté, on a vu surgir dans les années 1970 et 1980 une nouvelle sensibilité, les écologistes, qui veulent remettre en question le « système » en se plaçant surtout dans la perspective de la défense de l’environnement. Les Verts ont été fondés en 1984 et ils ont hésités entre deux stratégies : refuser de se situer entre la droite et la gauche (Antoine Waechter) ou s’allier avec le parti socialiste (Dominique Voynet). C’est la seconde qui l’a finalement emporté.
A droite, c’est le Front national qui représente la principale menace pour les partis de gouvernement. Elle gêne beaucoup plus l’UMP que les écologistes ou le Front de gauche ne sont en mesure de gêner le PS, parce que l’alliance électorale avec lui ne semble pas possible.

Le Front national est né en 1972 sous la férule de Jean-Marie Le Pen, dont la fille Marine dirige aujourd’hui le parti et dont la petite-fille vient d’entrer à l’Assemblée nationale. C’est au départ le rassemblement de groupuscules d’extrême droite nationalistes. Il commence à gagner des électeurs dans les années 1980, en prenant position contre l’immigration, contre l’insécurité et en critiquant la les partis de gouvernement. Il inquiète beaucoup la majorité de l’électorat, beaucoup voient alors en lui un parti « fasciste » et, en France, les souvenirs de l’occupation allemande et de la période du régime de Vichy et de la collaboration sont très vifs. Marine Le Pen, président depuis 2011, voudrait en faire un parti de droite populiste, comme il en existe aux Pays-Bas, en Autriche, en Suisse… Elle critique la politique migratoire, les élites, la construction européenne et la mondialisation.

En conclusion, si on regroupe les Français en oubliant la frontière entre droite et gauche, on pourrait dire qu’environ 70 % des électeurs acceptent la mondialisation, la construction européenne, l’économie de marché, et (globalement) les institutions. Et que d’un autre côté, environ 30% des électeurs les remettent en question, soit parce qu’ils veulent avant tout émettre un vote contestataire, soit parce qu’ils veulent effectivement une transformation de la politique et de la société.

Si la frontière entre droite et gauche, entre le PS et l’UMP n’est pas toujours aussi claire que le disent leurs leaders, c’est parce que l’Etat-Providence existe en France depuis 1945. La Sécurité sociale a été mise en place en 1945, théoriquement financée par les cotisations des entreprises et des salariés, en fait, parce que le système est déficitaire, financé en grande partie par l’impôt. Le PS et l’UMP sont en désaccord sur les moyens de financer le système, sur la manière de le réformer, pas sur son existence. Ils sont également d’accord sur l’euro et sur le fait que la France doit rester dans l’Union européenne. Ils s’opposent sur les choix budgétaires, sur le nombre de fonctionnaires, sur le fait d’augmenter les recettes de l’Etat ou de réduire les dépenses. La gauche est un peu plus dirigiste et la droite un peu plus libérale. La gauche insiste un peu plus sur la réduction des inégalités, la droite sur la sécurité… mais tout cela est plutôt, en fait, une question de dosage. Cela ne facilite pas les choix politiques, et rend parfois difficile de mettre en place des réformes courageuses, d’autant plus que les forces de contestation sont parfois vives dans le pays. Mais est aussi la source d’une certaine stabilité.