mardi 20 juillet 2010

Les orphelins de la droite et du centre


Le compte-rendu fidèle (et en sympathie mesurée) de Cécile et le long (et plus critique) commentaire de Robin nous aident à dessiner les contours de la tentative Villepin et à évaluer sa portée.

D’abord, on voit bien ce qui peut faire adhérer, ce qui explique d’ailleurs les 6 000 participants au lieu des 3 000 attendus le 10 juin, et le fait que fort probablement, Dominique de Villepin pourra avoir ses 500 signatures : l’existence d’une sorte de quasi-parti, celui des orphelins du centre et de la droite. Esquissons une typologie de ces orphelins :

Les libéraux tout d’abord : ils sont une des composantes historiques du centre, mais ils ont été séduits souvent, comme le regretté Jacques Marseille, par la rhétorique sarkozyste de la rupture. Le culte du « passage en force » chez les libéraux pourrait sembler curieux, mais il exprime en partie leur désarroi, ancien, face à la démocratie, à son irrationalité. Cette irrationalité les inquiète quand elle est révolutionnaire et donne prise aux « démagogues », et les irrite quand elle est conservatrice alors qu’il leur semble depuis les années 1970 que le vent de l’Histoire souffle en leur faveur. La «rupture », c’était assommer l’opinion, prendre de vitesse la démocratie et les contrepouvoirs. Les libéraux ici oubliaient allègrement Montesquieu pour Milton Friedman, et goûtaient par avance les sombres délices du despotisme éclairé, mais dans une version « soft » où la communication remplace la contrainte brutale. Ceux-là, Bayrou ne pouvait pas les récupérer durablement, quand bien même il a envoyé des signaux vers eux au début de la campagne de 2007, en insistant par exemple sur le problème de la dette. Tout ce qu’il pouvait leur offrir était le goût des institutions et des contrepouvoirs, ce que précisément ils avaient mis entre parenthèses pour soutenir Nicolas Sarkozy.

Maintenant, ils sont disponibles : la « rupture » a été au mieux une inflexion. Au pire, elle s’est perdue dans les sables de l’entre-deux-tours et de la pseudo-technocratie du régime. Qui ira les chercher ? Certes pas François Bayrou, qui a tenté de bâtir son « centre » sur un fondement historique ultra-mince et à vrai dire plutôt inquiétant, celui du rejet jumeau du socialisme et du libéralisme. Dominique de Villepin ? On en reste, Cécile le montre, à un discours de volontarisme politique mâtiné de souci social qui est une marque de fabrique du gaullisme. La célébration de « l’exécutif fort », le recours à « l’homme providentiel », ne peut intéresser les libéraux qu’adossé à un programme de réformes économiques et sociales libérales, ce qui n’est pas le cas ici.
Les centristes sociaux ensuite, héritiers de la démocratie chrétienne version MRP. L’aspect social du discours, le projet, comparable à celui de François Hollande, de relever les impôts peut les séduire chez Villepin, et il le ferait encore plus s’il était associé à l’idée de rigueur dans les dépenses (mais l’ancien premier ministre ne va pas aider ici le gouvernement en adhérant à un tel projet). Chez François Bayrou, ils se sont trouvés noyés par les écologistes, qui finalement vont retourner chez eux en emportant les meubles. Ils gardent cependant une implantation. Comme on le lit dans le dernier numéro de Commentaire, les seuls candidats du Modem qui n’ont pas connu une humiliation complète aux régionales sont issus de leur rang. Ils seront preneurs de tout ce qui semble plus « social » que Nicolas Sarkozy ; par contre, si François Fillon se montre, ils hésiteront à rejoindre franchement Dominique de Villepin. Et il ne faut pas oublier, même si le manque d’un vrai leader se fait ici cruellement sentir, l’existence du Nouveau Centre qui les arrime à la majorité présidentielle.

Ceux-là aussi, d’ailleurs, « l’exécutif fort » doit les tenter modérément. Il y a cinquante ans que les centristes accumulent de la rancœur contre les gaullistes auxquels ils sont par ailleurs obligés de s’allier, et tous les gaullistes ne sont pas Georges Pompidou ou Édouard Balladur pour les séduire. Le style de Dominique de Villepin n’est pas le leur.

Troisième type d’orphelin, les gaullistes. Cécile montre bien comme Dominique de Villepin joue sur les fondamentaux gaullistes. Je crois qu’il le fait à la manière chiraquienne, avec une touche d’auto-enchantement supplémentaire. Et j’adhère pleinement à la remarque de Robin : ce discours n’est pas porteur d’une autre politique. La manière chiraquienne, c’est de faire (sauf en matière de politique extérieure) du discours gaulliste le cache-sexe d’une politique sans initiative se bornant aux réformes strictement nécessaires. Mais les gaullistes sont en fait structurellement orphelins. Ils ont été orphelins du général de Gaulle dès le début des années 1960 ; je l’ai écrit ailleurs, mais la crise du gaullisme est patente dès 1965. J’avoue que je n’attend pas grand-chose d’une mobilisation de ce secteur de l’opinion : le gaullisme demeure principalement une ressource rhétorique, et vaut ce que vaut la crédibilité de celui qui la mobilise.

Du point de vue de Dominique de Villepin, tout cela n’incline pas à l’optimisme. On ne peut passer de la querelle de leadership à la définition d’une ligne politique alternative qu’en fondant un véritable parti ou une tendance à l’intérieur d’un parti. Dans les deux cas, on constitue un réseau. Le talon d’Achille du gaullisme reste la surestimation de ce que peut faire un homme seul entouré de quelques conseillers dans une société complexe et mouvante. Rien dans l’entreprise de Dominique de Villepin, qui ressemble en cela à celle de François Bayrou, ne me paraît y remédier ; mais les éventuels ralliements nous en diront peut-être plus.

jeudi 1 juillet 2010

"L'appel du 19 juin ou la nouvelle prophétie", par Cécile Carpentier


Pour la première fois dans ce blog, je donne la parole à une étudiante journaliste à ses heures, Cécile Carpentier. Elle avait vivement (et amicalement) réagi à mon post sur Dominique de Villepin. Nous avions beaucoup échangé à ce propos ; elle défendait avec talent le projet de l'ancien premier ministre. Elle nous livre ici ses impressions sur la réunion du 19 juin. C'est l'occasion de lancer un vrai débat. Mais commençons par prendre connaissance d'un témoignage qui est tout, sauf béat.



Halle Freyssinet, 15h30, les sympathisants de Dominique de Villepin sont bien présents, et en nombre. L'ambiance est à la fête, car c'est un événement de taille qui se prépare; le relaxé de Clearstream lance son parti politique aujourd'hui, sur fond de Madonna, Black Eyed Peas et Daft Punk.


Avant l'arrivée du leader du mouvement, le cadre est posé, l'heure est au rassemblement et à l'union; il s'agit d'être solidaire et de se battre pour l'égalité des chances. Selon les organisateurs, 3000 personnes étaient attendues, elles seront plus de 6000.


Après deux heures et demie d'attente, Villepin fait son entrée, fracassante, bruyante, et s'offre un bain de foule qui dure. Les premiers mots de son discours seront pour dévoiler le nom de son parti : «République Solidaire». Puis vient un enchainement d'idées telles que l'alternative, le vivre ensemble, la nation unie et la devise de la République si chère à son cœur, soutenu par de nombreuses références historiques : 1789, 1830, 1881, 1940 et De Gaulle bien sur.


Voilà pour le principe de base. Villepin, homme d'histoire et de politique, écrivain à ses heures, fait son grand retour et veut le faire savoir. Villepin : l'homme qui tombe à pic, le nouveau prophète, opposé à Nicolas Sarkozy. Son plan miracle : rassembler au dessus des partis, avec la création d'un mouvement neuf, indépendant et de mission; il veut réhabiliter la politique pour les orphelins de la République.


Il se déclare donc Président de ce mouvement ce qui provoque un tonnerre d'applaudissement et des «Villepin, Président !». A croire que de président de parti à Président de la République il n'y a qu'un pas facile à franchir. Ce serait assez illusoire de le croire pourtant Villepin, lui y croit. Son visage exprime la détermination, le courage mais aussi la satisfaction de voir tous ces gens réunis pour lui et il déclare avec force : «J'ai besoin de vous». A défaut d'élus...A la fin du discours, qui a duré plus d'une heure, la foule entonne la Marseillaise et les jeunes rejoignent Villepin sur la scène.


Un grand succès en apparence, mais que penser de la suite des événements ? Tout d'abord, Villepin est un gaulliste convaincu. Son discours s'il en était besoin, le confirme à plusieurs reprises, il veut un exécutif fort et des pouvoirs cloisonnés, entre autres.Pour lui, il faudra dix ans pour remettre la France sur pied, après la crise qu'elle traverse. Deux mandats de président donc ?


On peut effectivement se poser légitimement la question de son ambition. Il veut dire la vérité peut être même accabler la France pour faire peur, tout comme De Gaulle en son temps. Il annonce clairement son objectif de Président-sauveur du peuple : augmenter les impôts, supprimer l'ISF et le bouclier fiscal; garantir une Europe plus forte; faire baisser le chômage et augmenter la croissance. Pas un mot sur l'environnement ou presque. Villepin est un homme du concret, il veut la solidarité pour tous, trier les déchets pour sauver la planète, cela peut attendre.


On peut donc dire sans prendre trop de risque que Villepin se rêve Président d'une République qu'il voudrait solidaire en 2012. Mais en a t-il vraiment les moyens ? Pour ce qui est de la mobilisation et des moyens financiers il ne semble pas en douter. Mais dans quelle mesure va t-il réussir à s'imposer à la classe politique ? Qui sont ses soutiens ? La question reste en suspend.


Et le citoyen lambda ? A-t-il a cœur de voter pour un homme certes jeune, 56 ans, mais qui fonde ses idéaux sur un héritage gaullien et des références aux Lumières ? Pas si sur. D'autant plus, que le peuple est perdu. Perdu au milieu de tous ces partis qui émergent, à droite comme à gauche; perdu au milieu des personnages politiques qui passent d'un côté à l'autre de l'échiquier politique sans vergogne; perdu au milieu d'un flou politico-artistique vieux de plusieurs dizaines d'années et de gouvernements qui n'ont pas encore résolu les problèmes de fond.


Mais Villepin se voit comme l'homme de la dernière chance et de tous les possibles. Il rappelle, à l'image d'un De Gaulle, que malgré l'incertitude et les difficultés un espoir est possible, que malgré la faiblesse du pouvoir et de l'Europe un sursaut est possible. Et l'on peut ajouter que malgré son apparente absence de légitimité, il compte bien, se faire élire pour la première fois de sa carrière et sans passer par la petite porte.


Évidemment, Villepin est tout de même un politique, donc quelque peu mégalo. Que dire ensuite de la légitimité de son mouvement ? Et bien qu'entre un Front National en déroute et une UMP que même les plus fidèles boudent, il y a une place à prendre et que au fond, pourquoi ne pas satisfaire les déçus de l'effacement du gaullisme et les opposants farouches à la gauche. Si l'on peut compter sur sa détermination et son succès ? Nous ne le saurons qu'en 2012, aux prochaines présidentielles. Quoiqu'il arrive il faut saluer son courage et sa sincérité. Cependant, il faudra aussi suivre de près les nouvelles du procès en appel de l'affaire Clearstream, qu'il devra affronter et qui jouera, c'est indéniable, un rôle majeur dans la suite de son cheminement vers le poste suprême.