mercredi 25 mai 2011

L'équation François Hollande


François Hollande apparait aujourd’hui, de l’avis unanime, comme le principal bénéficiaire de l’affaire DSK, et ce d’autant plus qu’il avait déjà entamé avant l’affaire, face à son éventuel rival, une remontée dans les sondages. On nous explique aujourd’hui qu’il serait victime d’un « TSH » (« Tout sauf Hollande ») au parti socialiste, mais je suis d’accord avec Olivier Duhamel qui ce matin, sur Europe 1, disait qu’il n’y avait rien de comparable avec le « Tout sauf Royal » de 2008 au parti socialiste.

Cependant, pour comprendre les difficultés auxquelles va se heurter François Hollande, dans son rapport au parti socialiste comme dans son rapport à l’opinion, il faut saisir son équation personnelle, chercher à inventorier ses forces et ses faiblesses.

C’est toujours bon de se relire, ou au moins de se souvenir de ce que l’on a écrit. J’ai deux fois abordé le cas Hollande dans ce blog.

Une première fois, je me suis penché sur la réflexion qu’il menait, avec finesse et indépendance, sur la manière dont le PS pouvait et devait accomplir la mutation idéologique rendue nécessaire par son exercice du pouvoir des 1981-1986, 1988-1993 et 1997-2002. Cette mutation est en grande partie réalisée, la déclaration de principes de 2008 comme le programme présidentiel de 2012 en témoignent – elle reste à achever.

La seconde fois, ayant assisté à l’enregistrement d’une émission télévisée ou il était invité, je me suis inquiété d’une « normalisation » de son discours : à force de vouloir incarner l’ensemble des socialistes, cet esprit vif et original ne me paraissait plus rien dire de saillant.

Atouts et handicaps… il faudrait revenir sur cela, maintenant que François Hollande est dans la position, toujours périlleuse, du favori des sondages.

Ce qui me faisait prendre au sérieux la candidature Hollande, c’est qu’elle s’inscrivait dans la durée. L’homme est parti de loin, y pense depuis longtemps, depuis son départ du poste de premier secrétaire du parti socialiste. L’ancrage corrézien, revendiqué, cultivé, les déplacements, les rencontres multipliées, la disponibilité à la discussion, tout cela construit un personnage public. Les Français connaissent bien cet homme, il fait partie du paysage et incarne une certaine continuité, l’image d’un socialisme raisonnable, qui cherche à se moderniser sans se brutaliser ; les journalistes apprécient son esprit, ses bons mots, son recul. Dans un milieu où l’arrogance et l’affirmation maladive de soi sont souvent la règle, cet homme tranche depuis longtemps par son côté sympathique et courtois. L’image d’un personnage qui trace son chemin progressivement, tranquillement, jusqu’à une modestie apparente, peut, dans l’électorat qu’il veut séduire, contraster heureusement avec celle de Nicolas Sarkozy. Il rassure.

Tout cela, sans être fabriqué, relève de l’image. Les vrais handicaps sont ailleurs. On sait que François Hollande n’a jamais été ministre. Certes, cela peut se retourner : il est, sur ce point, un homme neuf. Premier secrétaire du parti socialiste, il a bien mené la rénovation idéologique autour de la déclaration de 2008, son dernier combat, mais il s’est épuisé auparavant dans des synthèses peu enthousiasmantes. Il n’a pas de courant, et apparaît ainsi comme un homme seul, et ses soutiens sont peu visibles. Il a mis longtemps à se remettre de l’échec de 2005 : alors qu’il avait réussi à imposer la ligne du « oui » au PS, il n’a pas pu ensuite garantir la discipline du parti dans la campagne. Il n’a pas réussi à surmonter le « non » pour se présenter en 2007, et n’a pas tenté de forcer le destin. Bref, il a été l’homme de la synthèse dans un parti qui n’en voulait pas, et non pas le porteur d’un projet fort.

D’où des incertitudes : François Hollande saura-t-il construire un projet présidentiel fort, rassembler une véritable équipe avec quelques « poids lourds » ? Ou va-t-il rester dans un certain flou artistique, cherchant à rassembler la gauche en valorisant son expérience de premier secrétaire et l’héritage de Lionel Jospin, tout en voulant mordre sur le centre par sa modération naturelle d’ancien deloriste ? Saura-t-il mobiliser l’ensemble des énergies socialistes s’il devient le candidat ? Et s’il le fait, n’aura-t-il pas trop moucheté le fleuret ? Pour l’instant, j’ai le sentiment que François Hollande s’est dissout dans l’action collective et affirmé dans une démarche solitaire. Il n’est pas sensible à la mystique de la « rencontre d’un homme (ou d’une femme) et d’un peuple » qui a hanté Ségolène Royal et François Bayrou – mais la seule alternative à cette conception reste la construction d’un projet collectif.

lundi 16 mai 2011

Insomnie strauss-kahnienne


Il y a bien des types d'insomnies. La mienne est, curieusement, strauss-kahnienne. Curieusement, d'ailleurs, car je ne croyais pas vraiment à la candidature Strauss-Kahn, que je voyais minée d'avance par le positionnement du candidat éventuel, et même par son bon bilan (je le pense) à la tête du FMI, difficile à vendre à l'électorat de gauche.

Nous sommes depuis dimanche matin bombardés d'informations, et nous avons lundi été grisés d'images. "La chute", titre-t-on ici ou là. Elle est terrible. Elle attire comme un spectacle douloureux et fascinant.

Nous apprenons bien des choses sur le système judiciaire américain, et, par ricochet, sur le système judiciaire français. Ce qui est nouveau, pour beaucoup d'entre nous, c'est de voir un homme qui était il y a si peu de temps au sommet du pouvoir livré à la machine implacable. Terrible spectacle. Le basculement d'un destin, d'abord presque en direct, puis tout à fait en direct : n'est-ce pas au fond ce qui attire les foules lors d'une campagne présidentielle ?

Nous apprenons bien des choses sur la jungle de la société de l'information, quand des journalistes expliquent que des images sont choquantes et dégradantes alors même qu'ils les passent en boucle et les commentent avidement, guettant sur le visage de DSK les signes de fatigue, d'éventuelle défaillance, d'accablement. Il est devenu la chose des autres, et d'une certaine manière, la foule le possède, alors même qu'il est en train de perdre ce qui le rendait fascinant : le pouvoir détenu comme celui qui paraissait à tant de Français à portée de sa main.

Nous voyons surgir les accusations implacables, nous voyons ses amis se débattre, oser de temps à autre la thèse du complot, s'accrocher à des espoirs ténus. Et puis, très vite, le trou qui se forme est comblé par d'autres, parce que quand bien même Dominique Strauss-Kahn parviendrait à s'innocenter, cela sera trop long, à moins d'un miracle vendredi. Qui lui succèdera à la tête du FMI ? Qui est désormais le favori pour les primaires socialistes ? Après un bref refus de principe, tous avancent des réponses à ces questions.

Nous voyons les entourages, les soutiens, les supporters se désespérer. Comme une armée qui se préparait à combattre, dans cette guerre simulée qu'est parfois la politique démocratique, et qui est soudainement démobilisée. Le leader attendu n'est plus là ; objet de mépris pour les uns, de compassion pour les autres, victime d'une machination ou d'une formidable méprise pour ceux qui le pensent innocent. C'est dorénavant son propre destin, sa propre survie d'homme public, qui devient sa grande affaire, son combat.

Il n'est plus un acteur de l'histoire, il devient le sujet d'une affaire dont on sait déjà qu'elle sera l'un de ces épisodes qu'on évoquera longtemps, sur le mode du regret pour les uns, avec une satisfaction féroce pour les autres. Une affaire qui, si elle n'est pas rapidement démentie par l'enquête des défenseurs, prête en outre à rire - et l'humour est l'ange exterminateur de l'univers médiatique.

Même quand on n'a pas partagé pas les espoirs que DSK a suscités, on pense à ceux qui voyaient en sa candidature une chance de moderniser le parti socialiste, de trouver enfin une voie qui allie efficacité économique et justice sociale. Ceux-là ont le sentiment d'un accident, et mettront plus de temps que d'autres à se déprendre d'un sentiment d'irréalité.

Antoine Cournot, mathématicien et philosophe du XIXe siècle, disait que le hasard, en histoire, était représenté non pas par les institutions, non pas par les systèmes, mais par les individus et leurs actions. La loi d'airain du leadership, que les républicains d'autrefois auraient voulu éviter, s'est imposée, et elle a engendré ces micro-événements (au vu de l'histoire globale) terribles, par lesquels ce qui touche un homme, qu'il en soit ou non responsable, retombe sur tout un courant, avec ce que celui-ci charrie d'ambitions et d'espérances.

Les émotions suscitées par cette affaire sont violentes et troubles. Les contempler, les ressentir en partie, cela suffit bien à retarder le sommeil.

vendredi 6 mai 2011

Rupture avec le "social-libéralisme" ?


Je viens de terminer la lecture approfondie du programme du parti socialiste - puisqu'il existe non seulement sous la forme de 30 propositions, mais sous forme de textes développés. Les déclarations de principe sont importantes, mais les programmes engagent plus : d'une certaine manière, ils instruisent d'avance les procès des fins de mandats.

Ce programme a été généralement bien accueilli par la presse, et la contre-offensive de l'UMP a été plutôt molle, se bornant à reprocher au parti socialiste de reprendre de vieilles recettes. Et il est vrai que ce texte est prudent : visiblement, les socialistes sont conscients des périls inhérents à la distinction entre le programme du parti, élaboré collectivement, et le programme du candidat vainqueur des primaires, et n'ont pas voulu charger la barque. La mise en avant de 30 propositions contraste heureusement avec les 100 objectifs de 2007, et on cherche en vain une proposition qui pourrait donner prise à l'accusation de démagogie outrancière.

Cependant, on a parfois signalé une rupture avec le "social-libéralisme", et cela me laisse perplexe. Le terme de "social-libéralisme" peut prendre deux sens.

Dans le premier, qui concerne l'histoire des idées politiques, et qui est n'est pas péjoratif, il désigne la tendance des libéraux qui sont partisans d'une politique sociale, considérant que la misère ou l'ignorance peuvent mettre en danger les libertés fondamentales, y compris économiques, dans la lignée de Jeremy Bentham et de John Stuart Mill. Keynes relève indubitablement de ce courant.

Le second sens du terme est péjoratif : il vient des antilibéraux de gauche, et entend stigmatiser l'acceptation par les socialistes de l'économie de marché, de la contrainte budgétaire et du libre-échange ; bref la renonciation à la construction d'un ordre économique et social alternatif, fusse sous la forme d'une économie mixte démocratiquement planifiée (comme dans le projet des 110 propositions du candidat François Mitterrand en 1981).

La déclaration de principes de 2008 indiquait que le Parti socialiste se réclamait d'une "économie sociale et écologique de marché". "L'économie sociale de marché" est un concept élaboré par le courant allemand de l'ordolibéralisme (qui trouve ses origines dans les années 1930, et peut être défini comme un social-libéralisme), qui se situe entre le libéralisme traditionnel et les partisans de l'économie mixte. Le parti social-démocrate ouest-allemand s'est ensuite rallié à cette conception de l'économie lors de son célèbre congrès de Bad Godesberg.

Le parti socialiste de 2008 se situe bien dans un social-libéralisme mâtiné d'écologie, que l'on donne à cette expression un sens péjoratif ou pas. Il nous faut donc chercher ce qui, dans le programme actuel, correspondrait à une renonciation à cette ligne.

Les questions économiques restent importantes dans ce programme : le PS ne se rallie pas aux théories de la décroissance, et veut combiner la croissance, sans laquelle "les individus s'appauvrissent et la société se disloque", et le développement durable. Mais le parti promeut un certain "retour de l'État" dans l'économie. Une "banque publique d'investissement" devrait aider à renforcer le pôle d'ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire), soutenir la "conversion écologique" des entreprises, et soutenir des secteurs en difficulté conjoncturelle.

On ambitionne de protéger les sous-traitants, de mettre en place (ce qui évoque la loi Royer) qui se limitait aux centre-villes) une autorisation municipale pour l'installation de surfaces de vente supérieure à 300 m2. D'autre part, un "service public de l'eau" et la mise en place d'une "filière publique" de l'énergie nucléraire reviennent sur la tendance lourde des privatisations, actée et amplifiée par le gouvernement Jospin de 1997 à 2002. De même, sur le plan européen, on veut une "agence de notation publique sous l'égide de l'Eurogroupe". L'adhésion ou pas des électeurs à ce projet dépendra de la confiance qu'ils accordent au discernement économique des hauts fonctionnaires français et européens.

L'une des idées forces du "social-libéralisme" version Blair est la fameuse "flex-sécurité" : ne plus chercher à empêcher les licenciements mais concentrer l'action publique sur l'employabilité, en misant sur la formation tout au long de la vie, pour que les salariés retrouvent rapidement un emploi, dans un contexte général de mobilité accrue. L'idée n'est pas présente explicitement dans le projet. Plus encore, on revient à un certain encadrement administratif des licenciements, sans que l'on retrouve tout à fait la défunte autorisation administrative de licenciement mise en place par le gouvernement Chirac de 1974-1976. Les "licenciements boursiers" seraient sujets à des pénalités financières. Par contre, l'idée d'un "crédit-formation" est présente, développant sans doute les dispositifs existant.

L'emploi de l'outil fiscal et la mise sous condition des aides publiques pour orienter la politique sociale et environnementale des entreprises ne sortent pas du cadre usuel de l'intervention de l'Etat dans un système libéral modéré. Pas plus que la perspective de remise en place des 35 heures, présente dans le projet développé mais pas dans les 30 propositions... ce qui en dit long.

La question de l'acceptation de la contrainte financière est elle aussi importante. La nécessité de réduire la dette publique est rappelée, et on projette d'y consacrer la moitié des recettes nouvelles, issues des différentes réformes fiscales, dont un renchérissement de l'impôt des sociétés sur les banques de 15%. Je ne peux mesurer dans ce blog la faisabilité de ce programme.

C'est bien une inflexion que l'on note, mais à mon sens, une inflexion plus qu'une rupture. Le PS cherche à desserrer la contrainte plus qu'à la supprimer, ou acte tout simplement l'impossibilité de la supprimer. A retrouver une marche de manoeuvre, avec un Etat dont on souhaite la modernisation, sans indiquer là-dessus (et c'est dommage, car je reste convaincu que c'est la tâche historique de la gauche française) un chemin trop précis, quand bien même on introduit l'idée (héritage de la social-démocratie suédoise) de la nécessaire productivité des services publics, chaque euro dépensé devant avoir une utilité sociale.

La contrainte européenne, elle-même, est l'objet d'un desserrement qui demeure une simple perspective : on insiste beaucoup sur l'éventuelle collaboration d'un PS éventuellement vainqueur avec un SPD éventuellement vainqueur, on veut proposer des "clauses de sauvegarde et de réciprocité visant à garantir la loyauté des échanges" de l'Europe avec l'extérieur, on veut un salaire minimum partout, un impôt européen... beaucoup de choses nécessitant un accord des partenaires et cela n'est pas masqué. Peut-être un reste du fameux "plan B" des partisans du "non" en 2005, proposé par ceux du "oui".

Je ne vais pas ici détailler tout le projet : il est très intéressant sur les institutions, où on va plus vers une prolongation/inflexion de la réforme constitutionnelle que vers un anéantissement de ce que celle-ci peut avoir de prometteur, et où on envisage un débat au Parlement avant l'engagement des forces militaires, intéressant aussi sur l'enseignement supérieur, où le PS s'inscrit dans une vraie continuité nationale et européenne en prônant le rapprochement universités-classes préparatoires grandes écoles, sur la justice...

Mais à mon sens, quand bien même il y a une inflexion étatiste (au sens neutre) certaine, nous ne sommes pas en rupture avec la déclaration de 2008 et la culture d'un parti de gouvernement. Ce que teste ce programme, de manière encore hésitante, ce sont bien les possibilités, les marges de manoeuvre d'un Etat dont, peut-être, le fonctionnement mériterait aussi d'être repensé.