lundi 25 août 2014

À mes lecteurs

Chers tous,
J'ai ouvert ce blog en 2008, pour contribuer à donner au commentaire politique une profondeur historique, par passion pour l'histoire et pour l'actualité.
J'y ai mêlé réflexions à chaud et élaboration d'outils pour comprendre dans la longue durée la politique française.
Je suis fier que des lecteurs de toutes sensibilités m'aient suivi. L'histoire n'est l'histoire que si chacun, quelles que soient ses opinions politiques et/ou religieuses, peut en faire son profit.
Comme beaucoup d'entre vous le savent déjà, j'ai été nommé inspecteur général de l’Éducation Nationale par le décret du 20 août dernier.
C'est pour moi un immense honneur, et une grande responsabilité. Je rejoins un corps qui participe au travail collectif du maintien et de l'amélioration, de la permanence et de la réforme de notre système éducatif. 
Cette tâche implique le service de l’État, et, plus encore, de la République; elle est officielle, et à mon sens incompatible avec la posture du "spectateur engagé" chère à Raymond Aron, que j'ai essayée d'illustrer modestement ici. Il ne sera donc plus complété désormais.
J'ai eu depuis 2008 le bonheur de voir beaucoup de mes collègues historiens réinvestir le commentaire politique. Je leur souhaite bonne chance.
Je profite de ce petit mot pour remercier tous les lecteurs qui m'ont félicité et leur dire que cela m'a été droit au cœur.
Bien à vous tous !

jeudi 21 août 2014

Sur la candidature d'Alain Juppé : l'âge du capitaine

Alain Juppé a finalement décidé de se lancer dans la compétition présidentielle, dorénavant étendue aux primaires. L’envergure du personnage exclut la possibilité d’une candidature de témoignage, mais son âge sera sans doute un objet de débat. Est-il réellement un handicap ?
 
Charles de Gaulle a été réélu en 1965 (et pour la première fois au suffrage universel direct) à 75 ans. François Mitterrand en été réélu président de la République (et pour 7ans) en 1988 à 71 ans. En 2002, Jacques Chirac avait 69 ans au moment de son élection (pour 5 ans cette fois). Alain Juppé est né le 15 août 1945. Au moment des élections présidentielles prévues au printemps 2017, il aurait donc 71 ans, comme François Mitterrand en 1988, au moment d’une éventuelle élection. La fin du septennat de François Mitterrand (en cohabitation) et celle du quinquennat de Jacques Chirac ont été marquées par une dégradation de la santé du président, et il est certain que pour Alain Juppé, son âge a été une interrogation forte.
 
Il y a bien sûr en France (et pas seulement, que l’on pense à Churchill en Angleterre au moment de la Seconde guerre mondiale) des exemples, formant presque une tradition, de recours plus ou moins heureux selon les cas à des personnalités prestigieuses en âge de connaître une semi-retraite politique. Aux heures sombres ou simplement troublées, leur expérience et leur relatif dégagement du jeu politique national, leur donnant une réputation de sagesse, a semblé la garantie d’un relèvement : Thiers en 1870, Clemenceau en 1917, Gaston Doumergue en 1934, Pétain en 1940, Charles de Gaulle en 1958. Et il est certain qu’au moins au centre et à droite, Alain Juppé est vu comme un sage de la politique française, tandis que le succès de son action municipale bordelaise peut lui donner à penser que son aura touche potentiellement une partie de la gauche.
 
Deux inconnues subsistent cependant pour lui, outre la situation de concurrence forte à droite :
 
1. Pour l’instant, aux élections présidentielles, les Français ont accordé au second tour leurs suffrages à des personnalités qui étaient depuis plusieurs années très visibles sur la scène nationale, et qu’ils avaient le sentiment de bien connaître. Mais jusqu’à présent, il n’y a eu que des réélections de personnalités ayant passé la barre des 70 ans, et les dernières années du second septennat de François Mitterrand et du quinquennat de Jacques Chirac ne sont pas généralement considérées comme les époques les plus fécondes de leur action politique.
 
2. Il n’est pas sûr, malgré la dramatisation dépressive de ces dernières années, que l’électorat considère vraiment que le moment est venu de se tourner vers un « sauveur d’expérience ».
 
Au final, nous avons affaire à une résolution mûrement délibérée qui reste, comme toujours en politique, un pari sur l’avenir.

mercredi 6 août 2014

L'opinion et les réseaux sociaux : passion et raison

Les événements tragiques de la Bande de Gaza n’ont pas seulement eu de répercussions dans les rues de nos villes. Ils sont également enflammé les réseaux sociaux. Tous ceux dont le siège était fait d’avance ont d’abord donné le ton : ceux-là estiment que l’événement confirme leur analyse. Ils sont les premiers à rejoindre ceux qui expriment avant tout leur émotion ou leur indignation. Le discours de ceux qui avaient des analyses plus fines, intégrant les calculs stratégiques du Hamas et du gouvernement israélien, connectant cette énième phase du conflit israélo-palestinien à la déstabilisation globale du Moyen-Orient, était présent et parfois relayé, mais comme noyé dans le flot des imprécations ou des réactions passionnelles, allant de l’indignation sincère (et respectable) au relais d’images et de slogans de pure propagande, de part et d’autre.
Puis l’excès a amené une réaction, et les messages de ceux qui, quelles que soient leurs sympathies, refusaient de partir d’une grille manichéenne pour aborder les événements, se sont multipliés. Et en se promenant sur Twitter ou Facebook, et au hasard des liens, on pouvait glaner bien des informations utiles sur les enjeux du conflit et les camps en présence. Les trois rôles politiques des réseaux sociaux (exutoire-pugilat symbolique, lieu de mobilisation, espace de débat raisonné et d’échange d’informations) paraissaient plus équilibrés.
Suivant tout cela, je me disais que chacun d’entre nous peut désormais observer l’opinion, regarder comment elle fonctionne, quels sont ses rythmes. Je ne suis pas sûr qu’internet change la politique, du moins pas dans le sens qu’espéraient les milieux alternatifs des années 1970 qui y voyaient la source possible de l’introuvable démocratie directe, mais, outre que la « toile » (expression déjà bien vieillie) est un merveilleux outil d’information et de sociabilité pour ceux qui veulent l’utiliser dans ce sens, elle nous offre un point de vue unique, d’une ampleur inédite, sur le pouvoir spirituel multiforme qui, depuis le XVIIIe siècle, a progressivement surclassé tous les autres.
Le spectacle est troublant pour des intellectuels et plus encore pour des éducateurs, qui rêvent volontiers (et c’est tout à leur honneur) d’une démocratie rationnelle et respectueuse des convictions des uns ou des autres. Il est déstabilisant pour tous ceux qui tiennent à la grande ambition des Lumières. Mais je ne crois pas que ce spectacle soit celui d’une décadence : l’opinion a toujours été ainsi, la raison s’y est toujours heurtée aux passions et aux intérêts, et ses succès ont toujours été partiels et tardifs, de la cité athénienne à la Cinquième république. Les décideurs politiques, humains et donc exposés à l’erreur plus ou moins désintéressée, surfent sur une mer déchaînée.
La modernité, ou « l’hyper-modernité », comme on voudra, n’est pas un dérèglement général du monde : c’est un dévoilement, une mise à nu, comme Marx au passage et Weber plus profondément l’avaient compris. L’Histoire reste plus que jamais à comprendre, au long cours comme au présent, mais nous ne pouvons plus nous raconter d’histoires.