vendredi 24 septembre 2010

Sur l'identité de la gauche


Décidément, l'examen du "cas François Hollande", joint aux discussions avec Ismaël Ferhat, qui fait partie de la nouvelle et prometteuse génération des jeunes historiens du socialisme, n'en finissent pas de me faire rebondir sur la question de la situation de la gauche française. J'ajoute à tout cela un nouvel ingrédient, la lecture des mémoires de Tony Blair.


La définition de la gauche est un sujet inépuisable, et capital pour un commentateur de la politique française : la gauche y bénéficie, du fait de la tradition républicaine, et aussi de l'empreinte (le terme est faible) de la Révolution française, d'une légitimité très forte, phénomène que, sous la IIIème République, Albert Thibaudet avait qualifié, en partant du latin, de "sinistrisme".


S'il s'agit de définir la gauche autrement que par le rassemblement des "bons citoyens", ce qui serait le symétrique du "parti des honnêtes gens" que les conservateurs invoquaient régulièrement au XIXème siècle, il faut en effet revenir à l'idée de progrès. Cette idée est très présente dans le livre de Tony Blair. Quand l'ancien Premier ministre évoque le projet du New Labour, et la tâche à laquelle il s'était attelé de moderniser le travaillisme britannique, il emploie souvent, pour désigner les militants et les partis de gauche, le terme générique de "progressistes". Et chez lui, la croyance au progrès est fondamentale, bien plus qu'on ne pourrait l'attendre chez ce modéré.


Le progressisme a chez nous mauvaise presse, parce que l'on voit souvent les progressistes comme des "ravis de la crèche", croyant que tout va tranquillement, spontanément vers le mieux. Chez Tony Blair, il s'agit d'une foi dans le progrès humain, au sens où les changements à l'oeuvre dans l'Histoire seraient gros de possibles positifs. Mais à une double condition : ne pas nier ces changements d'une part, essayer d'en tirer le meilleur parti d'autre part. Les partis progressistes seraient donc exposés à un péril mortel : celui de se figer dans leurs espérances du passé et de divorcer d'avec l'Histoire telle qu'elle va. De ne pas tenir compte non seulement de la nouvelle donne sociale, mais des nouvelles aspirations des citoyens, qui, elles aussi, évoluent.


En ce cas, croire au progrès humain, ce serait croire qu'un examen attentif des évolutions de la société, et des conséquences des réformes heureuses du passé, serait le préalable indispensable de toute démarche réformatrice authentique. Les progressistes eux-mêmes auraient donc en permanence à faire le tri des revendications ou des idées obsolètes pour réasseoir leurs projets dans le réel et trouver de nouveaux soutiens. Refuser cette démarche, ce serait au fond refuser le progrès, et transformer des forces progressistes en forces, osons le terme, "autoconservatrices", qu'une crispation identitaire isolerait progressivement du monde comme il va.


Cette analyse a pour moi la grande vertu d'expliquer comment une partie de la gauche peut devenir conservatrice, sans même que la droite ne soit devenue particulièrement progressiste. Une semblable évolution laisserait à la droite la charge de procéder aux "réformes d'adaptation" qui sont le propre des partis conservateurs, au sens britannique de ce dernier terme, sans les coupler avec des réformes plus radicales, posant de nouveaux principes.


D'où l'importance accordée par Tony Blair (et par de nombreux observateurs) à l'abolition de la "clause IV", dont l'origine remontait à 1917, stipulant que le Labour visait à socialiser et nationaliser l'économie. Quel était le sens de ce maintien après 1989, au moment où la Chine elle-même avait renoncé à une telle ambition ?


La question est bel est bien, pour la gauche comme pour toutes les familles politiques, le piège de l'identitaire : face aux électeurs, faces au nécessités de l'action, l'important, est-ce ce que je suis, ou ce que crois et ce que je fais ? L'important, est-ce de proclamer, "nous, la gauche, sommes le progrès, nous le représentons de droit", ou de dire, "nous croyons au progrès", afin d'ouvrir le débat sur les conditions de celui-ci ?


En dernière analyse, c'est toujours en politique d'une vision de la société qu'il s'agit, et de la perception que nous pouvons avoir de son mouvement spontané, de ce par quoi elle outrepasse tous les projets volontaristes. Il est difficile de rester progressiste en estimant que ce mouvement spontané est mauvais, parce que le terme logique de cette démarche serait finalement de renoncer à l'idée de progrès : si ce dernier n'est pas au moins un possible de la société, comment la politique pourrait-elle en être l'accoucheuse ou l'accompagnatrice ?

mercredi 22 septembre 2010

Du leadership au parti socialiste


J'étais sévère la fois dernière pour François Hollande. La déception a de ces entraînements... Mais il est vrai que quand on cherche à commenter la politique du point de vue des "hommes de bonne volonté", c'est-à-dire en supposant dans un premier temps que toutes les familles politiques rassemblent des femmes et des hommes qui veulent sincèrement le bien commun, et qu'avant de formuler des jugements, on s'attelle à rendre compte des projets, on enrage parfois devant les bâtons que certains partis mettent dans leurs propres roues, et de voir les plus lucides de leurs dirigeants en ajouter d'autres.

Le parti socialiste actuellement étouffe de ne pas organiser franchement à la fois la concurrence des hommes et des programmes. La mystique du parti-Eglise, forme anticipée de la communion à venir de l'Humanité a conduit le PS à refuser jusqu'aux conditions d'un véritable leadership.

Personne actuellement ne vient au PS pour soutenir Dominique Strauss-Kahn, pourtant populaire, ni François Hollande, ni Benoît Hamon, ni Arnaud Montebourg, parce que tous sont conduits à un moment donné à dire la même chose, dès lors qu'ils veulent l'onction du parti. Ils tentent tous, à un moment ou à un autre (celui de "DSK" n'est pas encore venu) d'assumer une sorte de "ministère d'unité du parti", et se retrouvent dans la position du Pontife romain qui suscite force réactions dès qu'il sort d'une phraséologie vague et rassurante. Le PS pense, avec les primaires, avoir organisé la compétition des hommes. Il oublie que celle-ci est sinistre dès lors qu'elle ne correspond pas à une bataille d'idées.

Un grand parti devrait voir s'affronter des leaders, entourés de leurs équipes, défendant leurs programmes et leurs propositions. Le vainqueur, moyennant quelles concessions, constitue une majorité et fixe la ligne directrice du parti. La minorité, pendant ce temps, attend son heure et les échecs de la majorité pour en prendre le contrôle.

François Mitterrand avait constitué en 1971, au Congrès d'Epinay, une majorité sur une ligne simple : l'union de la gauche. Il a pu le faire en grande partie parce qu'il venait de l'extérieur du nouveau parti socialiste fondé en 1969, et avait capitalisé en 1965 une crédibilité en tant que candidat de la gauche unie, plaçant Charles de Gaulle en ballotage. Cette personnalité extérieure, aujourd'hui, n'existe pas. C'est du PS que doit sortir la majorité, et elle ne sortira que si des projets de programmes s'affrontent.

Or, nous marchons vers l'élaboration d'un programme attrape-tout (comment faire autrement quand le parti l'élabore en recherchant l'accord le plus large possible) et une compétition tardive (malgré les recommandations de François Hollande) donnant très peu de temps au candidat pour livrer et faire valider son interprétation du programme du PS, comme pour constituer ses équipes. La question même des alliances est retardée.

Les socialistes peuvent tout de même être portés au pouvoir par le rejet de la majorité présidentielle. Il est vrai que de ce côté-ci, on peut se préoccuper de la déliquescence de l'UMP, qui n'est vraiment une surprise que par son ampleur. En 2002, alors qu'il s'agissait de rassembler "la droite et le centre", on avait vu Alain Juppé refuser la constitution de tendances, ce qui laissait mal augurer de la suite.

Mais une chose pour le PS est d'être porté au pouvoir (ce qui est loin d'être fait), une autre d'avoir profité d'une longue cure d'opposition pour se refaire une santé idéologique. Je me demande d'autre part si un autre mal insidieux n'affaiblit pas le principal parti d'opposition. Il pourrait bien être victime de la décentralisation qu'il a initié en 1982 : entre être président de région, président de Conseil général, maire d'une grande ville et ministre sous la Vème République, le choix est vite fait pour beaucoup. Au lieu de permettre la constitution d'un réservoir de talents, la décentralisation jointe au cumul des mandats permettent à nombre d'élus d'avoir une stature nationale, voire internationale, sans participer vraiment à la guerre des longs couteaux qu'est toujours plus ou moins la politique nationale.

La crise des forces gouvernementales n'est donc pas terminée, comme on le croyait un peu naïvement en 2007. Elle ne pourra se poursuivre indéfiniment, mais comme on aurait envie de transférer de droite à gauche le goût des discussions internes et de droite à gauche la culture du leadership...

mercredi 15 septembre 2010

Quand un esprit libre se normalise


Dans le public, sur le plateau de « C politique », dimanche soir, j’écoutais François Hollande. J’avais commenté dans mon blog, longuement, son livre d’entretiens ; j’y trouvais une pensée réformiste et modérée, souvent plus audacieuse qu’il n’y parait, et qui parfois me laissait perplexe, en particulier devant certaines concessions, certains survivances. Plus encore, la manière de justifier toujours l’indécision par la situation du moment, le refus constant de prendre le taureau par les cornes me faisaient douter de la possibilité pour cet analyste fin de jouer un véritable rôle politique (autre que celui de premier secrétaire faisant cohabiter des ennemis de toujours) sur le plan national.

La finesse, on l’a retrouvé sur un point, quand François Hollande réagissait à la politique menée contre les « Roms ». Une politique d’immigration, comme une politique sécuritaire, disait-il en substance, doit strictement être menée dans le cadre de la loi. Rien ne nécessite de sortir de ce cadre. Le tout simplement et juridiquement argumenté. Une position à la fois modérée et ferme, solide.

Le reste était décevant. Nul n’avait su plus que François Hollande dans son livre pointer la grande faiblesse du socialisme des années 1980 et suivantes : l’incapacité à rendre compte sur le plan idéologique du tournant de 1983. Le maintien subséquent d’un radicalisme verbal que rien, dans les faits, ne venait corroborer. L’impression donnée d’une capitulation honteuse devant le réel existant, sans rebond. Dimanche soir, ce sont les réflexes du premier secrétaire qui ont repris le dessus. On avait l’impression sur la plupart des sujets d’une panique tranquille de bon élève : ne rien dire qui pourrait faire douter de la capacité du futur candidat Hollande à représenter l’ensemble du parti socialiste, surtout, ne rien dire de trop, et parfois, ne rien dire du tout.
La réforme des retraites ? Le gouvernement s’y prend mal, il faut faire autrement. Rien contre l’oukase de Ségolène Royal, qui, sans mandat de son parti, sans consulter personne, a proclamé que le PS rétablirait la retraite à soixante ans. Une occasion de se démarquer perdue… Oui, nous la rétablirons, mais pour ceux qui auront leurs 41 annuités : les manifestants l’entendent-ils ainsi ? Il faut manifester, s’exprimer au Parlement, et attendre. Cela se tient si l’on avait un projet alternatif crédible : or, François Hollande propose tout simplement de glisser de deux ans les âges prévus par la réforme, 60 au lieu de 62, 65 au lieu de 67, et de financer tout cela par l’impôt. Plus de recettes pour plus de dépenses dans un système déjà déséquilibré… Pas de chiffrage, pas de plan d’ensemble. Cet homme travaille-t-il seul ?

Qu’est-ce qu’être de gauche ? demande l’interviewer. C’est trouver qu’il est juste de payer ses impôts. Le parti socialiste est républicain, mais il pense qu’il est le seul à pouvoir faire vivre vraiment les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Un moment, François Hollande distingue l’égalité de l’égalitarisme : on l’attend ici, il ne s’appesantit pas. Un parti peut-il uniquement vivre en proclamant que ses sympathisants sont de meilleurs citoyens que les autres ? On en doute. Sur le plan de la morale, ceux-là seraient plus égaux que les autres...
Les intellectuels sont-ils critiques vis-à-vis du PS ? On attend une réaction vive. Point. Les politiques prennent des décisions, les intellectuels commentent et ne proposent rien. Bon. Pas faux… Mais entre les deux, il y a l’idéologie d’un parti, au sens le plus neutre du terme. Il y a les programmes qui doivent être en phase avec cette idéologie, quitte à réexaminer les uns et l’autre. Mais il parait plus simple de définir « la gauche » que le socialisme moderne. Le silence était dimanche assourdissant.

En fait, nous sommes là en face d’une grande difficulté des adversaires de Nicolas Sarkozy. François Bayrou l’avait senti, mais n’y est pas resté, tout à sa « rencontre d’un homme et d’un peuple » : le gouvernement est très vulnérable par son mépris des institutions, son peu de souci des contre-pouvoirs, le peu de considération vis-à-vis des contraintes juridiques.

Il existe une tradition qui serait mobilisable : celle du libéralisme politique. Mais le mot est piégé ; Bertrand Delanoë en sait quelque chose. Peut-être que le modéré François Hollande, oubliant qu’il a été premier secrétaire, pourrait y chercher la charpente intellectuelle qui manque trop visiblement, pour l’instant, à son discours. Il ne suffit pas de proclamer qu’il faut des idées : quand on les trouve, il faut les défendre et les adapter à sa famille politique.

mercredi 8 septembre 2010

Paysage de rentrée


Le paysage politique de cette rentrée est en apparence assez décourageant ; ni le débat sur la politique sécuritaire, ni celui sur la réforme des retraites n'atteignent des sommets conceptuels. Sur ces points, j'ai été frappé par décalage du parti socialiste: alors que le discours de Grenoble, et, plus encore, les déclarations de Brice Hortefeux supposant un lien mécanique entre immigration et délinquance pourraient susciter une mise au point républicaine assez ferme, et que l'on attendrait même ici (pour une fois), la gauche « morale » et son rappel aux principes, les socialistes paraissent surtout soucieux, comme s'il s'agissait de corriger les erreurs de 2002, de montrer leur crédibilité en matière de sécurité, ce qui les condamne à des contorsions peu lisibles, sur le thème « nous sommes crédibles car nous aurons bientôt un programme crédible ».

De la difficulté pour une opposition de découpler le discours réactif, critiquant le gouvernement quand il prête le flan, et le travail d'élaboration d'un programme...


Sur la question des retraites, nous continuons d'errer dans le royaume du non-dit. Que veut dire « sauver le régime par répartition » quand en 2025 il y aura un retraité pour un actif ? La capitalisation ou le recours à l'impôt ne sont pas des solutions miracles, mais pouvons-nous les écarter ? L'horizon logique paraît bien être celui d'un système financé à la fois par les cotisations, la capitalisation et l'impôt, avec retard de l'âge du départ à la retraite. Sans compter la dernière solution, celle à laquelle on viendra peut-être à force de vouloir « sauver » un système qui ne peut l'être : une baisse des pensions quand on ne pourra plus faire autrement. Mais le flou prudent des tenants d'une « autre réforme » ne donne nulle prise au débat.


Pourtant, le paysage politique français est mouvant. Un espace est libre, et beaucoup voudraient s'y engouffrer.


François Bayrou affirmait l'autre jour à la télévision « représenter » ceux qui ne se retrouvent pas dans la politique de Nicolas Sarkozy et ne veulent pas d'un retour au pouvoir des socialistes. Voeu pieux. La construction politique du Modem est un échec avéré; tout au plus ce mouvement aura-t-il servi à faire entrer en politique une nouvelle génération.


Dominique de Villepin a des aspirations similaires ; sa réinscription à l'UMP le place dans une position de « droite alternative ». Pour reprendre le commentaire de Vivian au précédent post, il est certain qu'il ambitionne de reprendre à son compte le projet de fédérer la droite et le centre. Mais avec quelle crédibilité ? A la tête d'un parti qui n'est pas un parti, encarté dans un parti gouvernemental monolithique soutenant une politique qu'il dit désapprouver ? Les centristes ne sont pas des aventuriers, le suivront-ils ? Et quand ? Qui croit encore que Nicolas Sarkozy ne sera pas réinvesti par l'UMP en 2012 ? Il faudra bien jeter le masque... difficile finalement de bouleverser la donne hors de circonstances exceptionnelles.


Une autre concurrence, de plus de poids, émerge avec Europe Ecologie. L'introuvable centre gauche est peut-être bien en voie d'apparition. Cela n'est encore qu'une virtualité, mais sérieuse.


Les atouts : le couplage d'un discours environnemental avec l'acceptation de l'économie de marché, d'un libéralisme régulé, la perspective donc d'une écologie à forte crédibilité politique, dans la lignée des tentatives initiales de Brice Lalonde et de Corinne Lepage, mais avec une base militante plus large. La perspective d'offrir au parti socialiste une alliance de rechange, à la fois mordant sur le centre et incarnant une forme d'idéalisme.


Les handicaps : les rapports avec les Verts, la perspective d'une union qui enliserait le mouvement de Daniel Cohn-Bendit dans la mouvance écolo-protestataire et ferait fuir centristes et modérés de gauche; le fait qu'Eva Joly se lance beaucoup trop tôt dans une aventure présidentielle pour laquelle il faut bien plus qu'une respectabilité, alors même que Daniel Cohn-Bendit voulait négocier des sièges de députés avec le PS plutôt que d'avoir un candidat écologiste en 2012; le risque aussi de voir fuir les électeurs vers des modérés du PS, comme un Hollande ou, bien sûr, un Strauss-Kahn.


Bref, la course au centre continue; le Nouveau Centre n'y participe qu'imparfaitement, faute d'un véritable leader. Mais cette course n'existe que parce que l'UMP est un no man's land idéologique et le parti socialiste le royaume de la langue de bois à force de ne pas vouloir organiser la concurrence non seulement des personnes, mais des programmes. Rien ne dit que cet espace soit idéologiquement structuré, dans la mesure où les valeurs modérées (pluralisme, respect des institutions, débat courtois, valorisation de l'indépendance individuelle et de l'initiative) ne sont que tangentées par tous ceux qui aspirent à l'occuper.