mercredi 15 septembre 2010

Quand un esprit libre se normalise


Dans le public, sur le plateau de « C politique », dimanche soir, j’écoutais François Hollande. J’avais commenté dans mon blog, longuement, son livre d’entretiens ; j’y trouvais une pensée réformiste et modérée, souvent plus audacieuse qu’il n’y parait, et qui parfois me laissait perplexe, en particulier devant certaines concessions, certains survivances. Plus encore, la manière de justifier toujours l’indécision par la situation du moment, le refus constant de prendre le taureau par les cornes me faisaient douter de la possibilité pour cet analyste fin de jouer un véritable rôle politique (autre que celui de premier secrétaire faisant cohabiter des ennemis de toujours) sur le plan national.

La finesse, on l’a retrouvé sur un point, quand François Hollande réagissait à la politique menée contre les « Roms ». Une politique d’immigration, comme une politique sécuritaire, disait-il en substance, doit strictement être menée dans le cadre de la loi. Rien ne nécessite de sortir de ce cadre. Le tout simplement et juridiquement argumenté. Une position à la fois modérée et ferme, solide.

Le reste était décevant. Nul n’avait su plus que François Hollande dans son livre pointer la grande faiblesse du socialisme des années 1980 et suivantes : l’incapacité à rendre compte sur le plan idéologique du tournant de 1983. Le maintien subséquent d’un radicalisme verbal que rien, dans les faits, ne venait corroborer. L’impression donnée d’une capitulation honteuse devant le réel existant, sans rebond. Dimanche soir, ce sont les réflexes du premier secrétaire qui ont repris le dessus. On avait l’impression sur la plupart des sujets d’une panique tranquille de bon élève : ne rien dire qui pourrait faire douter de la capacité du futur candidat Hollande à représenter l’ensemble du parti socialiste, surtout, ne rien dire de trop, et parfois, ne rien dire du tout.
La réforme des retraites ? Le gouvernement s’y prend mal, il faut faire autrement. Rien contre l’oukase de Ségolène Royal, qui, sans mandat de son parti, sans consulter personne, a proclamé que le PS rétablirait la retraite à soixante ans. Une occasion de se démarquer perdue… Oui, nous la rétablirons, mais pour ceux qui auront leurs 41 annuités : les manifestants l’entendent-ils ainsi ? Il faut manifester, s’exprimer au Parlement, et attendre. Cela se tient si l’on avait un projet alternatif crédible : or, François Hollande propose tout simplement de glisser de deux ans les âges prévus par la réforme, 60 au lieu de 62, 65 au lieu de 67, et de financer tout cela par l’impôt. Plus de recettes pour plus de dépenses dans un système déjà déséquilibré… Pas de chiffrage, pas de plan d’ensemble. Cet homme travaille-t-il seul ?

Qu’est-ce qu’être de gauche ? demande l’interviewer. C’est trouver qu’il est juste de payer ses impôts. Le parti socialiste est républicain, mais il pense qu’il est le seul à pouvoir faire vivre vraiment les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Un moment, François Hollande distingue l’égalité de l’égalitarisme : on l’attend ici, il ne s’appesantit pas. Un parti peut-il uniquement vivre en proclamant que ses sympathisants sont de meilleurs citoyens que les autres ? On en doute. Sur le plan de la morale, ceux-là seraient plus égaux que les autres...
Les intellectuels sont-ils critiques vis-à-vis du PS ? On attend une réaction vive. Point. Les politiques prennent des décisions, les intellectuels commentent et ne proposent rien. Bon. Pas faux… Mais entre les deux, il y a l’idéologie d’un parti, au sens le plus neutre du terme. Il y a les programmes qui doivent être en phase avec cette idéologie, quitte à réexaminer les uns et l’autre. Mais il parait plus simple de définir « la gauche » que le socialisme moderne. Le silence était dimanche assourdissant.

En fait, nous sommes là en face d’une grande difficulté des adversaires de Nicolas Sarkozy. François Bayrou l’avait senti, mais n’y est pas resté, tout à sa « rencontre d’un homme et d’un peuple » : le gouvernement est très vulnérable par son mépris des institutions, son peu de souci des contre-pouvoirs, le peu de considération vis-à-vis des contraintes juridiques.

Il existe une tradition qui serait mobilisable : celle du libéralisme politique. Mais le mot est piégé ; Bertrand Delanoë en sait quelque chose. Peut-être que le modéré François Hollande, oubliant qu’il a été premier secrétaire, pourrait y chercher la charpente intellectuelle qui manque trop visiblement, pour l’instant, à son discours. Il ne suffit pas de proclamer qu’il faut des idées : quand on les trouve, il faut les défendre et les adapter à sa famille politique.

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