vendredi 18 juin 2010

A propos de deux commentaires...


Gilles et Robin ont commenté mon dernier post en se complétant sans l'avoir projeté. Le premier pose la question du pessimisme, et le second voudrait savoir ce que je pense du projet d'interdiction du cumul des mandats, que la gauche française porte depuis longtemps sans avoir pu véritablement le faire aboutir.

Penser que la question du régime n'est pas réglée en France, penser même que nous avons un véritable problème de régime, c'est en partie donner un diagnostic pessimiste, puisque nous pouvons classer le régime au nombre des facteurs "structurels" qui déterminent fortement la vie politique française. Penser que nous avons un problème de régime, c'est bien sûr limiter les possibles à l'intérieur de ce régime, puisque c'est estimer que certaines réformes nécessaires, que certaines décisions courageuses ne pourront pas être menées ou prises à l'intérieur de nos institutions.

Le seul optimisme possible serait-il celui du révolutionnaire, version apocalyptique de la célèbre "politique du pire" : l'écroulement est nécessaire, fatal, il va engendre un "mieux inévitable", marchons donc sereinement vers l'avenir en prophétisant la nécessaire et féconde catastrophe? On aura compris que ce n'est pas mon optique.

Je crois que nous devrions chercher une voie étroite entre pessimisme et lucidité. Le révolutionnaire a en partie raison puisque tout blocage saute un jour ou l'autre. (Il a tort en ce qu'il s'en crée toujours de nouveaux.) Je la combinerais l'entremêlerais volontiers avec une autre voie étroite, pour nous dévider un fil d'Ariane : celle qui chemine entre la politique que nous rêvons et celle que nous pouvons faire ou favoriser. Sur le papier, je suis pour un changement de régime ; je pense que la Ve République version post-1962 est en bout de courses et que le rêve même du discours de Bayeux est inapplicable. Dans la pratique, je constate que si ce régime dure, tout en ne satisfaisant personne, c'est bien qu'il doit correspondre à quelques attentes, quelques besoins de la communauté nationale. Ce que je voudrais, c'est que l'on pose la question de nos institutions, que l'on poursuive le brossage entamé par la réforme constitutionnelle récente. Mais aussi qu'on laisse le temps aux réformes déjà faites de produire leurs effets, sous peine de rentrer dans la fébrilité bureaucratique que nous connaissons bien, qui conduit, comme dans l'Education nationale, à multiplier les réformettes irritantes sans plus savoir où l'on va.

La suppression du cumul des mandats, pure et simple, radicale, me paraît la plus intelligente des réformes à réaliser. Difficile sans doute autrement que par référendum, et à la suite d'une campagne présidentielle où elle serait annoncée. Elle favoriserait une bonne gestion des finances publiques : les députés qui prescrivent les dépenses ne seraient plus en même temps les représentants des communautés locales qui, bien souvent, en bénéficient. Elle conduirait à une prise en compte plus grande, face à l'exécutif central et dans les médias, des différentes assemblées : quand on n'a qu'un mandat à la fois pour construire sa carrière politique, on le valorise. Elle favoriserait enfin mécaniquement un renouvellement raisonnable de la classe politique.

Je ne vois pas d'inconvénient à cette réforme. L'enracinement du député me paraît un argument très faible, et je me suis étonné de voir Christophe Barbier, d'ordinaire si lucide, le défendre. En ce moment, c'est la nation qui n'est pas représentée, pas le Tarn-et-Garonne, l'agglomération liloisse ou la région Ile-de-France. Je pense que cette réforme, parce qu'elle donnerait une visibilité plus grande à tous les échelons de la vie politique, en engendrerait d'autres, et permettrait de mieux démêler l'écheveau des compétences entremêlées. On pourra préférer une démarche plus progressive que celle que je préconise : la direction m'importe plus que la vitesse.

Je sais que les élus n'y sont pas favorables, et c'est normal : le système actuel offre plus de sécurité. Tout groupe d'autre part a tendance à organiser sa propre clôture, quitte à ensuite clamer sur tous les chemins sa soif de diversité. J'insiste surtout sur le découplage entre le national et le local : de même que la construction européenne et la montée en puissance des organisations internationales supposent des objectifs nationaux clairement formulés, la décentralisation, même inachevée, rend plus que jamais nécessaire que des personnes se sentent investis de la représentation du pays dans son ensemble.