mercredi 25 janvier 2012

La fin d'un cycle ?

Nous arrivons, semble-t-il, à la fin d’un cycle, ou au moins d’une période. Celle-ci, en France, a commencé en 1988. De 1958 à 1988, en effet, tous les gouvernements de la Cinquième République, y compris celui de la première cohabitation (1986-1988), ont procédé à des réformes qui ne visaient pas seulement à s’adapter en catastrophe à la réalité présente, mais à anticiper l’avenir. Après 1988, la volonté réformatrice de quelques-uns des gouvernants ne s’est pas éteinte, mais leur fragilité politique, dans une période d’alternances répétées (de 1988 à 2002, aucune majorité législative sortante n’a été reconduite) les a conduit à limiter leur action. De plus, la profonde incertitude idéologique qui a frappé socialistes et gaullistes, devenue manifeste, était un frein considérable au traçage de perspectives à long terme.

Après 1988, nous sommes entrés dans l’ère de la modernisation contrainte. Les gouvernements, quand ils en ont eu le courage, se sont échinés à faire tolérer à une opinion rétive des réformes d’ajustement. La France se modernise bien, mais comme à reculons. Si les forces de gouvernement ont été durement sanctionnées (et pas seulement le parti socialiste) aux élections présidentielles de 2002, ce n’ était pas seulement parce que les deux principaux candidats, Lionel Jospin et Jacques Chirac, n’avaient pas fait campagne, mais aussi parce qu’une crise de confiance importante secouait le pays, crise que la volonté de clarté de Lionel Jospin n’a pas réussi à répondre. On peut lire pareillement l’échec du référendum sur le projet de constitution européenne en 2005.

Je me souviens des lendemains de 2007. Après une élection très mobilisatrice, beaucoup ont cru que nous sortions d’une période floue et indécise, à droite comme à gauche : Nicolas Sarkozy allait mener une politique clairement identifiable, et la gauche, après trois échecs successifs aux élections présidentielle, allait être obligée de se renouveler.

J’ai déjà essayé dans ce blog de démêler le bilan de Nicolas Sarkozy, masqué par la désorganisation de l’action gouvernementale. On trouve quelques réformes de fond (l’autonomie des université, la révision constitutionnelle, la création des conseillers territoriaux…), mais plus de chantiers ouverts que de réformes profondes. La multiplication des chantiers s’est faite au détriment de réformes abouties et surtout au détriment du dégagement de perspectives claires. Quant au parti socialiste, s’il a remis en ordre ses fondements idéologiques, avec la déclaration de principes de 2008, il a plus terminé sa mue en parti de gouvernement commencée en 1981 que montré sa capacité à indiquer les axes majeurs d’une action politique cohérente.

L’indécision politique, qui domine depuis 1988, a eu un coût financier important et une condition de possibilité : l’accroissement de la dette. Nous avons eu trente ans pour adapter le modèle social français et pour accomplir la modernisation de l’État lui permettant de retrouver des marges de manœuvre. Ces trente ans ont été perdus. Chaque fois que nous avons laissé en l’état quelque chose que nous ne pouvions plus financer, chaque fois que nous avons renoncé à moderniser l’État, le maintien plus ou moins complet de l’existant a été financé par le déficit, et donc par l’accroissement mécanique de la dette.
La crise des dettes souveraines, c’est la fin obligée de l’indécision politique. Les dirigeants français, et ceux qui aspirent à l’être, ont perdu la manne qui leur permettait de tenter de contenter tout le monde, et de maintenir dans un monde qui change à grande vitesse des structures inadaptées. La nouvelle période commence brutalement et paradoxalement, sous le signe d’une certaine impuissance politique : on le voit dans la campagne : les principaux candidats semblent n’avoir plus rien à promettre, ou, plus brutalement, plus rien à vendre qu’eux-mêmes et quelques décisions symboliques. Et il est possible que l’élection se joue ainsi – dans ce cas, la bonne performance oratoire de François Hollande, le week-end dernier, est un atout très sérieux.

Nul ne songe à se réjouir de la crise. Mais qui dit crise dit mutations. La crise que nous vivons est grosse d’une mutation politique : la modernisation contrainte du modèle français ne peut plus être envisagée pièce à pièce, là où le vaisseau prend l’eau de manière trop manifeste. Paradoxalement, l’urgence rend encore plus nécessaire une perspective de long terme. Ni l’UMP, idéologiquement carbonisée, ni le Parti socialiste, malgré la modération de son programme, ne possède ce type de perspective. Mais le futur gouvernement, quel qu’il soit, parce qu’il ne peut compter ni sur la manne publique, ni sur l’état de grâce, est condamné à plus de cohérence, à plus de vérité face à l’opinion, condamné à faire des choix clairs : il ne pourra plus croire qu’il pourra contenter tout le monde en laissant filer la dette qui ne peut plus filer – il sera obligé de choisir s’il veut au moins contenter une partie de l’opinion et pouvoir revendiquer le service de l’intérêt général.

mardi 17 janvier 2012

Des difficultés de François Hollande

Le démarrage de campagne de François Hollande est bien difficile. Certes, le candidat montre une pugnacité et une réactivité à la hauteur des enjeux. Cependant, il commence cette campagne dans une situation qui ne lui est pas favorable, puisque que l’actuel président est particulièrement à son aise dans les périodes de crise, et que l’enchaînement des événements place le favori des sondages dans une alternative douloureuse.

Première possibilité : François Hollande se positionne sur toutes les étapes des négociations, sur toutes les mesures prises par l’actuel gouvernement, et il risque d’une part d’apparaître comme la mouche du coche, et d’autre part de perdre la maîtrise de sa campagne. En effet, ce sont les décisions de Nicolas Sarkozy – et ce dernier continue à en prendre – et ses initiatives, comme de rouvrir le dossier de la TVA sociale, qui font événement. En 2007, le candidat Sarkozy avait pris en main l’agenda des présidentielles, et ne l’avait pas lâché jusqu’à la victoire ; manifestement, il tente aujourd’hui de reproduire cette stratégie.

Seconde possibilité : François Hollande prend une certaine distance, partant du principe que le gouvernement gouverne et qu’il prépare l’alternance. Le risque est alors d’apparaître déconnecté des enjeux très concrets de la crise des dettes souveraines ; surtout, il importe alors d’avoir un programme à la fois précis et crédible.

Les annonces qui seront faites le 21 janvier vont donc être déterminantes, parce qu’elles conditionnent en grande partie la possibilité pour le candidat socialiste de reprendre la main qu’il a pour l’instant perdue dans cette campagne électorale, et d’éviter des dérapages comme celui concernant le quotient familial, que nous avons connu il y a peu.

Nicolas Sarkozy réussit pour l’instant à maîtriser l’agenda de la campagne alors qu’il n’a pas de programme. François Hollande n’est pas en position, pour l’instant, de profiter de cette dernière faiblesse.

Si la désignation du candidat avait été faite plus tôt (comme le souhaitait d’ailleurs François Hollande) et liée plus clairement au choix d’un programme, les choses seraient plus aisées pour l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste. Il aurait eu le temps d’enfoncer le clou sur ses propositions principales, de familiariser l’électorat avec elles. J’ajoute que la campagne y aurait certainement gagné en qualité.

Faire d’abord un programme, désigner ensuite le candidat, le charge ensuite à la fois de faire campagne et de définir son programme présidentiel par rapport au programme du parti, c’est placer le candidat dans une situation presque inextricable. C’est aussi, finalement, limiter dramatiquement les possibilités de choix politiques offertes aux Français qui votent pour les partis de gouvernement.

Bien sûr, cela ne condamne pas François Hollande à l’échec. On ne sait pas quel effet la perte du triple A aura sur l’opinion, et il peut encore se passer bien des choses d’ici le premier tour. Je voulais juste souligner ici l’insuffisance du système des primaires, non pas en lui-même, mais tel qu’il a été mis en œuvre, comme adaptation du Parti socialiste au système de la Vème République post-1962.

Tout l’enjeu de la réflexion institutionnelle, et tout l’enjeu de la réflexion organisationnelle qui s’impose aux grands partis politiques français, c’est bien de contrebalancer le risque inhérent au fait que l’élection présidentielle est devenu l’élection décisive de la vie politique française. Georges Pompidou l’avait compris très tôt, qui avait inventé le terme de « majorité présidentielle ». Lionel Jospin et Jacques Chirac avaient montré à quel point cette logique était intériorisée par les acteurs politiques en inversant, en 2002, le calendrier électoral, qui prévoyait que les législatives devaient se tenir avant les élections présidentielles.

Le seul moyen désormais, pour les grands partis, de ne pas être complètement évacués du débat politique, c’est de lier la compétition pour l’élection présidentielle, le débat programmatique et même, à mon sens la question du leadership du parti. D’une certaine manière, l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 est de ce point de vue canonique : prise de contrôle de l’UMP, organisation d’une série de conventions pour construire un programme, thèmes de campagne bien identifiés et pouvant être martelés.

Le parti socialiste a certainement plus de familiarité avec le débat interne et plus de diversité que l’UMP. Il lui faut préserver cette habitude de la discussion en l’insérant dans une organisation apte à favoriser, pour les électeurs, la tenue d’un discours clair et concret.

Pour l’heure, et sauf une bonne surprise le 21 janvier, le débat de la campagne reste un débat par ricochets, qui porte sur des mesures isolées, non sur une politique cohérente.

mardi 3 janvier 2012

De la pédagogie en politique


Le débat sur la TVA sociale fait ressortir de manière particulièrement appuyée une caractéristique du paysage politique de ces vingt-cinq dernières années en France (et peut-être, plus largement, dans les pays développés). Mais commençons par la question elle-même.

La question de savoir si la mesure est efficace pour redresser les finances publiques et encourager la production française peut être discutée. Et cela nous fera du bien, après un mois de puérilités du type "achetons français". (C'est très bien d'acheter français et d'encourager les entreprises françaises, mais faire croire que cela règlera le problème de notre déficit commercial, c'est de la part des responsables encourager sciemment une approche puérile des faits économiques.) En gros, il s'agit de taxer la consommation plutôt que le travail, et de faire le choix d'une augmentation d'un impôt indirect plutôt que de l'impôt direct.

Le candidat François Hollande avait plutôt misé, outre sur l'abandon du "bouclier fiscal", sur une réforme de la fiscalité pour redresser les comptes publics (je laisse de côté la perspective d'une "relance" de l'économie, qui ne peut être que sectorielle et ne donnerait des fruits, si elle en donne, qu'à long terme). Il avait de vastes projets, dont certains ont déjà disparus, comme celui d'élargir l'assiette de l'impôt direct. C'est qu'un foyer fiscal sur deux, en France, est dispensé d'impôt sur le revenu.

La refonte de la fiscalité est une idée louable ; le système français est opaque, bardé d'exemptions diverses et passablement injuste. Il est tout à fait légitime que le candidat du parti socialiste propose un système plus juste. L'inconvénient est qu'une mise à plat du système sera longue, et surtout qu'elle ne rapportera pas plus à l'Etat. Nous aurions un système plus juste, peut-être moins dissuasif pour la production, et ce serait très bien, mais l'Etat et les collectivités publiques, qui prélèvent déjà environ la moitié de la richesse produite chaque année, n'auront pas plus d'argent, et ce d'autant plus qu'une réforme de cette ampleur... commence par coûter de l'argent.

Donc, vive la TVA sociale ? Pourquoi pas ? Après tout, un impôt sur la consommation, surtout s'il est modulable, permet aussi de faire payer les "riches". Et puis, les impôts indirects rapportent déjà en France bien plus que les impôts directs, sans que cela émeuve grand monde. D'autre part, les produits importés seraient soumis à cet impôts, et contribueraient ainsi au financement de l'Etat-Providence.

Je ne trancherai pas le débat à moi tout seul, mais autre chose m'intéresse, que nous saisissons là : quand Jean-Louis Borloo, en 2007, avait évoqué la TVA sociale, Laurent Fabius avait vivement contre-attaqué, et, à droite, on avait vu dans cette évocation et dans cette contre-attaque des facteurs des résultats relativement décevants pour la droite des élections législatives.

L'idée sentait désormais le souffre... On n'en parlerait plus désormais. Et revoilà le serpent de mer. Si finalement, sauf à empiler les plans de rigueur, nous avions là la manière la moins coûteuse économiquement, et peut-être même socialement, de redresser nos comptes publics, dont tout le monde sait qu'il faut les redresser. Si cette mesure était tout simplement indispensable ?

J'entends d'ici la déploration générale sur le politique qui devrait se soumettre à la contrainte économique. Oui, cela arrive. Où sont les temps bénis où l'économie était soumise à la politique ? Comme historien, je les cherche en vain. Oui, parfois, on n'a pas vraiment le choix, ou un ensemble de choix assez restreint.

La seule solution, dans ce cas là, c 'est d'expliquer pourquoi on va prendre telle ou telle mesure, et la manière dont on va la prendre. Et cela prend du temps. Pour la TVA sociale, c'est tout ce temps qui a été perdu entre 2007 et maintenant. Peut-être qu'au cours d'un long débat, la mesure se serait affinée, subtilisée. Peut-être qu'on se serait rendu compte que ce n'est pas la bonne mesure et que d'autres solutions (ce dont je doute) existent ? Peut-être que l'on pourrait arrêter de prendre les électeurs pour des enfants ?

Et si c'était, au fond, le seul avantage de cette campagne électorale où il n'y a rien à promettre ? Mais comme il est dommage que les principaux candidats n'aient, au fond, pas encore de programme ! A quatre mois du scrutin... Cela aurait pu amener des discussions utiles. Ah oui, j'oubliais : on a découvert tout de même pour l'instant au cours de la campagne cette recette miracle : acheter français...