jeudi 19 avril 2012

Au fil d'une campagne

Je reproduis ici, pour les lecteurs de ce blog, les chroniques données chaque semaine, depuis un mois et demi, au "blog des experts" du site du journal La Croix.


A quoi sert le clivage droite/gauche ? Publié le 06/03/2012

Le paysage de cette élection commence à se dessiner clairement. Quand bien même les sondages oscillent, ce qui domine est tout de même une certaine stabilité des intentions de vote concernant les principaux candidats, stabilité que nous pouvons mettre en rapport avec les clivages de la culture politique française.

Première classification possible : l’axe droite-gauche. Pour la traduire dans cette campagne, nous devons lever une hypothèque, celle du positionnement de François Bayrou. Comment situer les Français (entre 10,5 et 15 %, peut-être 13 % selon les récents sondages) qui s’apprêtent à voter pour lui ? Après la percée de 2007, due en grande partie à l’afflux d’électeurs de gauche ne se retrouvant pas dans la candidature de Ségolène Royal, de déçus de l’écologie politique, s’ajoutant à un noyau centriste traditionnel (donc de centre droit), l’échec de la construction du Modem comme force politique pérenne a replacé son leader dans une position plus classique.

Comme François Hollande n’effarouche pas les électeurs de centre gauche, il me semble qu’au-delà d’un noyau de votes représentant l’adhésion à son projet d’un centre indépendant, François Bayrou se trouve, alors que son discours s’est souvent éloigné du ton et des thématiques habituelles des centristes, et qu’il n’a pas vraiment évolué, rallier essentiellement les suffrages d’électeurs du centre droit. La stratégie sarkozyste inaugurée par le discours présidentiel de Grenoble (30 juillet 2010), la mise en avant de Brice Hortefeux, puis de Claude Guéant, ont rendu cet électorat de droite modérée disponible. La vraie-fausse candidature de Jean-Louis Borloo, le manque de charisme d’Hervé Morin, la solitude criante de Dominique de Villepin ont laissé à François Bayrou un espace, qui lui vaut un électorat potentiel peu enthousiaste mais relativement assuré.

Nous considérerons donc les suffrages virtuels se portant sur le leader du Modem comme des suffrages de centre droit.
Dans cette hypothèse, les candidats portés par un électorat de droite totaliseraient au premier tour e plus de 55% des voix, et l’axe de la politique française reste à droite. Face à cela, la gauche passe les 40 %, mais, pour l’instant, de justesse.

Bien évidemment, cette avance de la droite est en trompe-l’œil sur le plan des résultats de l’élection : Jean-Luc Mélenchon a marginalisé l’extrême gauche, et reste un partenaire potentiel, quoique d’un maniement difficile, pour le Parti socialiste dont il est issu, tout comme le fut le Parti communiste sur lequel il s’appuie, tandis que le Front national mise clairement sur la défaite de la droite républicaine – qui elle-même ne quête pas officiellement son soutien. La gauche, quoique minoritaire sur le total de ses candidats de premier tour, est plus soudée que la droite, et plus attractive si l’on tient compte de la popularité de François Hollande et du rejet persistant de Nicolas Sarkozy.

Le second clivage serait plus opérant, me semble-t-il, pour comprendre ce qui est en train de se passer. Il oppose ceux qui acceptent globalement les engagements européens de la France, qui sont conscients de la nécessité d’un désendettement et d’une réduction des déficits publics, et ceux qui sont davantage dans une logique de contestation globale du système. Cela mène à une répartition tripartite, qui pousse des racines profondes dans la politique française : après la Révolution française, on distinguait ainsi les « rouges », qui assumaient la Terreur, les « bleus », qui voulaient s’en tenir à la révolution plus libérale de 1789, et les « blancs » qui affirmaient leur fidélité à la France catholique et royale.

On compte alors ensemble les intentions de vote qui se portent sur François Hollande, François Bayrou et Nicolas Sarkozy, ce qui aboutit à un groupe central, modéré, rassemblant actuellement plus de 65% des suffrages, soit les deux tiers de l’électorat de cette présidentielle. La gauche radicale (Jean-Luc Mélanchon et Eva Joly) rassemble pour l’instant un peu plus de 10% des suffrages, et Marine Le Pen oscille entre 14 et 19 % des voix. Dans la situation actuelle, il y aurait là matière, comme en rêvent François Bayrou depuis longtemps, comme l’a souhaité aussi Dominique de Villepin, a constituer pour quelques années un gouvernement d’union nationale, comme le fit Raymond Poincaré en 1926 face à la crise financière. Mais la logique même de la présidentielle l’interdit ; le seul moment où cela aurait été possible, c’était après la victoire de Jacques Chirac en 2002, élu avec des voix de droite, du centre et de gauche – et pour cause.

Une majorité de Français sont résignés face à la crise. Ils savent que des mesures difficiles devront être prises, et que le prochain président n’aura pas la tâche facile. L’union nationale permettrait sans doute un discours de vérité : il faudra prendre des mesures impopulaires. L’union nationale permettrait également de mobiliser le seul réservoir d’enthousiasme et de valeurs dans une situation de crise : la nation, conçue largement, et non à la manière des nationalistes. Puisque cette union est impossible au sortir du second tour droite/gauche qui s’annonce, le clivage droite-gauche dans la situation où nous sommes sert essentiellement de réservoir démagogique, où, si l’on préfère, d’usine à rêves : « faire payer les riches », renégocier des traités européens sur la seul bonne mine des futurs gouvernants français d’un côté, s’en prendre aux professeurs dont on confond les heures de cours et le temps de travail et enclencher les sirènes sécuritaires de l’autre. Il s’agit de se situer au cœur de la gauche ou de la droite en se liant les mains le moins possible.

Finalement, c’est une sorte de réalisme atténué qui s’impose, et fait passer le sentiment de la réalité au travers de la moulinette de nos institutions post-1962. Quelle que soit l’issue du scrutin, les futurs événements de la campagne, les dérapages, décrochages ou envolées des uns ou des autres, sur lesquels les médias sont prêts à sauter pour les amplifier, nous entrons dans l’ère d’une politique sans promesses spectaculaires. Mais devons-nous le regretter ? Pour l’instant, le rêve a été vendu à crédit aux électeurs, et la dette publique a servi à combler l’écart entre les discours et la réalité. Nous sommes, au fond, curieux de voir émerger un pragmatisme politique qui peine à naître dans le carcan de cette élection.

Le retour du plan B ? publié le 13/03/2012

Au cours de la campagne du référendum de 2005, concernant la ratification du traité constitutionnel européen, Laurent Fabius s’était illustré en affirmant l’existence d’un « plan B » qui permettrait à la construction européenne de ne pas pâtir du « non » français; des perspectives de renégociation existaient, qui permettraient d’avancer vers une Europe moins « libérale » et plus « sociale ».

Lors des primaires de 2006, où il était opposé à Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn, il fut attaqué sur ce point, et répliqua : «le plan B, c’est le projet socialiste ! ». Il faut dire que cela ne l’empêcha pas de dominer largement ce débat consacré à la politique internationale, le troisième… et sans doute le moins influent sur le choix des militants socialistes.

En janvier 2009, une intervention de Laurent Fabius à l’Assemblée nationale fut accueillie par un « Le plan B, le plan B ! » ironique scandé par quelques députés UMP. Si l’anecdote ne donne pas une très haute idée de la vie parlementaire, elle est révélatrice : la promesse d’un plan B est devenue comme un symbole de la démagogie.

La leçon a-t-elle été retenue ? Fort peu le sont, à vrai dire, en politique. Nous ne sommes pas au bout de la séquence ouverte en 2005, et il serait trop facile d’en rejeter la responsabilité exclusive sur le camp du « non », par myopie européiste. Les deux candidats dont on suppose qu’ils seront au second tour sont d’ailleurs d’anciens « oui-istes ».

Le camp du « oui » avait été peu convaincant en 2005, entre autres parce que depuis plusieurs années, la classe politique française avait pris l’habitude de se servir de l’Europe uniquement comme alibi ; les quelques réformes impopulaires et nécessaires étaient mises sur le dos de la contrainte européennes. L’Europe n’était jamais présentée comme un levier de modernisation.
Aujourd’hui, les traités européens sont des enjeux de la campagne électorale : le pacte de stabilité signé par 25 pays sur 27 le 2 mars pour la gauche, la convention de Schengen, signée en 1985, généralisée en 1997, et dont le fonctionnement a été réformé en 2007 par le traité de Lisbonne, pour la droite.

A gauche, on envisage de renégocier un traité dont la mise en place a été particulièrement difficile avant sa ratification, avec comme seul argument la légitimité accrue dont bénéficierait la parole française après l’élection présidentielle ; Nicolas Sarkozy, quant à lui, demande la mise en place de sanctions pour les pays qui ne contrôleraient pas suffisamment l’entrée des immigrants, et envisage si nécessaire une sortie provisoire de la France de l’espace Schengen.

François Hollande veut se couvrir sur sa gauche, Nicolas Sarkozy sur sa droite. Avantage : les promesses sur la croissance ou le contrôle de l’immigration dépendent ainsi de nos partenaires européens, qui sont désignés dès maintenant comme les responsables de leur future non réalisation. Inconvénient : au nom d’une Europe idéale, d’un côté comme de l’autre, on tape sur l’Europe présente. De fait, on rend l’Europe responsable de problèmes qui sont au premier chef ceux de notre pays, et de la manière dont il est gouverné depuis une trentaine d’années.

Bien sûr, il faut, si l’on veut poursuivre une construction européenne qui n’a jamais été populaire, contrairement à une légende tenace, articuler un discours national et un discours européen. Les incantations fédéralistes ont souvent donné l’impression que la dimension nationale, pourtant très prégnante dans le quotidien des Français – et en particulier des plus modestes, était jetée aux oubliettes. Mais il est déplorable que cela se fasse en opposant ces deux dimensions ; la France grande en Europe est une France crédible en Europe. Contrairement à ce que répètent les socialistes depuis plusieurs mois, le bilan de Nicolas Sarkozy, de ce point de vue est positif. Mais il est dommage que l’on serve aux électeurs français de droite ou de gauche le brouet du nationalisme velléitaire, plutôt que celui d’un patriotisme éclairé.

Une France forte est une France qui tient ses engagements, qui fait des propositions, qui est là, comme elle l’a été dans la crise des dettes souveraines, pour parer à l’urgence, pour prendre des initiatives, mais qui sait aussi tracer des perspectives de moyen terme, sans donner l’impression aux électeurs que nos partenaires sont en fait des adversaires.

On comprend bien les logiques stratégiques de François Hollande et de Nicolas Sarkozy ; il ne s’agit pas de les accabler dans cette élection difficile où il est difficile de formuler des promesses crédibles et de proposer des mesures attractives. Mais attention au retour du plan B : l’Europe serait encore affaiblie, dans l’opinion française, par des lendemains d’élection qui déchantent.

Jean-Luc Mélenchon : retour à 1981 ? Publié le 20/03/2012

La trêve de la campagne liée à l’horreur de Toulouse va-t-elle réellement changer la donne ? Je ne le crois pas ; la politique va très vite reprendre ses droits, qu’elle n’a d’ailleurs pas tout à fait perdus. Cette trêve est louable et nécessaire, elle est profondément républicaine, en ce qu’elle manifeste ce qui nous unit au plus profond ; elle ne saurait se prolonger sans dérapage.

Plusieurs commentateurs, comme Laurent Joffrin, estiment qu’elle aura un effet, que les discours se feront plus apaisants, de peur de paraître nourrir la violence – je crois qu’il n’en sera rien. Les stratégies des uns et des autres ne sauraient s’infléchir brusquement sans donner l’impression d’un opportunisme malsain. Tout au plus les fleurets seront-ils mouchetés quelques jours, voire quelques heures.

La question est de savoir si cette pause obligée est susceptible de gêner les dynamiques observables depuis une quinzaine de jours : la remontée de Nicolas Sarkozy et l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon. Dynamiques encore assez fragiles, et limitées si l’on suit les sondages : l’actuel président fait jeu égal avec François Hollande au premier tour, et le candidat du Front de gauche oscille entre 10,5 et 11% des intentions de vote.

La trêve tombe mal pour Jean-Luc Mélenchon, trois jours après le succès du rassemblement de la Bastille le dimanche 18 mars ; mais elle ne saurait remettre en question les succès qui sont d’ores et déjà les siens.

Tout d’abord, la mobilisation militante. Jean-Luc Mélenchon accomplit le rêve ancien des trotskystes, celui en particulier d’Olivier Besancenot, celui aussi que caresse de longue date Lutte Ouvrière : réaliser une OPA sur les restes du Parti communiste. Compléter, au moins le temps d’une campagne, les militants communistes encore relativement nombreux, avec leurs fortes implantations locales, par un afflux de nouveaux militants qui avaient déjà commencé à se rassembler dans le Parti de gauche.

Ensuite, l’occupation du terrain du « non » de gauche de 2005, l'attraction de déçus de l’écologie politique radicale (ce qui peut sembler paradoxal au vu de l’héritage communiste en ce domaine), et le recyclage électoral des « indignés ». Ni Eva Joly, ni les candidats trotskystes ne sont en mesure de concurrencer Jean-Luc Mélenchon dans le rôle de porte-parole du vote protestataire de gauche.

Enfin, la visibilité : on déteste ou on adore, mais Jean-Luc Mélenchon « passe » bien. Il est audible, et sait même jouer sur un mélange de masochisme et de calcul du journalisme télévisuel, sur le mode « il nous déteste, mais c’est un bon client, avec lui il se passe toujours quelque chose ». La manière dont sa « montée » a été fortement mise en avant alors que les sondages ne montraient tout de même rien de très spectaculaire, au-delà d’une bonne performance perceptible depuis assez longtemps, montre aussi à quel point il y a une attente d’événement dans une campagne qui paraît jouée d’avance.

Reste le fond, dont témoigne assez bien le discours du 18 mars. Mélenchon réactive avec talent la mouvance « rouge » (« le drapeau rouge et le rouge du drapeau ! », assène-t-il, et plus loin : « Mettez à la mode la couleur rouge ! ») présente en France depuis la Révolution française. Aspiration à la démocratie directe, antiparlementarisme, mise en avant de l’égalité comme valeur prioritaire : quand il développe dans son discours le commentaire, de la devise républicaine, il intervertit, dans son développement, l’ordre de ses deux premiers termes : l’égalité passe avant la liberté.

C’est dans la mouvance « rouge » porteuse de l’idée de République sociale, que le socialisme, puis le communisme du temps de sa splendeur, ont trouvé leurs marques. Pour les "rouges", 1789 n’est qu’un début, et il faut achever la Révolution en lui donnant un contenu social – c’est ainsi que le candidat invoque Jaurès, pour qui les Français, « rois dans la cité » depuis la Révolution française, doivent le devenir aussi dans l’entreprise. La démocratie sociale, idéal des socialistes réformistes du XXe siècle, est de retour.

Sur le fond, c’est du démocratisme pur : rien ne doit contrarier l’expression de la « souveraineté nationale », identifiée à la souveraineté du « peuple » qui peut « s’insurger ». Mais Jean-Luc Mélenchon est, au fond, un modéré parmi les rouges : son « insurrection citoyenne » commence par le bulletin de vote. Comme pour les indignés, il s’agit de faire une nouvelle constitution, dont on voit mal comment à elle seule, elle résoudra les difficultés financières – qu’importe, la souveraineté nationale ne se laissera pas arrêter par la réalité économique. Nous sommes dans le politique pur et tout puissant (toute autre démarche relèverait du libéralisme honni), mais nous sommes dans une curieuse lecture légaliste de la révolte et de l’insurrection, malgré le coup de chapeau appuyé à la Commune de Paris.

C’est au nom de la démocratie que le camp du « non » de gauche s’estime trahi par le traité de Lisbonne. Ce raisonnement se tient ; encore faut-il ajouter que le camp du « non » a été tout autant trahi par ses chefs, qui n’avaient pas grand-chose à proposer en termes d’alternatives européenne et nationale praticables.

Mais ne chicanons pas : Jean-Luc Mélenchon, démocrate et légaliste, n’est pas un homme d’extrême gauche. Il est un homme de l’union de la gauche. La Bastille a été le lieu du grand rassemblement antifasciste de 1935, acte de naissance officiel du Front populaire : il l'évoque et s'en réclame. C’est un rouge intégré, qui n’a pas le projet d’user de la violence révolutionnaire. Il a, en outre, pris en compte, comme toute la gauche française, de nouvelles problématiques : le féminisme, l’écologie, les revendications des homosexuels. Ce n’est pas un homme du XIXe siècle, ni un attardé des années 1930.

Par contre, je ne peux me déprendre d’une impression tenace : celle d’un retour à 1981. Nous avons déjà connu ce mélange de légalisme et de rhétorique révolutionnaire. Ce volontarisme politique proclamé hautement. Cette invocation du peuple, quand bien même Mélenchon n’a pas employé dans son discours l’expression de « peuple de gauche », ni le terme de « classe ». Mais il évoque la lumière qui vient au printemps, et l’on songe au passage de « l’ombre à la lumière » cher à Jacques Lang. Il affirme vouloir tourner la page de « l’ancien régime », ce que les socialistes prétendaient faire en 1981, désignant par cette expression le septennat de Valéry Giscard d'Estaing.

L’expression n’avait eu qu’un temps. Pour justifier le droit à l’insurrection, en bon « rouge », Jean-Luc Mélenchon invoque la déclaration des droits de l’homme… de 1793 qui, rédigée en pleine Terreur, n’entra jamais en application. Quand il évoque l’histoire du « bon endroit » où il se trouve –la place de la Bastille – pour commencer un grand changement, il ne cite pas la manifestation du 10 mai 1981. Est-ce parce qu’alors, selon le mot de François Mitterrand, les ennuis commençaient ? Le socialisme du Front de gauche reste celui qui rêve de ne pas avoir vécu le « tournant de la rigueur » de 1983. Est-ce bien celui qui, au fond, veut exercer le pouvoir ?

Une élection en trompe-l’œil et en filigrane. Publié le 27/03/2012.

Une élection en trompe l’œil et en filigrane… Raymond Aron présentait la réalité historique comme essentiellement ambiguë ; il est certains moments où cette ambiguïté paraît à nue, il est de ces moments où, comme le disait Tocqueville, l’observateur se réjouit et le citoyen souffre.

Cette élection est d’abord une élection du non-dit. Les deux principaux candidats ne peuvent exposer aux Français la politique qu’ils mettront en œuvre, et sont conduits à présenter des mesures dont l’insuffisance, par rapport à la situation, est criante ; non pas parce qu’ils seraient d’épouvantables menteurs ou de sombres démagogues, mais tout simplement parce qu’ils savent que si une large de majorité de Français sentent qu’il leur faudra consentir à des sacrifices importants, ils ne sont pas prêts à les approuver. Il faudra tout ce qu’on nous propose : payer plus d’impôts, aussi bien directs qu’indirects, attendre moins de l’État, travailler davantage, rompre avec beaucoup de nos habitudes dans une France qui ne pourra plus vivre à crédit. Il faudra cela et davantage encore. Mais c’est beaucoup demander aux Français que de vouloir qu’ils approuvent tout cela par avance.

L’endettement du pays a été depuis une trentaine d’années la solution pour maintenir le plus possible les choses en l'état, en particulier pour ne repenser qu’à moitié les systèmes garantissant tant bien que mal la solidarité sociale. Or, mettre toujours plus d’argent dans des structures qu’on ne réformait qu’à la marge est désormais impossible. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra remettre à plat le « modèle français » sans pouvoir offrir de compensations.

Les compensations, on les offre pendant la campagne, sous forme de grands mythes.

À gauche, on se plait à imaginer que l’État puisse créer de la croissance, ou qu’une simple victoire électorale nationale donnerait un élan qui permettrait la renégociation de traités européens que nos partenaires ne veulent pas renégocier ; que la technostructure qui a été incapable de réformer l’État français est capable de définir une stratégie économique d’ensemble. Que la dépense publique est susceptible, en économie ouverte, de créer de la croissance. Que le souci louable de protéger l’environnement peut dynamiser l’économie.

À droite, on fustige les « corps intermédiaires », syndicats, voire milieux professionnels dès qu’ils sont un peu structurés, comme les magistrats, dont en fait on ne peut se passer, qui sont des contrepouvoirs sociaux et politiques indispensables, et qu’on identifie purement et simplement à la défense des intérêts acquis. On veut faire croire que l’autoritarisme, inefficace dès qu’il s’agit de mettre en œuvre des réformes complexes, peut être la solution magique. Et l’on alimente les peurs liées à l’insécurité, un problème qui, précisément, nécessiterait pour recevoir un commencement de solution une écoute très fine de la police, de la justice – et aussi une grande réflexion le système carcéral.

À gauche, on veut faire rêver et on ne fait rêver que les militants. À droite, on se crispe sur un monopole illusoire de compétence.

Au centre, François Bayrou cherche bien à porter l’idée d’une union nationale, et il le fait parfois avec un certain lyrisme, comme dans son discours de dimanche dernier :

« Il est des valeurs de gauche que j’aime et dont la France aura besoin : le partage, lʼattention au plus faible, la générosité. Il est des valeurs de droite que jʼaime et dont la France aura besoin : lʼesprit dʼentreprise, le sens de lʼeffort, la fierté nationale. Et le centre a ses valeurs, dont on aura besoin : la solidarité, lʼesprit de justice, lʼidéal européen. »

Une telle répartition est toujours schématique ; j’aurais placé la justice plus à gauche et ajouté au centre le souci de l’équilibre. Et puis, ces valeurs sont des priorités, il n’y a pas une humanité de droite, une de centre et une de gauche, chaque camp peut partager les valeurs de l’autre quand bien même elles ne se traduisent pas en priorité politique. Mais j’avoue avoir trouvé ce discours rafraîchissant, tant l’affrontement droite-gauche entre François Hollande et Nicolas Sarkozy paraît artificiellement antagonisé, tant je suis parfois fatigué du culturisme politique.

On peut faire crédit à François Bayrou d’une justesse de coup d’œil : il voulait l’union nationale dès 2002, et elle aurait alors été déjà pertinente, il a plus tôt que les autres insisté sur le problème de la dette. Mais la réforme de 1962 qui a institué l’élection du président de la République au suffrage universel a bipolarisé la vie politique, et François Bayrou n’a pas réussi, lui-même, à constituer à partir du modem un véritable rassemblement. Il reste dans la position solitaire qui correspond à son tempérament et à son ambition. Et d’une certaine manière, il reste lui-même tributaire d’un mythe politique, celui du sauveur.

François Hollande et Nicolas Sarkozy peuvent encore sortir de leurs manches quelques mesures ponctuelles, préparées à hâte et nécessairement imprécises. Mais ce n’est pas dans le peu de temps qui reste avant l’élection que nous verrons surgir ce qui pourrait ressembler à un programme. Ce serait le travail des partis pour les législatives, mais nous savons déjà que la campagne se bornera à la reprise amplifiée du mot d’ordre « donnons au vainqueur (de la présidentielle) la possibilité de travailler ».

Le non-dit comme la reprise de mythes usés et peu crédibles explique en grande partie l’impression d’un surplace. Certes, Jean-Luc Mélenchon monte dans les sondages, mais il est probable qu’il connaîtra le destin de Jean-Pierre Chevènement en 2002 ou de François Bayrou en 2007 : une retombée plus ou moins forte si, à un moment, il semble susceptible de sortir de son nouveau rôle de « troisième homme » et que sa présence au second tour devient une possibilité. C’est le moment où la question de la crédibilité, redoutable, se pose. Certes, Nicolas Sarkozy a doublé François Hollande dans les intentions de votes, et la campagne de ce dernier prend un tour répétitif inquiétant. Mais pour l’instant, rien n’indique que le rejet majoritaire dont l'actuel président est l’objet soit véritablement entamé.

En filigrane pourtant, une certaine solidité du pays apparaît : d’abord, les leaders des partis de gouvernement s’en tiennent à ce que j’appellerai un « minimum démagogique ». Les médias passent leur temps à guetter la faute, et ils n’ont finalement pas tant de faux-pas à se mettre sous la dent. La compensation symbolique n’empêche pas les problèmes d’apparaître clairement, quand bien même les solutions semblent approximatives. C’est la nation et la République que l’on invoque, le discours de guerre civile est très limité, et, au fond, est-ce vraiment une mauvaise chose que nous ne puissions plus tant « rêver » ? Que nous soyons privés d’affrontements violents ?

Finalement, le citoyen ne souffre peut-être pas tant que cela. Quel que soit le vainqueur, je suis curieux de voir à quoi ressemblera une politique de vérité. Une politique où l’on ne peut plus masquer l’absence de résultats par la dépense récurrente de l’argent que l’on n’a pas. Une politique où l’on sera contraint de s’appuyer sur la société et sur son dynamisme propre, de redéfinir le rôle de l’État – sachant que cette question est au cœur de la République.

Être le « troisième homme » : une médaille en chocolat ? Publié le 03/04/2012

L’abstention inquiète cette semaine. Elle est élevée, et comment en être surpris ? Le duel François Hollande-Nicolas Sarkozy n’enthousiasme pas les Français, et les prétendants au titre de trouble-fête ne paraissent pas en mesure, pour l’instant du moins, d’éliminer du second tour l’un ou l’autre des deux favoris.

François Bayrou ne retrouvera pas son score de 2007. L’enthousiasme militant des nouveaux entrants en politique va désormais plutôt vers le Front de gauche ; le discours reste courageux et inchangé, plus critique que rassembleur. Le projet de faire éclater la bipolarisation en utilisant pour cela l’élection présidentielle aura été au plus près de sa réalisation il y a cinq ans.

Quant à Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ils se heurtent, ou vont se heurter, à un plafond de verre, ce que Jean-Pierre Chevènement a expérimenté en 2002 et François Bayrou en 2007.

Cela peut se résumer en deux phases, dont la première est ascensionnelle : quand un outsider commence à prendre les points dans les sondages, un processus cumulatif se met en marche. Cette hausse fait événement, attire l’attention, multiplie les regards bienveillants. Si le candidat a l’énergie et le talent nécessaires, il peut lui-même amplifier cette tendance. Ses partisans voient leur enthousiasme décuplé, quand brille sur le front de leur champion l’étincelle d’une promesse – celle de la victoire. Les nouveaux militants affluent, persuadés de participer à un événement historique, attirés par les anciens pour qui le Royaume des Cieux s’approche enfin.

Mais l’outsider devenu un possible candidat au second tour doit passer une épreuve terrible : celle de la crédibilité. A-t-il un programme applicable, et sinon, a-t-il au moins les soutiens politiques, et les équipes pour gouverner efficacement ? Jusque-là, ce sont ses indignations, ses attaques, son originalité qui étaient appréciées, qui servaient aux électeurs potentiels à exprimer leurs propres indignations et refus. Le candidat était un bon porte-voix, un bon porte-parole, un bon représentant : avons-nous vraiment envie qu’il nous gouverne ? Dès que cette question s’est posée à propos de Jean-Pierre Chevènement en 2002, il a baissé dans les sondages, et François Bayrou a connu une évolution similaire, tout en gardant un score très honorable. C'est la seconde phase, qui est redoutable.

Ni les programmes économiques de Jean-Luc Mélenchon, ni celui de Marine Le Pen ne semblent en mesure de leur permettre de passer cette étape avec succès. Et nul ne les voit en leader de la droite ou de la gauche hors de leurs soutiens militants.

Après la présidentielle, le Front de gauche devra se résigner à être un supplétif pesant sur deux ou trois mesures symboliques, et à perdre son attractivité, ou renoncer à toute alliance et s’enfoncer dans les sables de l’extrême gauche.

Après la présidentielle, Marine Le Pen continuera à vouloir faire de son parti un parti de droite populiste, auquel une droite républicaine en déshérence serait contrainte de s’allier. La seule solution pour que cela se réalise serait un éclatement de l’UMP entre une aile radicale et une aile modérée, l’aile radicale s’alliant avec le FN. Mais cet éclatement est improbable, même en cas de défaite de Nicolas Sarkozy : les élus locaux vont attendre avec gourmandise des élections locales sanctionnant le nouveau pouvoir, et ils n’ont pas intérêt à se mettre en danger d’ici-là.

Une élection dans un contexte de crise, où par conséquent les choix politiques praticables sont plus réduits, a finalement bien du mal aujourd’hui à faire plus que poser la question de l’alternance entre forces de gouvernement. La place de « troisième homme », il est bien dur d’en faire quelque chose ; elle est à la victoire ce que la « reprise » de la Bastille de l’autre dimanche est aux véritables journées révolutionnaires.

L’enjeu de la dette, publié le 10/04/2012

Nous sommes plusieurs à être venu présenter les élections présidentielles française à l’École de Gouvernance et d’Économie de Rabat, au Maroc. Plusieurs chocs, tout d’abord celui de tomber sur un pays en pleine transformation, en pleine modernisation, qui a ses problèmes mais regarde vers l’avenir avec confiance. Ensuite, l’omniprésence de la langue française, la conviction toujours renouvelée que dans l’identité française dont on a tant parlé, et tant de fois à tort, il y a un lien privilégié avec l’Afrique.

Nous sommes plusieurs ici à être bombardés de questions, à devoir expliquer ce qui parfois, pour nous, est si peu clair. Tiraillés entre la volonté de ne pas dire du mal de notre pays à l’étranger et la difficulté de présenter une campagne qui n’est guère passionnante. Heureusement, il y a les étudiants de l’EGE, attentifs, curieux, bien informés et souvent décapants.

Quels sont les enjeux de cette élection ? Bonne question, que l’on avait fini par perdre de vue. Ici, ils apparaissent clairement : la réduction des dettes souveraines et la question des conditions de la croissance économique. Il est remarquable de ce point de vue que les deux principaux candidats, ainsi que François Bayrou, ont une politique non pas de la demande, mais de l’offre. Ils ne croient pas en la relance par la consommation ; ils ont donc acté que la France était en économie ouverte. Ils acceptent tous les deux, en n’étant pas toujours conséquents, l’impératif de réduire les déficits. Ils savent, en cas d’élection, qu’ils devront prendre des mesures impopulaires. Je déplore comme les autres le flou des programmes – je me réjouis, comme citoyen, du fait que les partis de gouvernement ne se sont pas installés dans le déni de la réalité.

Bien sûr, l’installation dans le paysage politique de Jean-Luc Mélenchon à gauche, celle, plus ancienne, du Front national à l’extrême droite, l’importance aussi de la mouvance souverainiste qui ne trouve pas ni leader crédible ni organisation puissante démontre que cet impératif peut être nié. Mais je trouve curieux, au fond, que l’on présente l’idée qu’un État doive être bien géré, qu’il ne doit pas être excessivement en déficit ni crouler sous le poids de la dette comme une fruit de la contrainte européenne. Au fond, il est bien dommage qu’il faille la contrainte européenne pour que nous nous rallions majoritairement à cette idée !

Loin d’être l’expression d’une perte de maîtrise de la politique, la lutte contre le déficit excessif et la dette sont la condition sine qua non pour que l’État retrouve ses marges de manœuvre. Charles de Gaulle n’était pas un économiste, quand bien même il savait écouter ceux-ci. Mais il était, sur le plan économique, imperméable aux sophismes de confort : il savait que pour que l’État ait un rôle social, pour qu’il puisse stimuler la croissance économique, pour qu’il puisse être modernisateur, il fallait d’abord qu’il fût bien géré.

L’enjeu de l’alternance n’est pas, n’est plus celui d’un « choix de société ». Au vrai, il ne l’a jamais vraiment été. Et heureusement ; nous sommes beaucoup, je crois, à ne pas vouloir que le pays soit bouleversé à chaque changement d’équipe dirigeante, à vouloir qu’il puisse continuer son développement et ses mutations sans que nous ne soyons le matériau de l’apprentissage politique d’idéologues installés dans un déni de la réalité.

Le politique doit retrouver des marges de manœuvre : cela ne passe pas par la fuite en avant, mais par un assainissement des finances publiques. Les électeurs, au second tour, vont arbitrer entre des projets concurrents dont on saisit au moins l’ébauche.

Démocratie et alternance, publié le 17/04/2012

Rien n’est jamais joué d’avance, mais il semble bien que l’on se dirige vers une alternance. Accepter l’alternance, cela n’est pas simple dans la culture politique française contemporaine. Y est-on enfin venu ?

Dans l’entre-deux-guerres, quand bien même républicains de gauche et républicains de centre et de droite dominaient alternativement les gouvernements, ce basculement s’opérait autour d’un pivot : il y avait toujours, dans le gouvernement, des hommes du parti radical, sorte d’épine dorsale autoproclamée de la République. Sous la quatrième République, face à la montée des gaullistes du Rassemblement Pour la France, les partis de gouvernement, des socialistes de la SFIO à la droite républicaine, en passant par les radicaux et les démocrates chrétiens, avaient commis une friponnerie électorale destinée à leur barrer la route du pouvoir : la loi des apparentements (1951).

Le système était simple : si des listes s’apparentaient, sans fusionner, et si le total de leur voix était majoritaire dans une circonscription, elles raflaient tous les sièges. Les seuls qui ne s’apparenteraient pas étaient les gaullistes et les communistes : le tour était joué.

Sous la troisième comme sous la quatrième république, la limite à l’alternance, c’était la fragilité supposée du régime. Après 1958, nous avons vécu une longue période où la gauche était exclue du pouvoir. L’alternance de 1981 a ouvert une période de vingt-six ans, jusqu’en 2007, où aucune majorité sortante n’a remporté les élections législatives ! Pour le coup, nous étions passés de la non-alternance à des alternances fréquentes et rapides.

En 2007, Nicolas Sarkozy a réussi à apparaître comme le candidat de la « rupture », y compris avec l’ère Chirac. La reconduction de la majorité en sortante en 2007 était donc en trompe l’œil. Si François Hollande l’emporte ce printemps, il mettra fin à dix ans d’opposition nationale pour le Parti socialiste – et paradoxalement, permettra à la droite et au centre de se ressourcer, et peut-être de renforcer leur ancrage local.

Au-delà de mes préférences personnelles, je pense que l’alternance est saine. Au bout d’une certaine période, chaque équipe a fait le bien et le mal qu’elle pouvait faire. Je ne crois pas que droite et gauche soient capables à elles seules de faire toutes les réformes nécessaires, et de prendre à elles seules les bonnes décisions dans tous les domaines. L’union nationale s'imposer dans certaines circonstances, mais elle doit demeurer exceptionnelle.

Cependant, il y a encore aujourd’hui une manière de refuser l’alternance, plus profondément que par le « nous ou le chaos », dernier argument des majorités sortantes. Aujourd’hui, plus de 30% de l’électorat soutient des candidats expliquant que Parti Socialiste et UMP mènent la même politique, que la construction européenne dans son état actuel aboutit au pouvoir sans partage du capitalisme financier, bref, que l’alternance est une illusion.

Argument corrosif pour la démocratie représentative. Confusion également entre la dose de consensus minimal nécessaire pour que l’alternance ne soit pas le chaos et l’absence d’alternance. Oui, Nicolas Sarkozy comme François Hollande seront contraints de mener des politiques de rigueur financière, parce que la situation l’exige. Non, ils ne répartiront pas l’effort de la même manière. Non, ils ne feront pas que cela et prendront beaucoup d’autres décisions.

De ce point de vue, il serait capital que cette fois, François Bayrou, s’il est absent du second tour, comme cela paraît très probable, donne une consigne de vote. Que celle-ci soit en faveur de Nicolas Sarkozy ou qu'elle soit en faveur de François Hollande (ce qui serait plus surprenant mais pas impossible), elle montrerait aux électeurs qu'ils ont bien un choix devant eux au second tour. Je crois qu’en l’état actuel de la démocratie représentative, rien ne doit être fait qui alimente un « tous les mêmes » destructeur.

jeudi 12 avril 2012

Qui sera le chef de la majorité ?


François Hollande a voulu hier, à la télévision, accentuer le contraste entre le type de présidence qu’il entend incarner et « l’hyperprésidence » de Nicolas Sarkozy. Il a affirmé que s’il était élu président, il ne serait plus le chef du parti socialiste – ce serait le rôle du premier secrétaire , et qu’il ne serait pas le chef de la majorité, ce qui serait le rôle du premier ministre.

Signalons tout d’abord que cette optique est parfaitement conforme à l’ambition exprimée par Charles de Gaulle dans son célèbre discours du Bayeux de 1946. Le président de la République, que le Général voulait faire élire par de grands électeurs, était vu comme un personnage métapolitique, au-dessus des partis, en charge de la permanence de l’intérêt national, et accordant les nécessités de celui-ci avec le premier ministre, représentant la majorité parlementaire.

Belle vision monarchico-républicaine, considérant que la conduite de la nation ne devait relever que très partiellement du débat politique. Vision dont l’aspect « utopique » (si on soustrait à cette optique) devait apparaître dès 1958… et surtout, projet pulvérisé par la décision de 1962 de proposer au référendum l’élection du président de la République au suffrage universel.

Cette élection phare, à laquelle les Français se sont vite attachés, est l’élection la plus déterminante de la vie politique française, hors les périodes de cohabitation, que la réforme de 2000 instituant le quinquennat, approuvée par référendum, a rendue plus improbables – sans les rendre impossibles. En cohabitation, le premier ministre est véritablement le chef de la majorité : Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin en ont fait l’expérience.

Mais quand les élections législatives entérinent simplement le résultat des élections présidentielles, ce à quoi beaucoup ramènent leur vocation sous la Vème République, par exemple Lionel Jospin et Jacques Chirac quand ils ont décidés, en 2002, d’inverser le calendrier électoral pour que les présidentielles précèdent les législatives, qui est alors le chef de la majorité ?

Georges Pompidou, premier ministre, avait le premier employé le terme de « majorité présidentielle », ce qui est répondre à la question. Qui a jamais cru que Raymond Barre, Pierre Mauroy, Michel Rocard, Dominique de Villepin étaient les chefs de la majorité ?

Et si demain François Hollande nomme Martine Aubry, Michel Sapin, Pierre Moscovici ou Manuel Valls, qui verra en eux les chefs de la majorité ? Personne.

Quant au parti majoritaire, son contrôle est l’enjeu d’une bataille permanente sous la Vème République, et le premier secrétaire devra gérer attentivement ses rapports avec le président.
François Hollande, élu, sera qu’il le veuille ou non le chef de la majorité. Il sera, pour reprendre les termes de Machiavel, un « lion » ou un « renard » - et d’ailleurs plus probablement un renard, habile négociateur.