mercredi 30 mai 2012

Une règle absurde


Je reviens sur la question des ministres candidats aux élections législatives. Il faut d’abord souligner que dans la logique des institutions de la Cinquième République, ces candidatures paraissent parfaitement absurdes. L’article 23 de la Constitution  prévoit l’incompatibilité des fonctions de ministre et de député : quand les électeurs votent pour un candidat ministre, ils savent déjà que ce sera son suppléant qui siègera à l’Assemblée nationale. Cela ne facilite pas la campagne du candidat, et, pire encore, cela en déplace l’enjeu : le scrutin décidera du fait qu’il ou elle restera ou non ministre.

Les législatives sont déjà handicapées par le système du scrutin d’arrondissement, qui fait du député dans la pratique le représentant d’intérêts locaux (il suffit de lire la littérature de campagne pour s’en convaincre) autant que nationaux, alors même que le député doit représenter la nation. Je respecte parfaitement les électeurs du Doubs, mais doivent-ils à eux seuls décider si Pierre Moscovici, doit rester ou non ministre de l’Économie, des Finances et du commerce extérieur ?

L’esprit gaullien des institutions de 1958 repose sur une forte séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Il s’agissait de rompre avec les régimes d’élus qu’étaient la Troisième et la Quatrième République. On peut s’en réjouir ou le déplorer, mais il faut savoir respecter la logique d’un système institutionnel, et le réformer si besoin est, ou en changer franchement, sous peine de plonger rapidement dans la confusion.

C’est en théorie le premier ministre qui compose le gouvernement, quand bien même il est manifeste, au moins depuis le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, commencé en 1974, que le président met largement la main dans cette composition. La réforme de 1962 a déjà rendu nécessaire une redéfinition pratique des rapports entre le président de la République, chef effectif de la « majorité présidentielle » (expression de Georges Pompidou), et le premier ministre, théorique chef et représentant de la majorité parlementaire.  Le quinquennat adopté en 2000 y a contribué. Il est dommage d’ajouter à ces évolutions nécessaires des pratiques inutiles.

C’est Georges Pompidou, le premier, qui a fait le choix, dans une campagne difficile pour la majorité, en 1967, de jeter les ministres dans la bataille législative, première entorse à la logique institutionnelle et au projet gaullien, mis à mal il est vrai par le ballotage de 1965. C’était comme une sorte de compensation, puisqu’en janvier 1966, formant un nouveau gouvernement, Georges Pompidou n’avait pas demandé la confiance de l’Assemblée nationale. Un peu comme si on jouait les électeurs contre les députés, en jetant tout le poids du gouvernement dans la balance, en cherchant à susciter d’étranges mini-référendums locaux.

Comme le rappelle David Valence (http://www.trop-libre.fr/paradoxa/quelque-chose-de-sarkozy), l’idée qu’un ministre battu doit démissionner ne s’est cependant pas imposée tout de suite. Par exemple, Maurice Couve de Murville, battu, est resté ministre des Affaires Étrangères. Il est même devenu Premier ministre en juillet 1968 ! Par contre, René Pleven, battu en 1973, n’a pu rester garde des Sceaux. Tout cela se passe à droite, mais en 1988, Catherine Trautmann, secrétaire d’Etat chargée des Personnes âgées et des Handicapés, cesse d’être membre du gouvernement après sa défaite aux législatives qui ont suivi la réélection de François Mitterrand. Elle ne sera restée en place qu’un mois et demi, alors que René Pléven, au moment de sa démission de 1973, était ministre de la Justice depuis 1969 !

C’est donc Catherine Trautmann qui fut la première victime de cette sorte de nomination conditionnelle dont je peine toujours à saisir l’intérêt.

En 2007, Nicolas Sarkozy systématise le principe, qui aboutit au départ du gouvernement d’Alain Juppé. Ici, la chose devient plus grave : le ministre de l’Ecologie était un des rares hommes d’expérience du gouvernement, et, ancien Premier ministre, un des rares qui aurait pu donner de l’équilibre au gouvernement balloté par « l’hyper-présidence ». On le vit bien lors de son retour au gouvernement en 2010 – sans d’ailleurs que de nouvelles élections législatives générales aient eu lieu, et sans qu’ils soit revenu par une élection partielle au Parlement.

Cette règle curieuse s’est imposée par son apparence démocratique – mais elle ne procède pas d’une véritable réflexion sur nos institutions ni d’un vrai souci de rééquilibrage.

lundi 21 mai 2012

Les bons côtés de l'alternance


Il flotte encore dans l’air comme les lambeaux d’une atmosphère, celle de ces quelques semaines où les sensibilités, les susceptibilités, les exaspérations, les jugements à l’emporte-pièce se sont donnés libre carrière. Où les pronostics assurés des militants visaient tout autant à créer qu’à commenter l’événement. Où l’attente se faisait rageuse.

Nous sommes retombés dans le convenu, mais aussi dans une certaine tranquillité ; manifestement, l’opinion peine encore à se passionner pour les législatives. Ici où là, quelques piques encore : à droite, on peine à reconnaître la défaite, trop courte pour que tous se résignent, à gauche, on a du mal à se passer de Nicolas Sarkozy – mais ce ne sont au fond que des sensations résiduelles.

Une nouvelle équipe est en place. J’avoue avoir du mal à comprendre la règle, commune à la gauche, comme à la droite, qui veut qu’un ministre battu à une législative doive démissionner ; elle me paraît la survivance de la IIIe et de la IVe républiques, régimes d’élus. Une défaite, même courte, aurait donc le pouvoir de transformer quelqu’un qu’on a jugé compétent en personnage à fuir. On le comprend mieux quand le ministre a un bilan, mais là ? Je me souviens du départ précipité d’Alain Juppé en 2007, dans ces circonstances, qui n’a pas porté chance à Nicolas Sarkozy et a contribué à déséquilibrer le gouvernement.

J’ai un peu l’impression d’être en face, avec cette pratique, d’un fétiche parlementaire, destiné à compenser le rôle longtemps subordonné du Parlement dans notre régime. Est-il encore nécessaire alors que le Parlement, du fait de la réforme constitutionnelle de 2008, va pouvoir relever la tête ?

La campagne législative a peu de chance d’être passionnante : que peut dire d’autre le Parti socialiste que « donnez au candidat élu les moyens de gouverner ? » ? Que peut entonner l’UMP, sinon un soudain hymne aux contrepouvoirs ? Il me semble aujourd’hui que seul le scrutin proportionnel pourrait permettre de redonner un intérêt à ces législatives qui suivent de si près les présidentielles : aucune voix ne serait perdue, et un paysage politique s’inscrirait vraiment dans les institutions, au lieu de disparaître au soir du premier tour de l’élection déterminante de l’hôte de l’Élysée (quand bien même ce dernier n’y réside pas). Ne donnant aucune majorité absolue, il offrirait aussi au gouvernement une  marge de manoeuvre, et une possibilité pour les citoyens d'orienter davantage (quoiqu'indirectement) la politique de celui-ci, loin de l'ordinaire pratique du chèque en blanc.

Nous n’en sommes pas encore là. Bornons-nous à saluer la poursuite de l'avancée de la parité, le surgissement, peut-être provisoire au vu de l'étrange coutume sur laquelle je m'interrogeais tout à l'heure, de nouvelles têtes, le retour aux affaires de Laurent Fabius dont le troisième débat des primaires de 2006 avait montré qu'au delà de ses manœuvres "européennes", il avait une vraie maîtrise des relations internationales... mais dans cette attente, une certitude : les années qui viennent feront du bien à la droite et à la gauche.

La droite avait pu croire, remportant toutes les présidentielles de 1995 à 2007, restant dix ans au pouvoir de 2002 à 2012, ayant été, aux législatives de 2007, la seule majorité sortante reconduite depuis... 1981 (!) qu'elle avait une sorte de vocation naturelle à gouverner. Elle va devoir retourner vers ses électeurs, et prendre conscience que les problèmes idéologiques, que les gouvernants de longue date ont une tendance naturelle à voir comme secondaires, sont déterminants, et expliquent la plasticité suicidaire dont elle fait preuve depuis 2010.

La gauche s'était installée dans une posture qui évoquait celle des conservateurs des années 1880, à la fois effarouchés et choqués moralement par des évolutions qui lui échappent. Elle a grand besoin de retrouver l’ambiguïté du pouvoir, et de troquer les leçons de morale contre une prise limitée, mais authentique, sur la réalité. Les débats idéologiques qui la traversent, sur l'Europe, le rapport aux milieux populaires, le choix entre une politique de l'offre et de la demande, recuits jusque là en vase clos, vont trouver la dimension concrète qui leur manque.

Bien sûr il reste toujours la possibilité, peu probable au vu des triangulaires version 1997 qui s'annoncent, d'une très courte victoire de la gauche ou d'une défaite surprise. Nous plongerions alors dans un jeu complexe, et les clarifications réciproques seraient remises à plus tard.

dimanche 13 mai 2012

Deux présidents citoyens ?

Il est bien tôt pour se faire une idée sur une nouvelle équipe qui n'est pas encore constituée, et qui va se heurter à une situation européenne très difficile, qui imposera plus de continuité que l'on croit dans la politique française. 

Mais une continuité paradoxale m'apparaît, concernant le style présidentiel. Au-delà du contraste prévisible entre les personnalités de Nicoals Sarkozy et de François Hollande, une certaine "normalisation" se poursuit. La présidence "monarchique" n'est plus de saison. Finalement, François Mitterrand aura été le dernier président de ce type ; Jacques Chirac avait amorcé la transition par une certaine bonhommie, et ce n'est qu'une certaine retenue, due en partie au fait qu'il "passait mal" à la télévision et le savait, qui expliquait que cette bonhommie n'ait pas été davantage visible.

D'une certaine manière, il y a une continuité entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, l'un dans une version plus énergique, voire agressive, l'autre dans une version plus calme, voire modeste : ni l'un ni l'autre ne cherchent à construire une image de président de la République, ils cherchent tous deux à rester eux-mêmes.

La politique est tributaire des mutations de la société : Nicolas Sarkozy comme François Hollande sont des personnages qui incarnent à leur manière la quête qu'une génération qui a grandi dans les années 1960, quand la société française s'est plus transformée que durant les cent années précédentes. Cette quête est celle d'un épanouissement personnel et d'un accord avec soi-même ; elle est celle aussi d'un équilibre entre vie privée et vie publique. Elle n'est pas une quête de majesté, pas une quête de grandeur personnelle. 

Non pas qu'ils ne puissent, à certains moments, être "grands" ou à la hauteur d'événements historiques ; mais ils ne visent pas aux apparences de la grandeur, à une grandeur comme état permanent, à une sorte de "grandeur d'établissement" personnelle. Ils acceptent les hiérarchies qui structurent la vie sociale, mais ils n'intériorisent pas leur position hiérarchique. On peut se demander si, de ce point de vue, Nicolas Sarkozy n'a pas essuyé les plâtres.

Cette modification d'attitude "républicanise" un peu notre cinquième République. La présidence de la République devient une fonction républicaine, elle est moins le legs historique de la monarchie. Peut-être est-elle ainsi plus vulnérable, mais cela est logique en période de transition.

dimanche 6 mai 2012

François Bayrou a donc tranché. Ou plus exactement, il a choisi. Il a choisi d'indiquer son vote personnel, et de ne pas donner de consigne de vote aux électeurs qui se sont portés sur son nom lors du premier tour. Il a présenté son choix comme une troisième solution à laquelle il se serait finalement comme résigné : la première possibilité était de voter pour Nicolas Sarkozy. Il l'écarte en raison de l'inflexion droitière de la campagne du président sortant. La seconde est le vote blanc, celui de "l'indécision" qu'il refuse. La troisième, "le choix que je fais", est le vote Hollande.

Plusieurs remarques me paraissent s'imposer.

1. D'abord sur ce découplage entre son choix personnel et le fait qu'il laisse ses électeurs libres de se déterminer. Cela est tellement caractéristique du mode de fonctionnement du président du Modem. François Bayrou reste un homme seul, et qui veut être seul. Lui qui aime Péguy a du goût pour le "poste de solitude". Théoriquement à la tête d'un mouvement politique, il raisonne et se détermine comme s'il était un citoyen ordinaire - mais c'est qu'il se pense en homme providentiel, qui construit sa stature, quelle part entre Pierre Mendès-France et Charles de Gaulle.

2. Ce choix personnel résulte d'un arbitrage entre les valeurs et le programme. L'idéal de rassemblement national lui a semblé mieux représenté par le souple et conciliant François Hollande que par le clivant et "bousculeur" Nicolas Sarkozy ; les appels déguisés à l'électorat FN ont fait le reste. L'aspect libéral (au sens politique du terme) de François Hollande, plus autoritaire de Nicolas Sarkozy entrent sans doute également en ligne de compte.

3. Je crois que ce choix est sincère, et issu d'une vraie réflexion personnelle. Je suis moins convaincu sur le fait que ce choix soit en soi "moral" ou force le respect. Une fois de plus, François Bayrou a choisi ses convictions et son image contre son mouvement. Et le souci de son mouvement et de son avenir me semble faire partie du "devoir d'état" du leader politique.

4. François Bayrou agit en simple citoyen explicitant son vote. Comme tel, cela est respectable. François Bayrou ne donne pas de consigne de vote, et n'agit pas en leader orientant son mouvement, lui proposant une stratégie, se souciant de lui conquérir des élus ou du devenir des élus qui se sont ralliés à lui. Cela est à mon sens beaucoup moins respectable.

5. Comme cela a été souligné, non seulement par Nicolas Sarkozy, mais aussi par un observateur comme Nicolas Beytout, le bilan de François Bayrou comme chef de mouvement est accablant. Partir d'une centaine de députés UDF pour finir avec 2 députés du modem, diviser par deux son pourcentage d'électeurs en cinq ans sans avoir gouverné... L'homme est courageux, mais on en revient à son aspiration à la grandeur solitaire et à une forme de solipsisme politique.

6. Fallait-il tant faire campagne sur la règle d'or et la réduction des déficits pour faire ce choix final ? Le choix des valeurs contre le programme se comprend - il n'exprime qu'en partie le tempérament politique centriste.

7. François Bayrou vient d'orchestrer son suicide politique. Le capitaine coule avec son navire qu'il a réduit aux dimensions d'un canot. Les socialistes n'ont pas besoin d'un centre gauche : ils sont déjà un parti de centre gauche, même s'ils ne l'assument qu'épisodiquement. Le président du modem ne pourra participer ni à la fédération des centres, ni à la reconstruction de la droite républicaine. On retrouve là une logique : vouloir un centre indépendant sans s'atteler à la construction d'une force politique à la fois organisée et démocratique, c'est se retrouver seul. Et, au fond, inutile.

mardi 1 mai 2012

Les leçons de la campagne

La Croix avait demandé à ses blogueurs de tirer les leçons de la campagne présidentielle. Voici les miennes.


Les sept leçons que l’on peut provisoirement tirer de cette campagne présidentielle
1. Plus de 60 % des électeurs sont conscients des contraintes financières et de la nécessité de réduire la dette publique, mises en avant par François Bayrou, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
2. La mutation du Parti socialiste en force de gouvernement est achevée et elle a laissé des orphelins, qui expliquent le score relativement élevé de Jean-Luc Mélenchon, trop faible cependant pour la remettre en question.
3. Le bipartisme à la française est un rêve inaccessible. Ni le PS ni l’UMP ne parviennent à incarner l’ensemble de la droite et de la gauche. Les scores de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou en témoignent.
4. L’UMP est idéologiquement en ruine, partagée entre une orientation de centre gauche sur le plan économique et social et des incursions sur les terres du Front national. En cas de défaite du président sortant, la crise de leadership s’accompagnera d’une interrogation sur la ligne suivie depuis le discours de Grenoble.
5. Le non-dit a dominé la campagne des partis de gouvernement. Nul diagnostic complet de la situation, nul programme crédible au-delà du constat de base de l’endettement excessif. Pour faire comprendre les choix difficiles à faire, un travail collectif et long est nécessaire. Il n’a eu lieu ni au Parti socialiste ni à l’UMP. François Bayrou a bien réussi à inscrire quelques thèmes dans la durée, mais c’est le travail collectif qui lui fait défaut.
6. Plus que jamais, l’adhésion au vainqueur quel qu’il soit sera relative. Il n’y aura pas d’état de grâce.
7. Retrouver le sens républicain de la politique, aujourd’hui, c’est donc retrouver la dimension pédagogique de la politique – les idéologies globalisantes sont mortes mais la démagogie reste présente, comme côté obscur de la démocratie.