samedi 16 juillet 2011

Eva Joly, la république et la nation


Les clivages politiques, et en particulier le clivage droite-gauche, évoluent avec le temps. Mais chaque ancienne forme de clivage demeure, atténuée, discrète, à l'arrière-plan, et ressurgit au détour de certains débats.

Ainsi en va-t-il du clivage entre internationalistes et nationaux ; on le voit réapparaître autour de la fracassante entrée en campagne d'Eva Joly.

Sa proposition de suppression du défilé militaire du 14 juillet, au moment où les soldats français sont durement touchés en Afghanistan, devait choquer, et ici la surprise n'est pas de mise. Il est curieux que la candidate écologiste fraîchement investie tape elle-même, directement, sur ce qui est sa fragilité dans une élection comme l'élection présidentielle : autant sa stature européenne avait été un atout pour Europe-Ecologie dans les élections... européennes, et ralliait aisément les "Européens" de gauche, voire du centre, autant il était évident qu'elle serait peu à l'aise dans une élection aussi franco-française.

Face à cela, la vivacité de la réaction de François Fillon, et sa maladresse, étonnent : il fallait juger le propos sans attaquer la personne et son origine.

Mais ce n'est pas cela qui m'intéresse ici : on retrouve face à face deux conceptions de la France.
La première la résume aux principes de 1789, et la résume à la citoyenneté. Celle-là peut être représentée par un "défilé citoyen", en espérant que tout le monde s'y retrouve et envisage de la même manière la citoyenneté républicaine (quid, par exemple, de la souveraineté nationale?).

La seconde se fixe sur la communauté concrète : une population et son territoire. Et insiste sur la nécessité de défendre le territoire et la puissance française. En espérant qu'on ne cherche pas à trouver trop "d'ennemis de l'intérieur" qu'il faudrait marginaliser.

La Troisième république a essayé de concilier les deux dimensions : une France concrète, puissante, porteuse des droits de l'homme. Les conciliations sont toujours pleines de tensions mal surmontées, et toujours ambiguës. Ces deux "idées de la France" se sont parfois heurtées de front, par exemple pendant l'affaire Dreyfus.

S'il y a un "modèle républicain", il réside dans leur conciliation difficile et incertaine. La militarisation du 14 juillet, dans les années 1880, témoignait de cette conciliation - quand bien même il ne faut pas surestimer sa profondeur. Mais il faut rappeler que le 14 juillet ne se résumait pas (et ne se résume toujours pas) à un défilé militaire.

En pleines vacances scolaires, on ne peut plus faire défiler les enfants des écoles. Mais les bals et les feux d'artifices témoignent aussi d'un certain plaisir d'être ensemble.

On en revient cependant au point de départ : pourquoi donc fallait-il impérativement supprimer ce défilé ? A quel projet politique, même ébauché, cela correspondait-il ? La supression de l'armée de métier ? Le désarmement unilatéral ? Il est tout de même terrible que l'on passe de l'improvisation totale et personnelle à la réactivation des vieux clivages en évitant l'étape de la discussion sur les programmes.

dimanche 10 juillet 2011

Quand le centre est à droite


François Bayrou n'a pas réussi à s'imposer, mais il a réussi à acclimater une idée en apparence juste, au fond fausse : le centre serait un espace politique indépendant de la droite et de la gauche.

Fausse car jamais les centristes en France, ni au XIXe ni au XXe siècle, n'ont existé autrement que divisés entre centre droit et centre gauche. Sous la monarchie de Juillet comme sous la IVe République, il n'en a jamais été autrement. Dans certaines circonstances, centre gauche et droit ont pu s'entendre, c'est tout

Le centristes sont les membres des ailes de la droite et de la gauche qui sont attachées au libéralisme politique, ou des hommes attachés au libéralisme politique qui choisissent, selon les moments, de se situer à droite ou à gauche. Ils aiment les institutions, le compromis, cherchent l'équilibre et se veulent pragmatiques.

Ils ne peuvent jamais devenir pleinement indépendants : ils ont pour cela trop peu de convictions tranchées et "sloganisables". Ils ne peuvent le tenter qu'en abandonnant le discours centriste, à l'image de François Bayrou en 2007, tapant à tour de bras sur la droite et la gauche et dénonçant le système, ou bien encore en se présentant comme le "parti des gens raisonnables", ce qui est peu attractif et, au fond, d'une arrogance extrême.

Un des principaux reproches que l'on fait à Jean-Louis Borloo aujourd'hui est qu'il serait un candidat de droite camouflé. Bref, d'être un candidat de centre droit.

Il ne saurait en être autrement, et ce pour une simple raison : il n'y a pas en France de place pour le centre gauche. Des personnalités politiques comme François Hollande, Emmanuel Valls, ou, en son temps, Dominique Strauss-Kahn, incarnent déjà cet esprit. Les "radicaux de gauche" sont de longtemps condamnés à une existence groupusculaire.

Un homme ou une femme de centre gauche, aujourd'hui, rejoint logiquement l'aile modérée du PS, et n'a pas besoin d'une autre structure. Il n'y a eu à cela qu'une exception : Europe Ecologie a pu représenter un centre gauche écologique et européen ; la fusion avec les Verts, malgré ses limites, a suffi pour neutraliser cette possibilité.

L'unité des centres ne pourrait finalement se faire que sur le plan électoral, dans un contexte très particulier, poussant le centre gauche à voter pour le centre droit, ou le contraire. Il faudrait une absence d'offre électorale d'un des deux côtés. Pour le reste, il faut se rendre à l'évidence : le centre, en France, avec toutes ses limites, c'est le centre droit.