jeudi 24 novembre 2011

Une chance pour François Bayrou ?


Les candidats du PS et de l'UMP ont montré ces dernières semaines, à côté de leurs atouts respectifs, des faiblesses qui paraissent structurelles.

Rappelons d'abord les atouts, qui ne sont pas négligeables.

Nicolas Sarkozy a profité de la crise européenne ; sa réactivité, son énergie peuvent se donner carrière dans un contexte où il faut décider vite, trouver un accord avec l'Allemagne, et montrer que les gouvernants ne se laissent pas balloter sans réagir par les flots de marchés. Il campe ainsi sur des positions qui parlent à l'électorat de la droite républicaine : le pragmatisme et le souci de réalisme.

François Hollande a montré qu'il n'était pas prisonnier de ses alliances, en se montrant ferme dans les négociations avec les écologistes, et quand bien même Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages, il reste largement en tête des intentions de vote au second.

Les faiblesses tiennent à la difficulté pour les deux candidats de se dégager de leurs errements traditionnels.

À droite, la réaction au meurtre horrible du Chambon-sur-Lignon est caricaturale. Alors que la question posée est bien celle des responsabilités personnelles des uns et des autres, et en particulier du chef d'établissement qui, semble-t-il, n'a pas voulu recevoir des informations capitales pour la décision d'admettre ou pas dans son établissement l'élève incriminé, on réagit en bricolant une loi à la va-vite, comme si la loi était magiquement le remède aux défaillances des individus. Ce n'est ni sérieux, ni, à mon sens, estimable. Les faits divers épouvantables ne sont pas des occasions politiques ; les lois, si on veut qu'elles soient équilibrées et applicables, ne s'improvisent pas sur un coin de table.

À gauche, le positionnement de campagne de François Hollande reste hasardeux. L'organigramme de son équipe de campagne est surréaliste ; on trouve une usine à gaz là où on pouvait attendre une équipe resserrée, avec des champs clairement définis pour chacun, et qui pourrait laisser présager ce que serait un futur gouvernement. Et le candidat ne parvient pas à s'empêcher de jouer les mouches du coche en commentant à chaud les négociations européennes, sans être encore porteur d'une alternative crédible.

Quant au centre, depuis le retrait en rase campagne de Jean-Louis Borloo, aucune candidature alternative ne décolle - et cet espace reste, finalement, libre pour François Bayrou.

Tenace, courageux, celui-ci s'est isolé et n'a pas réussi à construire un véritable rassemblement politique ; mais les Français le connaissent, et sa critique globale du système politique, quand bien même elle l'a éloigné de la tradition centriste, moins portée ordinairement aux jugements tranchés, peut trouver un écho en cette période de crise. Surtout, il pourrait reconquérir un électorat de centre droit qui peinera à voter pour Nicolas Sarkozy au premier tour, et peut-être aussi des électeurs écologistes modérés ne se retrouvant pas dans le radicalisme verbal d'Eva Joly.

Le terrain est cependant loin d'être dégagé pour lui. Il ne peut plus compter sur un engouement de la jeunesse comme en 2007, parce que l'effet de nouveauté ne jouera plus en sa faveur. Il lui faudra aussi pondérer son discours renvoyant systématiquement dos à dos la gauche et la droite, et passer d'une condamnation globale à une évaluation critique du bilan de Nicolas Sarkozy. La réforme constitutionnelle de 2008, par exemple, ne peut laisser les centristes indifférents.

Surtout, il lui faudrait, peut-être en s'appuyant sur des hommes comme Jean Arthuis, renouer des liens avec les autres centristes et avec des figures de la droite modérée. Après l'hyper-présidence, nombre d'électeurs attendent une équipe et un chef d'équipe. François Hollande tardant à s'engager dans la voie de la constitution d'une équipe crédible, il y a là, incontestablement, "un coup à jouer". Mais il faut pour cela sortir de l'isolement.

samedi 19 novembre 2011

De la guerre du feu à l'actualité politique


J’habite actuellement dans une maison en travaux, donc en partie ouverte sur l’extérieur. C’est un enjeu de fermer certaines pièces, alors que, la nuit, le froid tombe sur la plaine. C’est curieux, mais on retrouve alors des plaisirs élémentaires dont bien des gens sont encore privés. Manger chaud, être à l’abri du froid et de la pluie. Et peut-être, derrière, une grande vérité politique.

L’humanité est depuis la nuit des temps confrontée aux mêmes ennemis. Le froid, la nuit menaçante, la maladie, la faim, la mort. Tout cela, c’est la nécessité. On l’oublie quand tout va bien, mais elle revient régulièrement frapper à notre porte.

Produire, extorquer à la nature ce qu’elle n’était pas prête à nous donner. Le passage de la chasse à la cueillette à l’agriculture et l’élevage. Quand le vent nocturne souffle, je repense à la première lecture qui m’aie vraiment transporté, La guerre du feu de Jean Rosny-Aîné. Je ne parle pas du film, tristement anthropologique, et alimentant le simplement le frisson rétrospectif des modernes. Le livre était enthousiasmant ; cette tribu menacée par la perte du feu qu’elle ne savait pas encore produire, envoyant des guerriers en quête de cette ressource rare. Et ceux-ci apprenant des autres ce qui leur manquait, faisant même au passage alliance avec des animaux supérieurs. Et reconquérant un avenir évanoui.

Et puis, cela se terminait en un combat opposant les deux équipes parties à la recherche du feu manquant. Ceux qui l'avaient trouvé devaient lutter pour ne pas se faire déposséder de leur trouvaille, et recueillir, dans le clan, le prestige qui leur revenait.

Plus tard, la nécessité est devenue économique : les contraintes de la production et de l'échange ont pesé sur nous. L'idée d'un monde où le politique aurait commandé l'économique est un mythe; le pouvoir a eu maille à partir avec cette nécessité, et s'en est débrouillé comme il pouvait. La lutte est devenue en partie concurrence, sans que la guerre ni la lutte pour le pouvoir ne disparaissent.

Tout est dit : la lutte contre la nécessité, la lutte des hommes entre eux. Les deux choses qu’une conception naïve de la politique commence précisément par évacuer, les deux fatalités que nous devons connaître (et non pas nier) pour les surmonter. Et l’avenir qui ne se rouvre que si hic et nunc, nous les surmontons.

Derrière l’opacité d’une société complexe, d’une actualité multiforme, j’ai le sentiment que ce sont toujours ces deux choses que nous devons retrouver : ce qui est nécessaire, et ce qui pacifie – ou ce qui limite la lutte au strict nécessaire. Qu'il y a là une vieille contrainte, qui accompagne l'humanité depuis le début de sa marche, si nous ne renonçons pas à l'idée d'une marche commune de notre espèce.

Chaque fois que nous nions la nécessité, la bête nécessité de produire, chaque fois que nous devenons inconscient du progrès conquis sur la nature - parfois en faisant alliance avec elle, belle dimension, mais pas la seule - nous reculons. Chaque fois que nous remplaçons la nécessité par la lutte politique, que nous imaginons que rien d’extérieur à l’humanité (ou à la société) ne pèse sur elle, que « tout est politique », nous reculons.

dimanche 6 novembre 2011

Vieux débat sur la liberté d'expression

Les fils de discussion qui se multiplient sur la toile depuis l'attentat contre les locaux de "Charlie-Hebdo" donne, à les parcourir, un sentiment étrange. On a l'impression de se retrouver face à trois strates différentes, qui affleurent ici où là mais possèdent une forte continuité.

La première strate, c'est l'attachement à la liberté d'expression. Il y a là une révolte qui se comprend facilement : les auteurs de l'attentat tentent de faire taire un organe de presse par l'usage de la force brutale. On ne va pas discuter, on intimide. Le refus de ce genre de procédé rallie aisément une majorité, et c'est heureux.

La seconde strate, c'est la question du respect de l'Islam, et plus généralement la question de l'attitude à avoir face aux religions. Peut-on ridiculiser les croyances de nombreux Français, qu'il s'agisse du catholicisme et de l'Islam ? Ici, la polémique internet est beaucoup plus âpre, et elle dérape facilement de part de d'autre. D'une part, on en vient vite à l'injonction d'un respect obligatoire (et si on ne s'y soumet pas, cela légitimerait d'une certaine manière la violence) et d'autre part, on voudrait ajouter un texte de loi spécifique sur la liberté du blasphème.

La troisième strate, c'est l'affrontement intercommunautaire pur et dur. Catholiques et musulmans jouent alors à savoir qui est le plus stigmatisé, qui réagit avec le plus de dignité... Les libres-penseurs, comme on aurait dit sous la IIIème République, estiment que les religions sont trop visibles. Ici, l'affaire "Charlie-Hebdo" devient purement et simplement un prétexte pour que les différentes familles spirituelles et philosophiques poursuivent leurs affrontements - d'ailleurs pas toujours dénués de sens.

Je crois que le problème est que l'on confond un problème lié à la loi et un problème lié aux mœurs. On pourrait reprendre ici l'idée de Montesquieu : ce qui régule notre vie publique, c'est à la fois la loi et les mœurs, ce qui relève du droit, et ce qui relève, en dernière analyse, de la "morale" ou de l'éthique. Plus un pays est libéral, et moins la loi mêle de réguler les mœurs.

La première strate concerne la loi. Ici, il faut être inflexible. Nulle action violente n'est tolérable contre une opinion, un dessin de presse, un article. C'est une des plus belles conquêtes de l'Etat de droit que les débats d'idées restent des débats d'idées. La loi prévoit d'ailleurs (quoi qu'on en pense) des possibilités de recours contre certains propos, rien n'empêche de les utiliser.

La seconde strate concerne les mœurs. Est-il bon ou utile de chercher à choquer ? Est-il bon ou utile de faire des amalgames ? L'humour a-t-il une valeur absolue, qui permet tout ? Est-ce qu'on s'attaque aux faibles ou aux forts quand on tourne en dérision telle ou telle religion ? Ces questions sont bien sûr particulièrement vives quand il s'agit de Charlie-Hebdo, qui "fait dans la provocation". La provocation est-elle ou nous responsable de la violence qu'elle suscite ? La cherche-t-elle pour se légitimer ? La loi ne fournit pas, et c'est heureux, de réponse à ces questions, et si elle cherchait à le faire, nous ne serions plus dans une démocratie libérale.

La troisième strate renvoie à ce qu'on appelle le "communautarisme". En France, le terme est, somme toute, une insulte. Dans le monde anglo-saxon, le communautarisme est un courant de philosophie politique, une sorte d'extension du libéralisme aux communautés, qui devraient être collectivement respectées, et dont le principal souci du législateur serait d'assurer leur harmonieuse coexistence. Ce communautarisme se heurte à plusieurs difficultés : les communautés veulent-elles coexister ? La valorisation des communautés, n'est-ce pas la renonciation à la protection de l'individu ? Enfin, la cohésion de la communauté nationale n'est-elle pas menacée par le communautarisme ?

Je crois que si l'on ne distingue pas ces trois strates, le débat devient toxique et dérape facilement. Comme si nous n'avions le choix qu'entre l'approbation inconditionnelle de la vision de l'Islam (et des religions) diffusée par Charlie-Hebdo et la légitimation honteuse du fanatisme, présenté comme la réaction de pauvres victimes innocentes. Comme si notre vision de ce que devrait être le débat sur les religions, ou notre vision des religions, devait avoir force de loi.


mardi 1 novembre 2011

post-scriptum grec

La situation grecque est potentiellement révolutionnaire. Le gouvernement vient de perdre tous ses appuis extérieurs sans gagner aucun nouvel appui intérieur. Et s’il ne démissionne pas très vite, tout cela peut devenir incontrôlable.

Face à cette situation nouvelle, la position de tous ceux qui contestent le « système » n’est pas renforcée mais fragilisée. Ils n’ont aucune proposition pour traiter la crise différemment et ne sont pas prêts à prendre le pouvoir en profitant de la crise.

Et derrière, une vraie question : faut-il directement consulter les citoyens dans une situation d'urgence ? Les dirigeants ne doivent-ils pas d'abord prendre leur responsabilité, et prendre le risque d'être ensuite désavoués ? Le référendum est-il une formule magique ou un abandon de la nation à l'opinion ?

Le gouvernement français actuel se trouve à la barre en pleine tempête. Position périlleuse, mais qui peut lui permettre de retrouver, au moins temporairement, une certaine crédibilité. La réactivité de Nicolas Sarkozy pourrait trouver là un terrain favorable.

Le parti socialiste, quant à lui, a une bonne occasion de montrer s’il est prêt à gérer les affaires de la France. Sa prise de position est pour l'instant un peu décalée, il me semble qu'il pourrait sans péril soutenir ponctuellement les efforts franco-allemands, tout en se réservant de juger le résultat ; François Hollande devrait intervenir plus personnellement. Les heures décisives ne sont pas celles où l'on fait campagne, mais celle où l'on se situe.

L’histoire est en marche, et avance aussi par des décisions hasardeuses, qui involontairement posent le doigt où cela fait mal : en l’occurrence le manque de gouvernance de l’Europe !

No, We Can't !

François Hollande a eu beau évoquer le réenchantement d'un "rêve français" qui, à mon sens, s'est un peu perdu dans les sables au XXe siècle, il est clair qu'il n'aura devant lui qu'une "marge de promesse" très limitée. Et d'ailleurs, il le sait très bien ; si un de ses proches a évoqué l'idée que le programme du PS, dans la situation actuelle, ne peut être appliqué, ce n'est pas un hasard.

Il a été en partie investi parce que la promesse de la victoire brillait à son front, comme elle brillait en 2006 sur celui de Ségolène Royal, mais peut-être aussi parce qu'avec Manuel Valls il était celui des candidats à la candidature qui promettait le moins de miracles.

Nous allons vers une élection où les candidats des forces de gouvernement, UMP et PS, n'ont rien à promettre, et où, quand bien même ils font des promesses, personne ne croit que la situation européenne actuelle leur permettra de les tenir. Nous allons donc vers une expérience assez rare, qui nous permettra d'avoir la réponse à la question suivante : que font les électeurs quand on ne peut rien leur promettre de façon crédible ?

Comme nous le voyons face à la crise grecque, jamais la gestion des affaires et les forces de l'enthousiasme politique n'ont été plus éloignées. Les gouvernants français et allemand, le FMI s’échinent à improviser des montages viables pour empêcher la faillite de l'euro, tandis que les indignés de tout genre, de manifestation en manifestation, assènent une conviction : la démocratie la plus directe possible serait la panacée à tous nos maux.

Dans la première option, il y a une réalité économique et financière, plus ou moins bien comprise par les gouvernants, qui circonscrit la politique comme "art du possible". Les dirigeants font, avec plus ou moins de compétence, ce qu'ils peuvent faire à un moment donné. La politique est alors l'art d'inventorier les marges de manœuvre dont nous disposons, et d'expliquer comment on va s'en servir par rapport aux objectifs que l'on se donne et aux valeurs dont on se réclame. On cherche finalement plus l'adhésion à des projets précis et des valeurs définies que le rêve.

Dans la seconde option, la réalité est toute entière politique. La prétendue contrainte économique n'est qu'un miroir aux alouettes masquant les intérêts de la classe dirigeante, et dès lors que l'action politique permettra de faire voler en éclat l'illusion de cage que l'on nous a inventée, aucun problème ne nous résistera durablement.

La première option est, des deux, la moins enthousiasmante. Elle a cependant l'avantage de se soumettre en permanence à la discussion : on peut toujours confronter les résultats d'une action politique aux objectifs affichés, et critiquer les décisions prises. Ici, la politique n'est pas le domaine du rêve, elle est celui de la responsabilité. Mais quand nous demandons du rêve, sommes-nous vraiment ce que nous prétendons être, c'est-à- dire les héritiers des Lumières ? Ou sommes-nous de grands enfants pitoyables ?

La seconde option sauve l'aspect exaltant de la politique, elle peut donner à ses tenants un grand shoot d'espérance. Mais il n'y faudra pas regarder de trop près, parce qu'on nous demande tout d'abord de nier la contrainte économique ; l'invocation d'une époque bénie, située dans un passé mythique, ou la politique aurait dominé l'économie, oblige à constater que cet âge d'or rétrospectif n'a jamais existé nulle part (à moins de "réenchanter" le communisme, mais c'est pour le moins une lourde tâche). Ensuite parce qu'on nous demande une foi pascalienne, non seulement dans la faisabilité de la démocratie directe, mais dans la sagesse du grand nombre et la capacité à régler simplement des questions difficiles. Il faut pouvoir se réjouir de la perspective d'un référendum grec...

Jusqu'à présent, les partis de gouvernement et leurs candidats se sont tirés du dilemme par le lyrisme démocratique : tenir un discours de toute puissance alors même que l'on ne propose que des réformes limitées et plus ou moins raisonnables (quid aujourd'hui du "Yes, we can!" d'Obama, ou du "Ensemble, tout devient possible!" de Nicolas Sarkozy?), jouer sur les espoirs et les peurs des contemporains sans trop se lier les mains. La situation actuelle rend cela bien difficile.

Il manquait jusqu'à présent à l'échéance de 2012 sa coloration particulière : la voilà.