Quelques réflexions à chaud sur le remaniement.
L'appel d'Alain Juppé correspond à une orientation première de Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé en 2007 une volonté de faire une politique neuve avec des hommes d'expérience. La politique de "l'ouverture", dont on ne peut pas dire qu'elle ait donné de grands résultats politiques, la volonté d'entériner des ralliements venus du Nouveau Centre et une volonté plus louable de faire place à la diversité en avaient tout de suite sonné le glas. On y revient sur la fin du quinquennat.
L'affaire Alliot-Marie est regrettable en beaucoup de points pour Nicolas Sarkozy, parce que cette affaire a été très mal gérée. La ministre n'avait rien fait d'illégal, il faut le rappeler. Si on considérait que cela ne tirait pas à conséquence, il aurait fallu que le premier ministre prenne tout de suite le dossier en main.
Le silence de François Fillon est assez stupéfiant, d'autant plus que, n'étant pas candidat en 2012, il n'avait pas grand-chose à perdre. On a laissé l'incriminée se défendre seule, de manière à la fois trop précise, comme une accusée, et trop floue, en plusieurs fois. La ligne finalement choisie était de répéter que cela ne nuisait pas à sa capacité d'incarner la politique extérieure de la France, position que le voyage de Laurent Wauquiez en Tunisie, à la place de son ministre de tutelle, a invalidée aux yeux de tous.
Les dérapages du nouvel ambassadeur en Tunisie ont achevé de faire d'une affaire mineure l'indice d'une crise de la diplomatie française, qui est peut-être surestimée. La tribune du groupe "Marly" a raison quand elle met en avant la non-écoute des ambassadeurs, et plus encore leur non-consultation, par l'Elysée et le Quai d'Orsay. Mais les diplomates affaiblissent leur argument quand ils joignent à ces remarques une critique de fond de la ligne présidentielle de politique extérieure et du rapprochement avec les Etats-Unis : ce n'est ni leur métier ni leur mandat.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on n'écoute pas les ambassadeurs, qui s'en plaignaient déjà sous la Troisième République. Quand Jacques Chirac avait critiqué, juste avant la seconde guerre du Golfe de 2003, la politique américaine, et que, n'obtenant pas l'adhésion de la Pologne, il avait déclaré que les "petits pays" "feraient mieux de se taire", il n'avait sûrement pas consulté l'ambassadeur de France en Pologne. Les résultats en avaient été désastreux dans l'opinion de ce pays : on avait souvent fait comprendre dans l'histoire aux Polonais qu'ils "feraient mieux de se taire".
Enfin, la question pour la politique extérieure française est plus vaste qu'on ne le dit : c'est toute la "politique arabe" gaullienne, objet d'un vaste consensus, qui est remise en question. Après tout, François Miterrand et Jacques Chirac avaient été d'accord, au moment de la première cohabitation, pour interdire aux avions américains qui voulaient entreprendre une action ciblée contre Kadhafi le survol du territoire français.
Ce qui est frappant, c'est que l'on se retrouve sur le plan géopolitique avec une équation qui ressemblait à celle à laquelle les néoconservateurs américains ont apporté une réponse si désastreuse : comment concilier la démocratisation de la région avec le respect des équilibres, et avec le souci de la sécurité d'Israel ?
Bref, il serait dommage que les péripéties gouvernementales masquent deux questions de fond. La première est celle de la manière dont l'Europe voit le monde arabe. On envisageait que ces pays musulmans transposent dans le monde arabe le modèle d'une Turquie européenne ; or ils avancent de leur propre mouvement, sans attendre l'hypothétique adhésion turque. L'Union méditerranéenne pourrait retrouver une actualité, mais il faudrait la repenser totalement et en faire un projet européen...
La seconde question de fond est celle du fonctionnement gouvernemental : on dirait que les ministres, et le premier d'entre eux, ne retrouvent une autonomie que dans les périodes de crise, et qu'ils répugnent à s'en servir ou s'en servent avec maladresse. D'où des réactions un peu tardives : le départ de Brice Hortefeux aurait été sans doute plus opportun il y a quelques mois, par exemple. Nicolas Sarkozy avait d'abord voulu mettre ses ministres à l'épreuve comme des écoliers, les juger sur résultats, mais ils n'avaient pas assez d'autonomie pour en présenter, et curieusement, le pouvoir a réagi à leurs difficultés en les soutenant passivement tout en les laissant se débattre, pour les lâcher ensuite.
Bref, le gouvernement a à la fois un tournant diplomatique à prendre et à réfléchir, s'il est encore temps, sur son déficit de fonctionnement collectif, qui finalement le rend peu réactif. Mais il serait dommage que la fixation médiatique sur Nicolas Sarkozy aboutissent à escamoter le grand défi qui attend une diplomatie française qui n'est pas si hors de combat que cela, et qui vient de trouver un ministre d'expérience.