dimanche 27 février 2011

Remaniement


Quelques réflexions à chaud sur le remaniement.
L'appel d'Alain Juppé correspond à une orientation première de Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé en 2007 une volonté de faire une politique neuve avec des hommes d'expérience. La politique de "l'ouverture", dont on ne peut pas dire qu'elle ait donné de grands résultats politiques, la volonté d'entériner des ralliements venus du Nouveau Centre et une volonté plus louable de faire place à la diversité en avaient tout de suite sonné le glas. On y revient sur la fin du quinquennat.

L'affaire Alliot-Marie est regrettable en beaucoup de points pour Nicolas Sarkozy, parce que cette affaire a été très mal gérée. La ministre n'avait rien fait d'illégal, il faut le rappeler. Si on considérait que cela ne tirait pas à conséquence, il aurait fallu que le premier ministre prenne tout de suite le dossier en main.

Le silence de François Fillon est assez stupéfiant, d'autant plus que, n'étant pas candidat en 2012, il n'avait pas grand-chose à perdre. On a laissé l'incriminée se défendre seule, de manière à la fois trop précise, comme une accusée, et trop floue, en plusieurs fois. La ligne finalement choisie était de répéter que cela ne nuisait pas à sa capacité d'incarner la politique extérieure de la France, position que le voyage de Laurent Wauquiez en Tunisie, à la place de son ministre de tutelle, a invalidée aux yeux de tous.

Les dérapages du nouvel ambassadeur en Tunisie ont achevé de faire d'une affaire mineure l'indice d'une crise de la diplomatie française, qui est peut-être surestimée. La tribune du groupe "Marly" a raison quand elle met en avant la non-écoute des ambassadeurs, et plus encore leur non-consultation, par l'Elysée et le Quai d'Orsay. Mais les diplomates affaiblissent leur argument quand ils joignent à ces remarques une critique de fond de la ligne présidentielle de politique extérieure et du rapprochement avec les Etats-Unis : ce n'est ni leur métier ni leur mandat.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on n'écoute pas les ambassadeurs, qui s'en plaignaient déjà sous la Troisième République. Quand Jacques Chirac avait critiqué, juste avant la seconde guerre du Golfe de 2003, la politique américaine, et que, n'obtenant pas l'adhésion de la Pologne, il avait déclaré que les "petits pays" "feraient mieux de se taire", il n'avait sûrement pas consulté l'ambassadeur de France en Pologne. Les résultats en avaient été désastreux dans l'opinion de ce pays : on avait souvent fait comprendre dans l'histoire aux Polonais qu'ils "feraient mieux de se taire".

Enfin, la question pour la politique extérieure française est plus vaste qu'on ne le dit : c'est toute la "politique arabe" gaullienne, objet d'un vaste consensus, qui est remise en question. Après tout, François Miterrand et Jacques Chirac avaient été d'accord, au moment de la première cohabitation, pour interdire aux avions américains qui voulaient entreprendre une action ciblée contre Kadhafi le survol du territoire français.

Ce qui est frappant, c'est que l'on se retrouve sur le plan géopolitique avec une équation qui ressemblait à celle à laquelle les néoconservateurs américains ont apporté une réponse si désastreuse : comment concilier la démocratisation de la région avec le respect des équilibres, et avec le souci de la sécurité d'Israel ?

Bref, il serait dommage que les péripéties gouvernementales masquent deux questions de fond. La première est celle de la manière dont l'Europe voit le monde arabe. On envisageait que ces pays musulmans transposent dans le monde arabe le modèle d'une Turquie européenne ; or ils avancent de leur propre mouvement, sans attendre l'hypothétique adhésion turque. L'Union méditerranéenne pourrait retrouver une actualité, mais il faudrait la repenser totalement et en faire un projet européen...

La seconde question de fond est celle du fonctionnement gouvernemental : on dirait que les ministres, et le premier d'entre eux, ne retrouvent une autonomie que dans les périodes de crise, et qu'ils répugnent à s'en servir ou s'en servent avec maladresse. D'où des réactions un peu tardives : le départ de Brice Hortefeux aurait été sans doute plus opportun il y a quelques mois, par exemple. Nicolas Sarkozy avait d'abord voulu mettre ses ministres à l'épreuve comme des écoliers, les juger sur résultats, mais ils n'avaient pas assez d'autonomie pour en présenter, et curieusement, le pouvoir a réagi à leurs difficultés en les soutenant passivement tout en les laissant se débattre, pour les lâcher ensuite.

Bref, le gouvernement a à la fois un tournant diplomatique à prendre et à réfléchir, s'il est encore temps, sur son déficit de fonctionnement collectif, qui finalement le rend peu réactif. Mais il serait dommage que la fixation médiatique sur Nicolas Sarkozy aboutissent à escamoter le grand défi qui attend une diplomatie française qui n'est pas si hors de combat que cela, et qui vient de trouver un ministre d'expérience.

vendredi 25 février 2011

Hugo avait raison, mais pas à lui seul


Ce ne sont pas des émeutes de la faim qui ont lieu en Libye, et cela confirme que nous sommes bien en présence d'une vague démocratique. Belle occasion de nous réinterroger, nous qui vivons la démocratie concrète, institutionnalisée, imparfaite, toujours décevante et toujours à réformer. Ces gens se battent et meurent pour connaître ce qui nous connaissons. La démocratie que nous connaissons et la démocratie qu'ils souhaitent, c'est au fond la même.

La même et pourtant... Ils sont encore, et ils en paient souvent le prix très cher, dans les valeurs, et nous sommes dans le fait. Ils meurent pour des idées et nous sommes dans le réel. Tocqueville ici nous parle encore, lui qui jugeait qu'au fond la démocratie reposait sur le fond moral le plus légitime qui soit (l'idée de l'égalité de dignité de tous les êtes humains), et qu'une fois mise en place, elle risquait d'être dominée par un climat "d'insatisfaction querelleuse". La Démocratie en Amérique choquait ainsi les conservateurs, sans rallier les démocrates idéalistes des années 1830 et 1840.

Les historiens sont souvent empêtrés dans un tas de références, parfois aveuglés par leurs longs tête-à-têtes avec les témoins d'époques révolues. Mais parfois, ces références contradictoires ressurgissent comme d'elles-mêmes, et nous éclairent. Suivant comme tout un chacun les événements lybiens, je me disais : Hugo a raison, et Taine a raison.

Hugo, idéaliste, persuadé qu'il y a un fond religieux dans la démocratie, une légitimité transcendante, quelque chose qui a à voir avec ce que doit être l'humanité, quelque chose qui transcende les vicissitudes concrètes de la politique, et pour qui rien ne remplace le libre suffrage éclairé par l'instruction. Hugo qui, même en juin 1848, n'a jamais peur, alors même que la peur est (aujourd'hui plus que jamais en Europe), une des passions politiques dominantes. Et qui pense que même quand on doit défendre l'ordre et la légalité, il faut voir plus loin, et toujours quêter des remèdes.

Taine, pour qui Hugo représentait le type même des "vieilles barbes" romantiques, était bien plus sceptique sur les vertus du suffrage universel. Dans la préface de ses Origines de la France contemporaine, vision amère de la révolution française et de son héritage, il écrivait qu'un peuple consulté peut dire le régime qu'il souhaite, pas forcément celui qui lui convient le mieux. Il était positiviste, et comme tel sensible à la spécificité des différentes sociétés, à leurs besoins concrets, au poids des héritages.

Hugo s'enthousiasmerait aujourd'hui, au point sans doute, comme certains aujourd'hui, de ne se poser aucune question sur le futur politique de l'islamisme en Egypte, sur le futur rôle de l'armée, sur la future capacité d'une démocratie tunisienne à régler les problèmes du pays. Taine serait sans doute effondré, et crierait casse-cou face à l'idéalisme de certains commentaires.

J'aime à penser, las d'interroger des morts et postulant leurs réponses, que Tocqueville tiendrait le milieu. Qu'il dirait que nous sommes aujourd'hui face à une nouvelle attestation de l'universalité des idéaux démocratiques, et à la valeur inconditionnelle des idées de liberté et d'égalité devant la loi. Que dans le même temps, les démocraties, quand bien même elles parviennent à se mettre en place, doivent trouver des régulations spécifiques, s'accommoder des traditions nationales, et que quand bien même elles le font, elles ne règlent pas tous les problèmes, et peuvent être fragiles. Qu'à partir du moment où, comme après 1848, nous n'avons plus confiance dans la clairvoyance ou la bonté du "peuple", nous serons obligés de tirer de tout ce qui va se passer des bilans contrastés, et qu'une rechute autoritaire ici ou là est loin d'être exclue.

Et quitte à convoquer les morts, pourquoi ne pas ressusciter le vieux Proudhon ? Il nous parlerait de sa vision de la dialectique, il nous montrerait les sociétés toujours traversées de tensions insolubles, qui n'admettent comme solution que des équilibres - nous lui ôterions même un peu d'optimisme, en disant que ces équilibres sont toujours provisoires, et toujours remis en question.

Et puis, reposant leurs livres dans la bibliothèque, nous nous dirions que le XIXe siècle a un aspect irremplaçable : on y rencontre, comme François Furet l'avait compris, des esprits bien utiles pour comprendre le passage à la démocratie, sa grandeur et ses problèmes.

vendredi 18 février 2011

Un horizon 2012 en miettes


La montée de Marine Le Pen dans les sondages (20% annoncés ce matin 18 février, quand bien même on sait que les sondeurs sont amenés à gonfler les chiffres pour tenir compte de ceux qui n'osent pas avouer leur vote Front national) paraît confirmer l'éclatement actuel du paysage politique français.

En 2002, au moment de la fondation de l'UMP, les commentateurs estimaient que ce rassemblement de la droite appelait une structuration plus forte de la gauche autour d'un parti socialiste alors bien mal en point après l'échec dramatique de Lionel Jospin. On était encore dans la pensée des années 1980 et 1990, selon laquelle la France de la Cinquième république, munie d'une gauche de gouvernement, allait s'organiser selon un modèle proche du bipartisme, et ainsi se "normaliser", c'est-à-dire se rapprocher du vécu démocratique relativement dépassionné des autres démocraties.

Nous sommes plus loin que jamais de ce schéma : d'une certaine manière, on peut dire que le pays résiste à la logique post-1962 des institutions.

On peut considérer, quel que soit l'avenir des tentatives hasardeuses d'unification du centre, que l'inclusion de l'ensemble du centre droit dans l'UMP est, du point de vue des néogaullistes, un rêve dont il faut faire son deuil. C'est probablement sur Hervé Morin (voire sur Jean-Louis Borloo, voire sur les deux) que compte désormais l'actuel président pour mordre sur l'électorat modéré, et cela se jouera hors de l'UMP.

Le rêve d'une résorption du FN et d'une récupération de son électorat a fait long feu. La poussée sécuritaire et antimigratoire de ces derniers temps n'a pas servi : ce qui marche en campagne, et ce qui ne peut marcher qu'une fois pour une campagne, ne marche plus lorsqu'on est au pouvoir : Nicolas Sarkozy et Brie Hortefeux se sont placés sur un terrain où ils sont heureusement gênés par les obligations d'un Etat démocratique et libéral, tandis que Marine Le Pen a pu y déployer à son aise un discours tribunicien.

Chez les socialistes, on aurait tort de se réjouir du plafonnement d'Olivier Besancenot et des siens. Le Front de gauche est un concurrent plus rude, mieux implanté localement grâce aux restes du Parti communiste, plus susceptible d'attirer les milieux populaires, et son leader excelle a tirer partie du masochisme (ou de la mauvaise conscience?) des médias. Et encore le PS est-il actuellement favorisé par l'indécision du rassemblement écologiste quant au choix de son candidat.

Clairement, on voit que 2007 n'a pas marqué, contrairement à ce qu'on avait souvent cru alors, la fin de la grande difficulté de la société française à trouver des politiques qui en représentent durablement une large part. La gauche bénéficiait du traumatisme de 2002, la droite du talent stratégique attrape-tout de Nicolas Sarkozy. Pour la première fois depuis longtemps, les principaux candidats faisaient campagne.

En 2012, les candidats neufs seront Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Ils ont tous deux leur étiage programmé, mais ils pourront entamer durablement l'assise des forces de gouvernement.

lundi 7 février 2011

Lendemains de fête ?


La révolution tunisienne et celle qui paraît s'amorcer en Egypte ont suscité une vague de sympathie en France qui ne s'est pas éteinte, mais qui commence à se pondérer, au fur et à mesure que des commentaires plus distanciés se font entendre.


Un peu à la manière de "l'obamania", les images des manifestations, les propos en appelant au respect du peuple, à la liberté, les protestations contre la corruption, l'attente de lendemains meilleurs, l'esprit de sacrifice, tout cela a réveillé en nous un écho des espérances qui fondent notre système, et qu'en ce moment nos politiques ne savent pas évoquer, ni même parfois tout simplement comprendre (je pense aux propos de Michèle Alliot-Marie sur TF1, s'étonnant que l'on mette sa vie en danger pour contester un régime). Et cela permet de respirer : retrouver au moins par bouffées le goût de la liberté, c'est déjà quelque chose.


Tout cela a un petit côté 1848. Le spectacle d'un pouvoir qui vacille, le rôle des morts dont le martyr galvanisent les foules manifestantes, l'impression d'une conquête de l'avenir, celle que l'idéal démocratique est là, en arrière-plan, dans toute sa légitimité profonde... Ne soyons pas renfrognés face à cela, ne serait-ce que pour que nous soyons enfin conscients des droits qui nous semblent normaux au point que nous ne les voyons plus.


Cependant, tout cela n'est pas une réponse suffisante au, les vraies questions qui surgissent tout de suite, dès lors que le choix d'un régime politique n'est pas seulement un choix de valeurs, mais vise à organiser un pays, et se doit d'être au moins accepté par une société complexe.
Un leader va-t-il s'imposer ? Un Louis-Napoléon Bonaparte qu'on espérerait un peu mieux disposé envers le respect de l'ordre constitutionnel ? Les oppositions ont-elles en elles, et à elles seules, tout ce qu'il faut pour représenter le "peuple", ce principe de légitimité incontournable et cet être insaisissable, protéiforme, divers voir divisé ? Moubarak n'essaie-t-il pas juste de tenir assez longtemps pour pouvoir surfer sur la vague de réaction qui suit tout changement brusque ? C'était, semble-t-il, le calcul de Louis XVI...

Plus profondément, nous vivons peut-être de manière dramatique, en Egypte, le face-à-face ultime entre un nationalisme arabe à bout de souffle, qui n'a accompli ni son projet géopolitique (unir l'hypothétique "nation arabe" pour qu'elle pèse dans la politique mondiale), ni son projet démocratique et socialiste (perdu dans l'autoritarisme, la corruption et la contrainte économique), et qui a dû (heureusement à mon sens), finir par accepter l'existence d'Israel, et un islamisme dont l'évolution future reste une des grandes inconnues de ce siècle commençant.
Les Frères musulmans sont-ils prêts à connaître une évolution comparable à celle qui a mené, en deux siècles, du catholicisme intransigeant à la démocratie chrétienne ? Quelles vont être les conséquences, au Moyen Orient, du changement en cours ?

On peut frémir en pensant à l'enthousiasme qui avait accueilli dans un premier temps la révolution iranienne ; il est possible que les choses soient aujourd'hui très différentes. Nous avons déjà reçu une bonne nouvelle : les idéaux démocratiques conservent une force d'attraction même là où nos opinions publiques blasées ne l'attendent pas. Certes, le rêve des néoconservateurs américains s'est enlisé en Irak en 2003, et ce wilsonisme armé a touché ses limites - le pari cependant sur l'universalité démocratique n'est peut être cependant pas aussi absurde qu'il en a l'air, et le changement de ton de la diplomatie américaine en témoigne.

Ne pourrions-nous essayer de ne pas reproduire l'erreur néoconservatrice ? Il faudrait alors être attentif au passage, toujours difficile, de la poussée des idéaux démocratiques à la mise en place d'une démocratie réelle, durable. Nous oublions souvent à quel point cela a été long pour nous, plus de trente ans, finalement, en France, après la flambée de 1848. Il faudrait penser aussi à ce que le nouveau régime, quel qu'il soit, réussira à faire de deux requêtes sur lesquelles les démocrates progressistes ont tendance à fermer les yeux, et qui peuvent se résumer en deux questions : Comment maintenir l'ordre civil ? Que faire des forces traditionnelles ?

mardi 1 février 2011

En écoutant François Bayrou...


En qualité de grand témoin, François Bayrou s'est rendu à un séminaire historique consacré aux centres sous la Cinquième République : sont-ils ou non en marge du système ? Attentif, il écoute d'abord deux mises au point.


L'une, celle de Jean Garrigues, est synthétique. L'historien expose et analyse les différentes stratégies centristes successivement mises en oeuvre pour reconquérir une certaine initiative politique, ou au moins une place significative dans un régime qui, surtout depuis 1962, repose sur la bipolarisation. L'autre mise au point est due à Jean-Pierre Rioux ; elle met en avant, avec une sympathie certaine pour elles, les valeurs du centre.


Puis François Bayrou prend la parole. D'emblée, ses propos confirment l'interprétation de sa stratégie par Jean Garrigues ; ce dernier avait en effet silhouetté un "centrisme présidentiel", misant tout sur la conquête de l'Elysée pour bousculer le système politique et placer une force centriste indépendante au coeur de celui-ci.


Défendant un centre "autre" et non pas "entre", le leader du Modem développe ensuite la vision qui l'habite. Disons-le tout de suite, l'homme force le respect ; son courage et sa détermination sont connues, et lui-même évoque un souvenir qui reste vif chez beaucoup, celui de son discours de Toulouse, en 2002, où face à un auditoire acquis à la fusion des gaullistes et des centristes dans l'UMP toute neuve, il avait lancé son célèbre "si nous pensons tous la même chose, c'est que nous ne pensons plus rien".


Les thèmes qu'il développe sont semi-gaulliens : l'union nationale préférable au clivage droite-gauche, la cacophonie interne des partis, et même l'idée que la construction européenne doit être conditionnée à une reprise d'initiative de la France. La critique des ralliements des uns et des autres, de l'interpénétration des intérêts publics et privés, de l'influence directe ou indirecte du pouvoir sur les médias, reste dans la tonalité de la campagne de 2007.


François Bayrou se présente également comme quelqu'un qui a mis vingt ans, après un début de carrière politique rapide, à comprendre à quel point le système était bloqué et le pouvoir y était en trompe-l'oeil. Cette reprise rapide de son itinéraire, sa volonté de ne pas se décourager alors même qu'il pense être passé tout près du succès en 2007, tout cela donne l'impression d'un homme qui a pris son risque, qui l'assume. L'auditoire se fait un peu spectateur. C'est en effet toujours un spectacle, et qui ne laisse pas insensible, de voir un homme face à son destin.


Qui sait ? Peut-être que dans la confusion générale qui s'annonce pour l'instant, ses chances en 2012 ne sont pas négligeables... l'élection est loin, et les Français votent souvent pour des personnages qu'ils connaissent bien.


Mais l'exercice est solitaire. Toute stratégie a un coût immédiat, en plus des risques qu'elle entraîne. Le discours sur l'Europe, sur les Etats-Unis, sur les institutions, la critique globalisante, comme tout cela est loin du centrisme ! L'horizon d'une politique équilibrée, "raisonnable", est maintenu, mais recule dans le futur. En attendant, c'est un discours contestataire qui est tenu. Un discours tellement rodé qu'il en est clos.


Certes, on peut dire que le centre a, avec François Bayrou, un leader, si l'on s'en tient à la fermeté et à la densité du personnage. Mais ce leader s'est coupé de la tradition qu'il incarne ; il a manifestement pris goût à la solitude. Le basculement stratégique vers l'objectif présidentiel et la volonté d'un centre "autre" ont fait de lui un homme sans troupes, presque sans élus pour le soutenir. Ce leader n'est pas un rassembleur, comme si tout effort de construction politique était repoussé à l'après-victoire, dans une perspective presque révolutionnaire.


L'afflux brusque, en 2007, d'électeurs socialistes non convaincus par Ségolène Royal et d'écologistes déçus par les Verts, joint à la fidélité d'une partie des centristes, tout cela pourra-t-il encore être au rendez-vous en 2012 ? Il reste cependant à François Bayrou une ressource : la fermeté dans un paysage politique pulvérulent.
Mais en l'écoutant, on se demande si l'élection présidentielle au suffrage universel, devenue l'élection centrale dans notre système, n'est pas, finalement, une épreuve trop intense pour ceux qui s'y présentent. Il faut, pour survivre à la pression médiatico-politique qu'elle entendre, développer une telle résistance que ceux qui ont tenu, gagnants et perdants, se trouvent comme isolés de leurs contemporains. Peut-être aussi que seuls ceux qui sont prédisposés à cet isolement y résistent, alors même que, face à un monde complexe, nous avons un énorme besoin de travail collectif.