mercredi 2 avril 2008

Ouverture : 1988 - 2007

Nous commençons à disposer d'une certaine épaisseur temporelle pour analyser la politique d'ouverture du président Sarkozy : celle-ci a d'abord été essayée par François Mitterrand en 1988, ce qui permet une comparaison, et d'utiliser la ressource de l'histoire proche.


L'ouverture correspondait alors à une stratégie politique déployée pendant la campagne présidentielle ; c'était le temps du « ni-ni » (ni nationalisation, ni privatisation) le temps où il fallait prendre acte du déclin du parti communiste. Elle correspondait aussi à une conjoncture politique précise, puisqu'aux élections législatives, le parti socialiste ne disposait pas à lui seul de la majorité. Il fallait pratiquer une politique de bascule, en allant parfois chercher le soutien du parti communiste, parfois le soutien des centristes. Michel Rocard, l'homme de gauche le plus populaire à droite, était d'ailleurs le premier ministre le plus adapté à cette situation. Ces années post 1988 étaient sans doute celles qui étaient le plus indiquées pour une modernisation idéologique consciente et explicite de la gauche, d'une gauche qui revenait au pouvoir après avoir eu deux ans pour digérer sa première expérience gouvernementale de la Cinquième république. Bref : la campagne s'était jouée au centre, il fallait gouverner au centre gauche, il était donc logique d'aller débaucher quelques centristes, parfois très bien implantés localement, comme Jean-Pierre Soissons, devenant ministres d' « ouverture ».

La stratégie présidentielle de Nicolas Sarkozy a quant à elle connu une inflexion notoire et audacieuse au cours de la campagne. La stratégie numéro 1 était inscrite dans la durée, elle a été maintenue contre vents et marées, et témoigne de la ténacité du personnage : fédérer les droites pour les rassembler, quitte à juxtaposer des discours pas toujours compatibles. Miser donc sur la frustration des électeurs de droite, médiatiquement sous-représentés, et un peu mal à l'aise face au côté « radical-socialiste » de Jacques Chirac, amplifié par la défaite de 1988. Cette stratégie a fait de Nicolas Sarkozy le candidat incontournable de la droite, l' « anti-Chirac » par excellence, l'homme capable de reconquérir une partie de l'électorat du front national sans trop modifier son discours. Je me souviens d'une discussion avec des amis, au moment où Nicolas Sarkozy avait lancé l'idée d'un ministère de « l'identité nationale ». Tous s'indignaient, et on m'avait demandé ce que j'en pensais. C'était à mes yeux le piège par excellence : toute la gauche allait s'indigner, le candidat allait pouvoir dire que cette indignation était suspecte (avec une formule du type : « l'identité nationale n'est pas un gros mot »), et les électeurs du Front national serait récupérés sans qu'il y ait pour cela besoin de dire des choses indéfendables. Cette stratégie « identitaire » de droite, appuyé sur le discours de la « rupture », était le socle de la campagne du premier tour.
À cette première stratégie, s'en est ajouté une seconde, qui a commencé à poindre dès l'investiture du candidat Sarkozy, ce qui donne à penser que cela était très construit : laissez-moi, disait-il, aller vers les autres, vers ceux qui ne pensent pas comme nous.

D'où un élargissement du discours du candidat, qui correspondait aux thèmes que développait Henri Guaino : à partir d'un discours national, on intègre le discours de la gauche. Ces deux lignes ont bien fonctionné dans la campagne, à mon avis pour deux raisons : la première était déjà enracinée, inscrite dans la durée, et la seconde a bénéficié d'une atonie, qui semble rétrospectivement assez incroyable, de la part de l'équipe de Ségolène Royal. Je me souviens d'avoir suivi la retransmission de certains discours sur la laïcité, où une synthèse de ce type s'opérait (« Dieu et Voltaire »), qui qui auraient mérité de lancer au moins une polémique, voire un vrai débat de fond. Champ qui a été laissé en friche.

L'ouverture est apparue comme le couronnement de cette seconde ligne, avec un petit air d' « union nationale ». Or, très tôt, à mon avis dès le second tour des élections législatives, on a vu qu'elle n'était pas payante. Je crois que les raisons en sont les suivantes :

- Elle a été vue comme une tentative de « dynamiter » la gauche. Le Canard Enchaîné titrait : « Sarkozy veut nettoyer la gauche au Kouchner ». Du coup, elle a eu, je crois, un effet remobilisateur pour les électeurs de gauche, qui encaissaient déjà leur troisième défaite électorale à la présidentielle. La fiction du « je reste de gauche, tout en participant à un gouvernement de droite », inopérante ailleurs que pour les affaires étrangères, montrait assez le côté artificiel du procédé, mais accroissait l'impression que le gouvernement voulait priver l'opposition de ses forces vives, et empêcher la gauche de se moderniser.

- Elle a ainsi accru les soupçons de concentration du pouvoir, en donnant un petit air de « entre les communistes et nous, il n'y a rien. » (On dirait aujourd'hui : entre l'extrême gauche et nous...). Le fait qu'elle n'ait pas été présentée comme une mesure circonstancielle (après tout, il y avait pas mal de points d'accord en politique extérieure entre Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy) mais qu'on ait voulu en faire le début d'une recomposition politique a accru les choses.

- Elle a été mal reçue par le cœur de l'électorat de Nicolas Sarkozy, ceux qui ont voté pour lui à cause de la « première ligne ». Peut-être l'ouverture avait-elle été mal reçue par une partie de l'électorat de gauche en 1988, mais elle était plus univoquement préparée par la campagne, et François Mitterrand avait capitalisé aux yeux de son électoral un immense prestige en étant l'homme qui avait amené la gauche au pouvoir en 1981. Tandis que Nicolas Sarkozy avait envoyé dans un premier temps à son électorat un message du type : « fini les compromis ».

Ajouterai-je qu'à mes yeux, elle rappelle aussi le fait que 1988 marque le début de l'immobilisme français ? Depuis 1946 jusqu'en 1988, pratiquement tous les gouvernements, de droite et de gauche, on fait des réformes, bonnes ou mauvaises, électoralement payantes ou non. C'est à partir de 1988 que les dossiers les plus importants ont été l'objet de stratégies dilatoires. Dans la mesure où il est maintenant clair que le « choc de confiance » sur lequel comptait l'équipe actuelle ne s'est pas produit, j'ai le sentiment qu'on attend de part et d'autre (droite et gauche) une certaine clarification et une certaine lisibilité du débat.

Jérôme Grondeux

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