Je me souviens d'un dîner de 2005, quelques jours après le référendum et la victoire du "non" au projet de constitution européenne. J'étais dans le camp du "oui", et comme beaucoup j'avais vu dans les derniers temps de la campagne à quel point la cause était perdue.
Les grosses caisses de la campagne du "oui" avaient sonné dans le vide, et, pire, la campagne avait été contreproductive. Votez "oui", sinon, c'est le désastre. Pas de lutte arguments contre arguments, et Dieu sait pourtant si, à mon sens, le camp du "non" était vulnérable, avec son "plan B" dont on cherche encore, des années après, la moindre trace de l'existence.
Les convives de ce dîner étaient "ouiistes", comme moi. Mais tous s'en tenaient à l'argument de la bêtise des électeurs, et à celui de la démagogie des "nonistes", pour expliquer leur défaite. Qu'ils minimisaient ainsi : simple accident de parcours, qui ne nous remettait pas en question.
Je croyais que nous étions dans une vraie crise du sens du débat et de la pédagogie politique. Que cette défaite nous remettait en question, qu'elle était le symptôme d'une crise de confiance, issue dans mon camp d'un double manque d'écoute des contradicteurs et de sens du combat politique. Ce que nous croyions, il fallait en convaincre sinon nos interlocuteurs nonistes, du moins les électeurs arbitres du combat.
Je repense ce soir à ce dîner parce que je viens de regarder sur France 2 l'émission de Marine Le Pen. Son talent de débatteuse est évident, sa ligne claire : créer une droite populiste et souverainiste, comme il en existe dans d'autres pays européens, sur la base d'un néonationalisme. Je suis inquiet face aux arguments de ses contradicteurs, dans les rangs desquels je me situe, tout comme j'étais dans le camp du oui. Dire de quelqu'un qu'il est "dangereux", en démocratie, c'est ne rien dire - il suffit de dire qu'on n'est pas d'accord avec lui et qu'on estime que ses projets ne feront pas de bien au pays.
Surtout, le "droit de suite", espèce de mot de la fin confié à Caroline Fourest et Laurent Joffrin, m'a atterré. Nul bilan tiré par ces deux intervenants de l'émission qui précède, où pourtant, malgré un climat tendu et l'évidente non maîtrise du débat par l'animateur, quelques arguments ont été échangés. Ils n'ont manifestement pas écouté.
A la place, une arrogance extraordinaire : on pose une question qui est en fait une attaque, et dès que la réponse n'est pas celle attendue, on proclame qu'il n'y en a pas eu. Laurent Joffrin inflige un minicours d'économie politique, d'ailleurs à mon avis pas faux sur le fond, et ne laisse pas Marine Le Pen répondre. Caroline Fourest accuse, invective, veut visiblement "faire tomber" la femme politique en face d'elle.
Ils savent, tous les deux. Ils n'ont rien à apprendre. Ils sont juste là pour montrer au bon peuple la clarté de leur conscience morale et l'ampleur de leur information, quitte à approximer à tour de bras. Marine Le Pen ne peut pas aligner deux phrases.
On sait à quel point l'extrême droite fonctionne sur la thèse du complot et de la dénonciation globalisée des élites coupées du peuple : on dirait que ces deux-là ont entrepris d'être la parfaite illustration de ce que leur adversaire pense d'eux.
Marine Le Pen a le droit de penser ce qu'elle pense. Elle a le droit de défendre ses idées. "Vous n'êtes pas républicaine", lui lancent-ils : qui, mais qui leur a donné le droit d'attribuer ce label ?
Du coup, ils sont en trente secondes sur la défensive. Comme si toute remise en question leur était insupportable, comme si au fond, leurs convictions étaient tellement fragiles qu'ils se transforment en dames patronnesses offfusquées dès qu'ils sont face à quelqu'un qui ne les partage pas.
J'ai peur que le camp du "oui" de 2005 n'ait rien appris. Qu'il se soit tellement éloigné de l'esprit démocratique et républicain que le forum lui fait peur. Et même le public : les téléspectateurs sont, je crois, assez grands pour se faire leur idée au sortir d'un débat contradictoire. Ils ne sont pas les enfants en bas âge de Laurent Joffrin et de Caroline Fourest.
Les grosses caisses de la campagne du "oui" avaient sonné dans le vide, et, pire, la campagne avait été contreproductive. Votez "oui", sinon, c'est le désastre. Pas de lutte arguments contre arguments, et Dieu sait pourtant si, à mon sens, le camp du "non" était vulnérable, avec son "plan B" dont on cherche encore, des années après, la moindre trace de l'existence.
Les convives de ce dîner étaient "ouiistes", comme moi. Mais tous s'en tenaient à l'argument de la bêtise des électeurs, et à celui de la démagogie des "nonistes", pour expliquer leur défaite. Qu'ils minimisaient ainsi : simple accident de parcours, qui ne nous remettait pas en question.
Je croyais que nous étions dans une vraie crise du sens du débat et de la pédagogie politique. Que cette défaite nous remettait en question, qu'elle était le symptôme d'une crise de confiance, issue dans mon camp d'un double manque d'écoute des contradicteurs et de sens du combat politique. Ce que nous croyions, il fallait en convaincre sinon nos interlocuteurs nonistes, du moins les électeurs arbitres du combat.
Je repense ce soir à ce dîner parce que je viens de regarder sur France 2 l'émission de Marine Le Pen. Son talent de débatteuse est évident, sa ligne claire : créer une droite populiste et souverainiste, comme il en existe dans d'autres pays européens, sur la base d'un néonationalisme. Je suis inquiet face aux arguments de ses contradicteurs, dans les rangs desquels je me situe, tout comme j'étais dans le camp du oui. Dire de quelqu'un qu'il est "dangereux", en démocratie, c'est ne rien dire - il suffit de dire qu'on n'est pas d'accord avec lui et qu'on estime que ses projets ne feront pas de bien au pays.
Surtout, le "droit de suite", espèce de mot de la fin confié à Caroline Fourest et Laurent Joffrin, m'a atterré. Nul bilan tiré par ces deux intervenants de l'émission qui précède, où pourtant, malgré un climat tendu et l'évidente non maîtrise du débat par l'animateur, quelques arguments ont été échangés. Ils n'ont manifestement pas écouté.
A la place, une arrogance extraordinaire : on pose une question qui est en fait une attaque, et dès que la réponse n'est pas celle attendue, on proclame qu'il n'y en a pas eu. Laurent Joffrin inflige un minicours d'économie politique, d'ailleurs à mon avis pas faux sur le fond, et ne laisse pas Marine Le Pen répondre. Caroline Fourest accuse, invective, veut visiblement "faire tomber" la femme politique en face d'elle.
Ils savent, tous les deux. Ils n'ont rien à apprendre. Ils sont juste là pour montrer au bon peuple la clarté de leur conscience morale et l'ampleur de leur information, quitte à approximer à tour de bras. Marine Le Pen ne peut pas aligner deux phrases.
On sait à quel point l'extrême droite fonctionne sur la thèse du complot et de la dénonciation globalisée des élites coupées du peuple : on dirait que ces deux-là ont entrepris d'être la parfaite illustration de ce que leur adversaire pense d'eux.
Marine Le Pen a le droit de penser ce qu'elle pense. Elle a le droit de défendre ses idées. "Vous n'êtes pas républicaine", lui lancent-ils : qui, mais qui leur a donné le droit d'attribuer ce label ?
Du coup, ils sont en trente secondes sur la défensive. Comme si toute remise en question leur était insupportable, comme si au fond, leurs convictions étaient tellement fragiles qu'ils se transforment en dames patronnesses offfusquées dès qu'ils sont face à quelqu'un qui ne les partage pas.
J'ai peur que le camp du "oui" de 2005 n'ait rien appris. Qu'il se soit tellement éloigné de l'esprit démocratique et républicain que le forum lui fait peur. Et même le public : les téléspectateurs sont, je crois, assez grands pour se faire leur idée au sortir d'un débat contradictoire. Ils ne sont pas les enfants en bas âge de Laurent Joffrin et de Caroline Fourest.
7 commentaires:
Victoire de Le Pen fille qui a su, par ses talents oratoires retourner la situation et mener Caroline Fourest et Laurent Joffrin sur ce qui se fait de plus bas dans des débats. Et pourtant les méthodes de déstabilisation du clan Le Pen sont bien connues: il est donc assez décevant de voir encore des personnes tomber dans ce panneau. Quelle déception aussi face au manque de contrôle de Pujadas qui n'a pas su maîtriser son émission, n'y a-t-il qu'Yves Calvi qui arrive à organiser des débats corrects?! Marine Le Pen est un colosse aux pieds d'argile: colosse car elle sait parfaitement manipuler et utiliser les médias, parce que c'est une formidable oratrice; au pieds d'argile car son discours est bien souvent creux, et qu'elle est obligée de jongler entre un discours border-line tendant à séduire l'électorat classique FN et un discours plus modéré, républicain, populaire et populiste, qui tend à rallier une plus large frange de l'électorat: ce double discours relève de la tartufferie et l'entraîne à ne pas assumer certaines de ses lignes de programme. Les bonnes questions seraient, le FN a-t-il un programme viable pour la France? la possibilité de monter une équipe gouvernementale compétente? un parti où une famille, un clan a autant de pouvoir est-il digne d'une démocratie?
Tout à fait d'accord avec vous M. Grondeux pour dire que nous voyons apparaître en France un néonationalisme et un souverrainisme, qui ont fait des poussées dans un grand nombre de pays européens.
Ces faits nouveaux montrent les limites de la construction technocratique de l'Europe, qui faute d'un discours homogène, clair, bien connu, fait naître de nombreux doutes et peurs: les instances européennes sont en place, il est temps de construire l'Europe dans les esprits, de la démocratiser.
Dernière remarque: il serait temps de reconnaître le vote blanc, qui permettrait de drainer une bonne part de l'électorat les-politiques-tous-pourris-je-vote-Le-Pen et de diviser considérablement les scores du FN, qui serait bien obligé d'entrer dans les questions de fond et non d'instrumentaliser les peurs ou les angoissses.
Je viens de visionner l'échange entre Marine Le Pen, Laurent Joffrin et Caroline Fourrest. Le FN a un avenir radieux devant lui avec une telle opposition. L'électorat FN ne peut que se sentir rejeté par ces bonnes âmes si agressives bien éloignées de leurs soucis quotidiens. Qui dit rejeté, dit consolidé dans leur vote. Mon père et mon frère s'étaient mallheureusement faits convaincre par les solutions simplistes du FN et plus JM Le Pen était attaqué et plus ils prennait un malin plaisir à le soutenir. Il y a qqch d'innaceptable dans le traitement réservé au FN. Cela dure depuis 30 ans. Plutôt que de nier les problèmes soulevés par le FN, il aurait fallu les combattre en cherchant des solutions républicaines.
Il reste un an pour apporter des contradictions constructives à Marine Le Pen, la traiter de dangereuse, de fasciste, de raciste ou de xénophobe ne sera que contre productif et nous garantira un non choix au second tour de la présidentielle.
Rassurons-nous, Laurent Joffrin est serein, il sait qu'elle ne sera pas élue et est fier de lui dire. Ca s'est du débat ...
D'abord, je crois que le vrai propagandiste était Pujadas, complètement dépasse, et qui permettait du coup a Marine Le Pen de se situer a la fois dans le débat et dans une position d'exteriorite critique par rapport a celui-ci. Ensuite, peut-on avoir un débat autre avec quelqu'un qui refuse que la discussion porte sur ses propres propositions, pour se borner a un discours purement négatif?
Je pense moi aussi que ce débat a-involontairement- contribué à renforcé Marine Le Pen.
Celle ci a pu s'appuyer sur des auteurs économistes qui , s'ils se montrent critiques voire hostiles à l'euro, sont consternés par l'indigence des solutions du FN. Caroline Fourest a écrit avant le débat qu'il fallait combattre le Front National sur ses idées et non sur la personnalité de sa dirigeante. Que ne l' a t elle fait à la télé ??? Comme l'a trés bien écrit M Grondeux, elle n'est en rien habilité à décerner des brevets de républicanisme à tel ou tel d'autant plus que ses attaques contre M Boniface ( absent du plateau)étaient proches de la diffamation, infraction justement puni par la République.
Le concept de l'émission n'est pourtant pas si mauvais mais il faut impérativement que les 2 examinateurs de la fin soient moins haineux ( tous les spécialistes savent bien que la diabolisation de l'adversaire est contreproductif sauf eux), maitrisant mieux leur sujet et surtout non interchangeables: pourquoi avoir choisi 2 journalistes de gauche et pas 2 spécialistes d'orientation différente, pourquoi pas R Cayrol et D Reynié par ex ( mais c'est sur , ils attirent moins la lumière que Fourest et Joffrin)
Très bon article, M.Grondeux. Je rajouterai que les deux intervenants de cette émission étaient détestables, intellectuellement malhonnêtes et sont bien les plus "dangereux" dans le paysage médiatique et politique (avec d'autres)
Nous sommes tombés bien bas pour que de tels personnalités soient considérées comme des éditorialistes ou même des idéologues de référence. Le pire, c'est que malgré leur hargne et leur manque total de déontologie, ils ont encore droit aux honneurs et bénéficient de multiples tribunes.
Cette émission m'a rendue Marine Le Pen plus sympathique sur le plan humain même si cela ne me fera clairement pas voter pour elle non plus.
La malhonnêteté qui se désirerait
Être "intellectuelle", est un méchant fléau.
Mais le pire, le gros pire qui hérisse la raie
N'est pas,
Comme ce fût écrit quelque peu juste en haut,
Ces nombreuses tribunes et ces très gras honneurs
Qui ne sont que blanc-seing à toutes les erreurs,
Ce qui me turlupine et me donne des cors
C'est surtout le crédit qu'ils s'accordent encore.
(Pardonnez-moi les rimes, mais comme on s'ennuie fort...)
Merci pour ces commentaires. Nous sommes là face à un vrai problème, qui ressemble à une crise non pas tant de la politique que du débat politique. Raymond Aron disait que la défaite, en politique, c'était de se voir avec les yeux de l'adversaire, et on a l'impression que c'est ce qui arrive à maints contradicteurs de Marine Le Pen. Effectivement, celle-ci est pourtant politiquement très vulnérable.
Pour Laurent Joffrin et Caroline Fourest, je suis d'accord en partie avec l'épigramme de Matthieu : l'omniprésence médiatique empêche de se renouveler en me^me temps qu'elle fait enfler la tête.
Une vraie question en arrière plan, c'est bien sûr comme d'autres commentateurs le disent celle de l'Europe. Si elle est défendue ainsi, elle est mal partie, et la question de la légitimité démocratique est lancinante...
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