jeudi 2 juin 2011

Au bonheur du Centre. Les origines du centrisme français

Il y a quelque temps, Cécile Carpentier évoquait Dominique de Villepin dans ce blog et nous faisait bénéficier de son talent journalistique. Je suis heureux aujourd'hui d'ouvrir le blog "commentaires politiques" à Christophe Bellon, historien du monde parlementaire, spécialiste d'Aristide Briand et fin analyste du monde politique contemporain, qui n'est pas pour lui un simple objet d'histoire... Il nous donne l'exclusivité de cette remise en perspective historique du centre. Lecteurs, à vos commentaires !
J. G.


Au Panthéon des forces politiques, il est un courant de pensée dont il semble, aujourd’hui encore, que la place ne soit pas définitive ; la remise en cause de l’effectivité de sa culture politique, aux yeux de nombre d’observateurs trop assurés, le condamnerait même à n’en disposer d’aucune, légitimement acquise. Depuis le XIXème siècle où il trouve ses sources et au cours d’une partie duquel il s’est épanoui, malgré le XXème siècle, dont les idéologies meurtrières ont renforcé, en contrepoint, l’intensité de sa clairvoyance, ses premiers géniteurs – les Français – s’amusent toujours de cette sensibilité, qu’ils chérissent autant qu’ils moquent.

Oui, le Centre, puisqu’il est question de lui, semble tout hagard, à la fenêtre de 2011. Seul, mal structuré, donc déséquilibré, polarisant tout et son contraire, il se cherche. Il est partout et nulle part, ici et là, attiré par tous, repoussé par les mêmes ; bref, il vit par procuration un destin qui aurait dû être le sien.

Pourtant, à l’inverse de bien d’autres courants politiques, il n’est pas orphelin, loin s’en faut. Ses fondements le condamneraient presque à la vie éternelle….Ses parents naturels ne sont-ils pas précisément la gauche et la droite ? C’est dire si la force de son message, les manifestations de sa vigueur et le rayonnement transversal de son positionnement d’équidistance témoignent de son existence et de la potentialité de son action. Oui, le Centre existe.

Pour que soient ainsi défendus, tant son message que son ardeur, au-delà de son existence même, il faut apporter plus de clarté à sa définition. Le Centre, qu’est-ce que c’est ?

A gauche, on a longtemps fait semblant de l’ignorer. François Mitterrand avait coutume de dire, lorsqu’on évoquait ce sujet : « le Centre, c’est bien gentil, mais dites-moi où il est. » A droite, il fut longtemps considéré comme un enfant bâtard, dans le meilleur des cas un demi-frère, celui que l’on vient chercher lorsque, par le plus grand des hasards, il reste une place à la table familiale. Il peut aussi subir les foudres de cette même fratrie qui ne manquera pas de venir, plus tard, lui vanter ses mérites ; les gaullistes en savent quelque chose, de l’affaire du Volapük aux propos d’Alexandre Sanguinetti, l’un de leurs secrétaires généraux, qui le qualifia un jour de « vichysme de temps de paix ». Aussi, l’intérêt indécis et tardif que la droite manifesta et continue à manifester pour le Centre, s’apparente-t-il la plupart du temps à l’hommage que le vice rendrait à la vertu.

Au même titre que l’on évoque les gauches ou les droites en France, n’est-il donc pas préférable, d’emblée, de parler de centrisme plutôt que de Centre, position géographique qui, par définition, isole plus qu’elle ne rassemble ? Assurément oui, si l’on veut en comprendre autant les sources que les manifestations et les promesses de sa vitalité.

En effet, dans les méandres du combat politique, comme dans l’affrontement des idées philosophiques, il est une question dont la solution apportée est au fondement du centrisme, jusqu’à lui donner un nom : les relations entre le temporel et le spirituel. Parce que ses aînés – droite et gauche - se disputaient la dépouille de l’Eglise constitutionnelle, à l’heure des prêtres autant jureurs que réfractaires, au nom de la Constitution civile du Clergé ou contre elle, les centristes, coincés entre Monarchiens et Girondins, furent les auteurs et les premiers exécutants de ce que l’affrontement révolutionnaire avait produit : l’article X de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses », apprenait-on à sa lecture.

Les centristes comprirent les premiers que dissocier citoyenneté et confession – la réforme – allait de pair avec le maintien des impondérables de la culture politique française – la tradition -, qu’on ne tarda pas à nommer « ciment social », pour qualifier les rapports quotidiens entre l’Etat et sa vieille maîtresse exigeante : la religion. Bien sûr et simultanément, aux yeux de tous, la France restait la fille aînée de l’Eglise. Aussi, première traduction dans les faits, de ce choix constitutif - ambivalent mais construit - du centrisme, le Concordat de 1801 opérait-il la synthèse a priori improbable, entre Bonaparte et la Papauté, les deux contractants recevant la bénédiction du premier centriste du XIXème siècle, Portalis, véritable maître d’œuvre du projet. Et tant pis si, avec les articles organiques de l’année d’après, au caractère totalement unilatéral, le pape fut contraint de boire le calice jusqu’à la lie, sous les yeux d’un Etat goguenard, généreux mais malicieux : la modération, consensus solide en perpétuel mouvement, triomphait des idéologies révolutionnaires et contre-révolutionnaires.

Le XIXème Siècle vécut sur cet héritage. Assurer l’équilibre de la vie politique française – sa survie même – revenait à veiller aux bonnes relations entre l’Etat et les cultes désormais reconnus. N’est-ce pas une époque, presque un siècle !, où l’on vit, partout en France, essaimer des préfets violets sous l’uniforme civilisé de l’évêque omnipotent, alors que par le budget des cultes, l’Etat rationaliste assurait par ailleurs un contrôle de tous les instants sur l’Eglise gallicane ? Et de citer, par là, de la Monarchie de Juillet jusqu’au Second Empire, d’autres centristes tout aussi soucieux, au fil des régimes, de la sérénité politique de leur pays, inséparable du caractère médian des décisions prises en la matière : François Guizot, Odilon Barrot, Charles de Montalembert et Félicité de Lamennais à leur manière, aussi bien que celui de leur successeur, Emile Ollivier qui, au plan politique, et au nom du « juste milieu », en traduisit les doutes autant que les hésitations.

Comme si personne ne savait être sans savoir devenir, des compromis étaient élaborés plus de trente-ans encore après la proclamation de la République, troisième du nom. Et le centrisme reçut ici une nouvelle impulsion. Avec le siècle finissant, stimulé par la volonté d’établir le plus durablement possible un modèle républicain, le régime de Léon Gambetta et de Jules Ferry contribua en effet à le conforter une nouvelle fois, presque malgré lui. En voulant faire évoluer la collaboration - souhaitée par le Concordat - entre l’Etat et les Eglises, vers un régime de vive laïcisation, les Républicains et leurs lois laïques, perdus dans l’outrance du combat anti-congréganiste du titre III de la loi de 1901 sur le contrat associatif, suscitèrent un deuxième centrisme, dont la structure nouvelle naît complètement avec la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Et Briand, après Portalis, de se faire l’un de ses premiers représentants.

A y voir de bien plus près, la Séparation n’est pas la traduction brutale du conflit entre les républicains et les catholiques. Ces derniers n’ont pas eu besoin de se retrouver face à cette grande loi pour faire état de leurs désaccords. Le texte de 1905, et surtout les trois lois suivantes de 1907 et 1908 qui l’amendent, traduisent un compromis dont le caractère libéral trahit, s’il en était besoin, la modération qui a prévalu à leur élaboration, dans le huis clos des commissions parlementaires, comme au rythme saccadé de la séance publique.

Aussi, la question se pose : y-a-t-il un si grand bouleversement entre la période concordataire et celle que nous connaissons depuis 1905 ? Pas vraiment, puisque passant d’un régime des cultes reconnus à celui des « religions connues », l’ordre public reste le grand maître des règles du jeu politique, celui dont le strict respect pousse désormais l’Etat républicain à garantir – pas moins que ça ! – aux cultes de fonctionner librement, et aux consciences de voir leur liberté assurée. Pour rendre viable le régime de 1905, l’Etat n’a-t-il pas été conduit à reconnaître la hiérarchie de l’Eglise catholique, seule Eglise qui s’opposa à la loi, au moment précisément, où il souhaitait s’en séparer définitivement ?

Symétriquement, rappelons-nous que le régime concordataire de 1801-1802 a lui aussi toujours veillé à ce que l’harmonie, à son fondement même, se gardât de ne pas perturber la sérénité sociale, fût-elle bousculée, ici ou là, par les cultes minoritaires, reconnus ou non. Le prosélytisme leur avait permis jadis de résister à la religion d’Etat ; il était encore pour eux un moyen d’obtenir la reconnaissance officielle, quand certains autres refusaient de se coucher dans le lit concordataire. Il leur semblait ne pas avoir été fait pour eux : moderato cantabile, le respect de l’ordre public…. Ainsi, le centrisme politique né avec le Concordat, renforcé par la Séparation au point de franchir une nouvelle étape de son histoire, a-t-il connu un fondement durable avec les débuts du XXème siècle.
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La question laïque et la résolution que la République apportait à ses conséquences séculaires contribuaient à ce que ce courant politique si présent, comme consubstantiel à la vie politique elle-même, acquît une culture politique propre. Fort de la légitimité donnée par l’acte politique d’une Séparation libérale, il pouvait s’étoffer. A l’instar du premier centrisme, le second se présentait comme l’enfant de la gauche et de la droite. Il venait d’abord de la première : les socialistes indépendants, opposés à l’unification de la S.F.I.O., rejoignaient les radicaux modérés et les élus de l’Alliance républicaine démocratique (A.R.D.) pour former un centre-gauche bien distinct des premiers soutiens au combisme et au Bloc des gauches : il était même en rupture sous les cabinets Monis et Caillaux. Il venait aussi de la droite – son aile la plus à gauche – qui avait soutenu le processus décisionnel de la Séparation d’un bout à l’autre : une partie de la Fédération républicaine s’était désolidarisée du parti d’Eugène Motte, et avait constitué un groupe parlementaire indépendant et fort influent, l’Union républicaine, nouveau centre-droit français, et véritablement « ralliement » des catholiques libéraux à la République. Ces deux entités centristes unissaient leurs forces aux élections législatives de 1914, en se regroupant dans la Fédération des Gauches, portée par Louis Barthou, Raymond Poincaré et Aristide Briand. Il s’agissait certes d’un succès électoral très mitigé, en raison du problème délicat des investitures, simples, doubles, parfois triples. C’était en revanche une parfaite victoire au plan de la mathématique parlementaire, ce « nouveau centre » se répartissant en cinq groupes parlementaires dont la somme des individualités participait d’une forte potentialité centriste. Le centrisme agissait alors comme dissolvant des deux France qui, jusqu’alors, s’étaient opposées l’une à l’autre, la Catholique contre la Républicaine.

Par ailleurs, le centrisme, dont l’existence dépendait entièrement de la question laïque, élargissait ses fondements politiques grâce au traitement de deux nouvelles questions rythmant la vie politique française. Il soutenait la représentation proportionnelle (R.P.), arlésienne des vingt premières années du XXème, et au plan social, manifestait une singularité qui attira un temps jusqu’aux réformistes de la C.G.T. : la participation, l’association capital-travail, le vote de la réforme des retraites en 1910, le mutualisme libre et volontaire, l’arbitrage obligatoire des conflits du travail tissaient les mailles de plus en plus étroites d’une démocratie sociale aux airs de solidarisme libéral, proche du radicalisme anglais.

A chaque étape de l’instauration de la République, ce courant politique modéré – mais « non modérément républicain » - témoigna de sa fidélité, du vote de l’amendement Wallon jusqu’à celui de la Séparation, en passant par l’Affaire Dreyfus qui le divisa moins que la gauche et par le gouvernement de Waldeck-Rousseau qui l’enthousiasma. Bref, au sortir de la Grande Guerre, le Centre était de tous les cabinets, presque naturellement. Et il ne se cachait pas sous les étiquettes politiques par un souci qui aurait été marqué par la timidité, voire la fadeur politique. C’est exactement l’inverse qu’il advint : à l’exception des extrémités de l’échiquier politique, socialistes et désormais communistes, comme pour les plus nationalistes d’entre elles, les différentes dénominations partisanes, au Parlement comme au fronton parisien des forces politiques, recherchaient la lumière et la chaleur de l’enseigne centriste, désormais assurance de bonne gestion de l’Etat républicain. Que de gouvernements ne se recentraient pas quand ils avaient débuté leur aventure sous les auspices d’une forte coloration ! On voulut un cabinet fidèle au traité de Versailles et au nationalisme : Georges Leygues, après Alexandre Millerand, porte-paroles de « l’Allemagne paiera », perdirent, eux, la confiance « dans la nuit ». Le gouvernement se recentra avec Briand, en 1921-1922. Poincaré voulut durcir le paiement des réparations ? Reparti sur la droite, le balancier ne tarda pas à opérer le mouvement inverse. Et le Cartel des gauches triompha en 1924. Point pour longtemps, puisque la volonté de son chef, le radical Edouard Herriot, incarnation de la République, d’user de la désormais vieille question anticléricale pour assurer les fondements de sa politique, n’eut qu’un faible écho. La vie politique française rappelait ainsi à ceux qui l’avaient le plus durablement marquée, depuis quarante ans, que l’affrontement laïque avait été réglé, et qu’à la République conflictuelle avait succédé une démocratie apaisée. Et le Cartel de terminer sa course au centre gauche. Jusqu’aux temps troublés des années 1930, ce sera la stable Union nationale de Raymond Poincaré, dont la caractéristique première fut d’être orchestrée par des gouvernements centristes, de 1926 à 1932.

Les fondements du centrisme se retrouvent donc ici, dans les méandres de la délibération parlementaire d’une Troisième République éloquente. Le centrisme tel qu’il se manifeste en ce début de XXIème siècle n’est pas fondé sur autre chose. Il vient de là, et puise l’énergie de son perpétuel renouvellement à la source de ces deux piliers que sont pour lui une gouvernance équilibrée et la laïcité de l’Etat. Il reste qu’entre la fin de la Troisième République, et les aléas de la structuration très contemporaine du Centre, la question européenne a musclé son combat politique, renforcé la cohérence de son messaAge et homogénéisé sa culture politique. C’est en effet de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance que naissent les caractères et les tempéraments les plus aboutis de ces humanistes du Centre. Parce que le combat a été rude, et que la condition humaine a souvent dicté des choix décisifs et courageux, la philosophie centriste s’est faite avant tout plus universelle et respectueuse de l’Homme. Le combat contre les totalitarismes a fait de l’Europe l’instrument du dépassement des querelles nationales et a rendu force au message que les premiers européens du XXème siècle, menés par Aristide Briand et défenseurs d’une Union fédérale européenne, avaient lancé dans les années Vingt. L’Europe, enfin, donne une véritable identité à ceux qui, par la démarche, les convictions et la personnalité, apparaissent comme de véritables centristes. Là réside l’unité de la culture politique centriste. Il faut bien le reconnaître, elle est dominée et le restera par les tenants de deux humanismes complémentaires, les démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) et les radicaux. Et même si la vie politique a longtemps vécu à l’épreuve de la question scolaire, ne trouvant dans la loi Debré de 1959 qu’une solution réaliste et reconnue comme telle, mais avec recul, c’est bien l’aventure européenne à laquelle s’identifie le plus fortement le centrisme. Quelle personnalité les manuels scolaires érigent-ils en père de l’Europe, sinon le démocrate-chrétien Robert Schuman ?

Il n’est donc pas bien étonnant de voir la classe politique se réorganiser, à intervalles réguliers, autour des valeurs du centrisme, constitutives de notre démocratie, et au sein desquelles la question sociale prend une influence croissante. Pour mener le combat électoral, quelle que soit la forme politique que le centrisme aura choisi de revêtir – une confédération des centres, un centre indépendant ou une alliance avec la droite ou la gauche –, il lui faudra se souvenir sans cesse que son avenir vient de loin. Et qu’il lui appartient de le construire, pour les générations de demain. C’est en respectant les sources de son inspiration et de son action passée que la singularité centriste sera reconnue, comme il revient à tout humanisme politique, au bonheur de ceux qui estiment qu’in medio stat virtus. Au bonheur du Centre….

Christophe Bellon





6 commentaires:

Laurent de Boissieu a dit…

Bonjour,

Merci pour cet éclairage, d'autant plus intéressant que mon point de vue est fondamentalement opposé!

Selon moi, en effet, le centrisme n'existe pas en tant que famille idéologique.
Même si, bien entendu, à un moment donné et dans un État donné, le centre possède un contenu idéologique, incarne des valeurs. Mais, dans l'absolu, c'est-à-dire sans double contextualisation spatiale et temporelle, le centre ne signifie idéologiquement rien.
Un exemple: la famille politique libérale a évolué en France (et plus généralement en Europe) de la gauche vers le centre puis la droite ("sinistrisme": Albert Thibaudet, 1932). Or, ce n'est qu'à un moment précis que cette famille incarne le centre; à d'autres moments, ce sont d'autres familles idéologiques. Il suffit pour s'en convaincre de suivre le déplacement des familles politiques dans la Chambres des députés sous la IIIe République:
http://www.france-politique.fr/chambre-des-deputes.htm

Le centre, en revanche, en tant que position géographique (ni la droite ni la gauche) est, à certaines périodes précises, une réalité de la vie politique française:
- 1893-1899 (famille idéologique au centre: libéraux)
- 1920-1940 (familles idéologiques au centre: radicaux puis radicaux et démocrates-chrétiens)
- 1947-1956: Troisième Force (familles idéologiques au centre: socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens et libéraux)
- 1962-1974 (familles idéologiques au centre: démocrates-chrétiens puis démocrates-chrétiens et radicaux)
Il n'existait effectivement plus de centre en France entre 1974 et 2007, c'est-à-dire jusqu'à la rupture de François Bayrou avec la droite (l'UDF, par exemple, n'a jamais été au centre mais à droite).

Bien cordialement,
Laurent de Boissieu

Jérôme Grondeux a dit…

Cher Laurent,
Ce que vous dites est très vrai et peut-être combinable avec ce que dit Christophe. Le centre n'existe pas en tant qu'expression d'une doctrine, par contre on note une constante en terme de sensibilité politique : l'attachement au libéralisme politique et à sa nécessaire combinaison avec la logique démocratique; on retrouverait un peu "l'axe modernisateur" de Furet. De ce point de vue, l'utopie d'un "centre indépendant" est vaine, un centre est toujours centre-gauche ou centre-droit. Les centristes seraient alors fondamentalement des libéraux politique (Etat de droit, goût des contrepouvoirs, libertés individuelles, respect de l'autonomie, du mouvement spontané et des requêtes de la société civile) ne prenant pas le libéralisme comme un dogme (qui mène à l'Etat minimal et au culte inconditionnel du marché) et comprenant qu'il doit se combiner avec autre chose : souci de la nation, demande de justice sociale ou encore respect des traditions nationales. Qu'en pensez-vous ?

Jérôme Grondeux a dit…

libéraux politiques, j'ai oublié le s...

Laurent de Boissieu a dit…

C'est vrai, et l'on retrouverait bien là un des deux piliers de Christophe Bellon ("gouvernance équilibrée").

Mais si le libéralisme politique - avec des variantes - est en effet un trait commun des familles idéologiques qui ont successivement incarné le centre en France, elles n'en ont pas le monopole. Bref, ce serait éventuellement une condition nécessaire mais non suffisante de la définition d'une famille centriste...
Le risque est alors, comme Jean-Pierre Rioux dans la première partie de son livre (Les centristes de Mirabeau à Bayrou), de confondre histoire du centre et histoire de la famille libérale.

Pour ma part, je préfère donc en rester à une définition géographique du centre. C'est en effet à mes yeux la seule façon d'opérer des comparaisons dans le temps et dans l'espace. Chaque parti peut alors se définir par trois critères:
- la famille idéologique quasi-immuable (conservatisme, démocrate-chrétienne, libéralisme, radicalisme, social-démocratie, marxisme, etc.).
- la position dans l'espace politique (extrême droite, droite, centre, gauche, extrême gauche), susceptible de changer entre deux longues périodes.
- l'appartenance à la majorité ou à l'opposition, variable sur de courtes périodes (échéances électorales).

Reste un problème, soulevé par François Bayrou à l'automne 2007 dans la revue Commentaire. Il existe bien aujourd'hui un courant émergent - "réformateur"? "social-libéral"? - situé entre libéralisme et social-démocratie. C'est ce courant que François Bayrou appelle "démocrate". La tentation est alors de l'appeler "centrisme", source de confusion à mes yeux puisque, s'il est au centre en France (mais peut-être sera-t-il demain à gauche, un DSK, un François Hollande ou un Pierre Moscovici l'incarn(ai)ent également), il est en revanche à gauche en Italie.

Cédric Maurin a dit…

Le centre est à mon avis le lieu du compromis et de la réflexion à l'épreuves des faits et non orientée par les dogmes ou les doctrines. Nécessaire pour établir une majorité, mais peut souvent apte à la victoire et pour cause, le manque de véritable leader, ou meneur d'hommes y est constant, ce qui forme un agglomérat très hétérogène pour prendre une métaphore rocheuse sinon granitique. Cet absence de leader s'explique à mon sens, par le "tempérament politique" qui est fondamental pour définir ce qu'est le centre: ce tempérament s'appuie sur des valeurs de modération, de réflexions sur un temps long. Ce concept de tempérament politique est pratique car il permet de lever un voile important de la politique, c'est à dire qu'il s'agit autant d'une affaire de tripes, que d'intellect et que la politique soulève en chacun des émotions: cela explique que dans le comportement, les extrêmes se ressemblent et les parcours de personnages historiques étant passés de l'un à l'autre sont nombreux. Cela explique aussi que le centre est une mouvance et non un parti.
Je quitte des arguments pseudos anthropologiques et sociologiques, pour en venir à une perpective historique. Il est indéniable qu'une des racines de la mouvance est un attachement modéré à la religion et le propos de M. Bellon éclaire efficacement cet héritage historique. Il est également certain que le centre ou plutôt des figures majeures du centrisme, ont joué un rôle majeur dans le développement de l'Europe, mais dans un contexte d'après guerre qui se méfiait de tout dogmatisme, et qui a vu dans la construction européenne un bon moyen de dépasser les clivages nationaux. Mais aujourd''hui cette vision de l'Europe est dépassée et les rapports des citoyens à l'Europe se politisent parce que touchant notre quotidien, ainsi l'affrontement gauche droite se retrouve à ce niveau et le centre incapable, jusqu'à présent, de se renouveler et de proposer une politique ambitieuse, perd du terrain sur ses questions-là.
D'accord avec M.Grondeux sur le fait que le centre recoupe, grossièrement l'héritage libéral et l'axe modérateur. cependant, justement l'héritage libéral très méconnu en France et souvent même renié, explique un certain déintérêt de l'électorat pour le centrisme.
Néanmoins, l'Europe désormais bien établie et le capitalisme libéral accepté, même par une grande partie de la gauche, pourrait permettre au centre de revenir au premier plan et les sondages donnant DSK vainqueur, n'abondaient-ils pas dans ce sens?
En somme, le centre, est une épée trempée dans un bon acier, mais qui dormant dans son rocher, attend un chevalier car la Vème république, axe beaucoup sur les élections présidentielles, qui nécessitent un véritable leader.
Par contre je pense que la majorité de la population aujourd'hui est sceptique en matière de religion, sinon athée, et que l'héritage démocrate-chrétien a vieilli et est devenu un poid pour le centre.

Cédric Maurin a dit…

Nous avons tous dévoilé nos pensées à propos du centre: pour parler de façon plus actuelle, quel avenir du centre pour 2012?