mardi 5 avril 2011

Nicolas Sarkozy : esquisse d'un bilan


Je n'ai jamais beaucoup parlé de Nicolas Sarkozy dans ce blog. Il me semblait que son action n'était pas facile à analyser à chaud, et ce pour deux raisons.

La première, c'est l'interpénétration entre communication politique et action. On le dit souvent, le président n'a jamais cessé d'être en campagne, au risque de lasser l'opinion et de jeter un soupçon sur sa capacité à habiter la fonction présidentielle. Le fait n'est pas si rare ; telle était la conception de Bill Clinton, et tel d'ailleurs était le conseil que le président américain avait donné à Tony Blair en 1997, comme ce dernier le rapporte dans les mémoires. Dans son ouvrage passionnant (The End of the Party. The Rise and Fall of New Labour, Penguin Books, 2010), Andrew Rawnsley signale d'ailleurs la relative frustration de Tony Blair par rapport à son premier mandat. Certes, le Labour avait réussi, enfin, à remporter deux élections générales de suite, mais le Premier Ministre n'avait pas le sentiment d'avoir mené une action réformatrice assez profonde...

Beaucoup d'hommes politiques voudraient connaître cette frustration, et beaucoup d'électeurs voudraient que les leaders politiques la ressentent. Nulle doute que cette angoisse ne saisisse les plus sincères d'entre les premiers, tant, comme le disait Philippe Séguin, le pouvoir n'est qu'une "perpétuelle lutte contre l'impuissance". La stratégie Clinton supposait de gagner incessamment la bataille de la communication pour maintenir un haut niveau de popularité, et je crois que tel a été l'objectif de Nicolas Sarkozy, enfant de la télévision, comme le rappellent dans leur livre d'entretiens Cartes sur table Patrice et Alain Duhamel. Les deux journalistes s'étonnent d'ailleurs de son échec médiatique et communicationnel, que rien ne laissait prévoir au vu de la campagne de 2007.

Démêler ce qui est communication (à la surface des choses) et action politique profonde nécessitait d'attendre, et de prendre du recul.

La seconde raison qui me poussait à ne pas me prononcer trop tôt, c'est une profonde méfiance vis-à-vis de la gestion par les médias des questions de popularité. Les politiques alignés sur les "people" sont l'objet de phases alternées d'adulation servile et de rejet inconditionnel, et la première phase paraît appeler la suivante. La fixation névrotique d'une partie de l'opinion contre le président, au motif d'un "déficit d'incarnation", les charges internet sur son physique, la haine qui se lisait derrière, tout cela me laisse un certain malaise, et, pour tout dire ne me semble pas républicain. Une monarchie médiatique et son cortège de frustrations infantiles ne me tente décidément pas.

Nous commençons cependant, à un an de la fin du quinquennat, à pouvoir tirer un bilan. Cela nécessite d'isoler ce qui relève des responsabilités propres de Nicolas Sarkozy et ce qui n'en relève pas, sous peine d'être rapidement très injuste.
On sait par exemple que la crise financière de 2008 a rendu impopulaire tous les gouvernants, qu'il y aient bien ou mal réagi. Certaines difficultés sont structurelles, comme celle des rapports entre président et premier ministre sous la Cinquième République. On sait aussi toute la difficulté qu'il y a à réformer en France, et que nous sortons d'une période longue (1988-2007 au moins) d'immobilisme et de non-adaptation, ou d'adaptation marginale, du "modèle français".

Je crois que Nicolas Sarkozy a été bon, ou au moins est parvenu à avoir une vraie influence, chaque fois qu'un homme presque seul, entouré de quelques conseillers techniques, pouvait avoir une influence marquante, du fait de son courage et de sa tenacité. L'opinion s'y intéresse peu, mais sa présidence européenne a été efficace. L'Europe a pu avoir un rôle dans la sortie de la crise géorgienne de 2008. La réaction de Nicolas Sarkozy à la crise financière de 2008 a été à la hauteur, et après le marasme post-révolution tunisienne, et épaulé par Alain Juppé, il redonné un rôle à la France en Côte d'Ivoire et en Tunisie. D'une certaine manière, c'est dans ces affaires qu'il y a une continuité entre l'image de dynamisme donné dans la campagne électorale et l'action présidentielle.

D'autres réformes importantes ont été mises en place, dont le bénéfice politique ne sera pas important, parce qu'elles ne sont pas spectaculaires : je pense à la réforme constitutionnelle, par exemple. D'autres entrent dans la catégorie des "réformes à réformer", mais lancent un mouvement et ouvrent des perspectives ; je crois que c'est le cas de la loi sur l'autonomie des Universités. Le résultat des élections de 2012 et les années qui suivront diront si 2007 a ou non lancé définitivement le pays sur la voie des réformes. Un tel tournant serait important et conduirait sans doute à réévaluer le bilan de Nicolas Sarkozy.

Mais le problème du quinquennat qui s'achève est que les réformes dont a besoin le pays, pour ne pas être de simples réformes d'adaptation, celles dont on ne voit pas comment les éviter mais qui n'enthousiasment personne (type réforme des retraites), pour être à la fois des réformes profondes (ce que n'est pas la réforme des retraites) et des réformes parties prenantes d'un projet plus vaste, dessinant une perspective à moyen terme, ont besoin d'un grand travail collectif, d'une écoute non seulement des "partenaires sociaux" qui ne sont pas toujours des partenaires, mais aussi des citoyens concernés au premier chef par les réformes. On ne réformera pas l'enseignement contre les professeurs, la justice contre les magistrats, l'Université contre les universitaires. Ou plus exactement, pour éviter de sombrer dans l'idéologie béate du dialogue : il faut écouter pour élaborer la réforme qu'un minimum de contrainte politique permettra de faire passer.

On peut minimiser cette contrainte ; il est impossible de la supprimer. Le consensus sur les réformes n'existe pas dès lors que ces réformes supposent des arbitrages. Et la France a laissé passé des années de croissance où l'on pouvait faire des réformes en achetant sa paix.

L'idée selon laquelle chaque réforme devait être bouclée en six mois a été désastreuse ; elle a conduit à multiplier les demi-mesures et les réformes trop technocratiques, et accru les défauts du système. Mais revenons au travail collectif. Il est toujours difficile à mettre en place en France : les syndicats divisés, numériquement faibles, tremblants d'être débordés sur leur gauche, méfiants vis-à-vis d'un Etat qui coiffe souvent autoritairement le dialogue social, sont des partenaires peu fiables ; les partis politiques sont squelettiques, et un collage approximatif avec le monde syndical y tient lieu trop souvent du contact avec la société civile qu'on pourrait attendre d'eux ; les cabinets ministériels regorgent de jeunes diplômés talentueux qui y voisinent avec de vieux renards, et constituent des serres chaudes où tout s'élabore dans la hâte et dans l'idées obsessionnelle que "les gens ne comprendraient pas" toute mesure un peu simple et où, sous la pression des uns et des autres, on tente d'avance de parer à toutes les objections possibles.L'exemple de la réforme Darcos, qui voulait supprimer les filières en lycée et au final les renforçait, est de ce point de vue édifiante.

Le problème est ancien en France, où traditionnellement les contrepouvoirs sont faibles. On peut cependant le compenser en respectant les institutions. D'une certaine manière, l'Etat doit commencer par s'écouter lui-même : les maires, les magistrats, les enseignants, les policiers, et même les ministres, tous sont d'une manière ou d'une autre au contact de la société civile. La brutalisation des relations entre le chef du pouvoir exécutif et ces différent milieux marquent les limites de la "réforme bousculade". A force de taxer de "corporatisme" tous ceux qui sont en désaccord, même partiel, avec les projets qui les concernent, on se prive de leur expertise propre. Une certaine démagogie renforce ici la dérive technocratique du régime. Je n'en finis pas de mesurer la sagesse d'un propos déjà cité dans ce blog de mon ami Gilles Ferragu : "le drame en France, c'est que les réformateurs ont une rhétorique révolutionnaire".

Cette démagogie est particulièrement ruineuse auprès de l'électorat de droite modérée, légaliste et attaché aux institutions. Alliée à la volonté de chasser sur les terres du Front national, et à la visibilité forte de la ligne Hortefeux-Guéant, elle a conduit à couper en deux la droite française, et à créer un appel d'air au centre droit. Elle dévoile surtout l'ampleur de la crise idéologique de la droite française, que les difficultés du parti socialiste avait fait oublier.

D'où l'impression d'une faillite, impression que je persiste à juger excessive, mais qui n'est pas un simple malentendu. Le joueur qu'est Nicolas Sarkozy n'a pas abattu toutes ses cartes, et la campagne commençant, il va se retrouver sur son terrain. Son impopularité record ne peut masquer deux vérités : il reste le candidat incontestable de la droite pour 2012, et aucun candidat déclaré ne suscite pour l'instant, à gauche ou au centre, un véritable enthousiasme dans le pays.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve votre analyse bien indulgente.
Les portes étanches que la Droite traditionnelle avait dressée entre elle et le FN sont tombées en raison de cette politique/communication démagogique de séduction de l'électorat d'extrême droite. Nicolas Sarkozy est parvenu à couper en deux la droite républicaine, exploit notable alors que les déboires du PS ont permis ces dernières années un UMP fort.
Cette faillite morale et la faute politique que cela représente coutera sans doute son second mandat à N.Sarkozy.

Quant au déficit d'incarnation de la fonction présidentiel, c'est moins sur à son physique raillé par quelques imbéciles qu'il le doit, mais à une façon de s'exprimer, de réagir vulgairement, un comportement général trop peu présidentiel.

Jérôme Grondeux a dit…

J'essaie de fournir une analyse complète, et pas seulement des derniers mois. J'ai dès le départ dans ce blog exprimé le soupçon que la stratégie issue du discours de Grenoble renforce le FN au lieu de le siphoner - et le coupage en deux de la droite républicaine est dans le post.
La question du "déficit d'incarnation" est intéressante, et sans doute le comportement de NS y est pour quelque chose, mais ce qui m'intéresse et ce que cela révèle du côté "monarchiste frustré" du pays.
Surtout, j'essaie de juger le quinquennat en n'oubliant pas la présidence précédente...

Anonyme a dit…

Pour ma part, je trouve cette annalyse plutôt objective. Cependant, j'aimerais ajouter qu'en plus de ce chamboulement assez conséquent dans la classe politique française actuelle (cet affaissement des barrières entre FN et UMP et la dévalorisation de la gauche au profit de l'UMP), c'est dans sa politique socio-culturelle que NS reste le plus faible. Tout d'abord, de par les nombreuses réformes du Gouvernement visant à accentuer les reversements verticaux et horizontaux, les classes moyennes ont été de plus en plus négligées. Et, n'oublions que ces dernières forment la majorité de la société française (comme le ferait remarquer H.Mendras dans la "Seconde Révolution française 1965-1984). De par la volonté du Gouvernement à faire baisser les inégalités, à éviter à de nombreux ménages défavorisés de sombrer dans une misère chronique(en s'assurant, alors, par extension le vote de ces minorités), on a contribué à faire augmenter la part de la contribution des ménages dits moyens aux redistributions sociales. Et, ceci entrainant un mécontement croissant de cette couche sociale: Voilà d'où vient l'impopularité actuelle de NS. Ensuite, c'est par les nombreuses dérives de notre Président, ou de son Gouvernement ou encore de la majorité sur le plan de la considération des minorités, de l'immigration ou de l'acculturation, que sa politique est mise en cause ou, en tout cas, sa fonction de représentant de la Nation. On nous parle d'Identité Nationale, de prestige des Droits de l'Homme, mais comment voulez-vous former une Nation en minimisant le rôle de ses minorités culturelles ou en stigmatisant violemment des sous-cultures dites de passage (clandestins, "Roms"...). C'est donc par une volonté de paraitre réformateur et populaire auprès de certaines minorités sociales que NS en a oublié la majorité et soulevé un mécontement général. Et, c'est pour ce mécontement que l'on se souviendra de son quinquennnat.