En qualité de grand témoin, François Bayrou s'est rendu à un séminaire historique consacré aux centres sous la Cinquième République : sont-ils ou non en marge du système ? Attentif, il écoute d'abord deux mises au point.
L'une, celle de Jean Garrigues, est synthétique. L'historien expose et analyse les différentes stratégies centristes successivement mises en oeuvre pour reconquérir une certaine initiative politique, ou au moins une place significative dans un régime qui, surtout depuis 1962, repose sur la bipolarisation. L'autre mise au point est due à Jean-Pierre Rioux ; elle met en avant, avec une sympathie certaine pour elles, les valeurs du centre.
Puis François Bayrou prend la parole. D'emblée, ses propos confirment l'interprétation de sa stratégie par Jean Garrigues ; ce dernier avait en effet silhouetté un "centrisme présidentiel", misant tout sur la conquête de l'Elysée pour bousculer le système politique et placer une force centriste indépendante au coeur de celui-ci.
Défendant un centre "autre" et non pas "entre", le leader du Modem développe ensuite la vision qui l'habite. Disons-le tout de suite, l'homme force le respect ; son courage et sa détermination sont connues, et lui-même évoque un souvenir qui reste vif chez beaucoup, celui de son discours de Toulouse, en 2002, où face à un auditoire acquis à la fusion des gaullistes et des centristes dans l'UMP toute neuve, il avait lancé son célèbre "si nous pensons tous la même chose, c'est que nous ne pensons plus rien".
Les thèmes qu'il développe sont semi-gaulliens : l'union nationale préférable au clivage droite-gauche, la cacophonie interne des partis, et même l'idée que la construction européenne doit être conditionnée à une reprise d'initiative de la France. La critique des ralliements des uns et des autres, de l'interpénétration des intérêts publics et privés, de l'influence directe ou indirecte du pouvoir sur les médias, reste dans la tonalité de la campagne de 2007.
François Bayrou se présente également comme quelqu'un qui a mis vingt ans, après un début de carrière politique rapide, à comprendre à quel point le système était bloqué et le pouvoir y était en trompe-l'oeil. Cette reprise rapide de son itinéraire, sa volonté de ne pas se décourager alors même qu'il pense être passé tout près du succès en 2007, tout cela donne l'impression d'un homme qui a pris son risque, qui l'assume. L'auditoire se fait un peu spectateur. C'est en effet toujours un spectacle, et qui ne laisse pas insensible, de voir un homme face à son destin.
Qui sait ? Peut-être que dans la confusion générale qui s'annonce pour l'instant, ses chances en 2012 ne sont pas négligeables... l'élection est loin, et les Français votent souvent pour des personnages qu'ils connaissent bien.
Mais l'exercice est solitaire. Toute stratégie a un coût immédiat, en plus des risques qu'elle entraîne. Le discours sur l'Europe, sur les Etats-Unis, sur les institutions, la critique globalisante, comme tout cela est loin du centrisme ! L'horizon d'une politique équilibrée, "raisonnable", est maintenu, mais recule dans le futur. En attendant, c'est un discours contestataire qui est tenu. Un discours tellement rodé qu'il en est clos.
Certes, on peut dire que le centre a, avec François Bayrou, un leader, si l'on s'en tient à la fermeté et à la densité du personnage. Mais ce leader s'est coupé de la tradition qu'il incarne ; il a manifestement pris goût à la solitude. Le basculement stratégique vers l'objectif présidentiel et la volonté d'un centre "autre" ont fait de lui un homme sans troupes, presque sans élus pour le soutenir. Ce leader n'est pas un rassembleur, comme si tout effort de construction politique était repoussé à l'après-victoire, dans une perspective presque révolutionnaire.
L'afflux brusque, en 2007, d'électeurs socialistes non convaincus par Ségolène Royal et d'écologistes déçus par les Verts, joint à la fidélité d'une partie des centristes, tout cela pourra-t-il encore être au rendez-vous en 2012 ? Il reste cependant à François Bayrou une ressource : la fermeté dans un paysage politique pulvérulent.
Mais en l'écoutant, on se demande si l'élection présidentielle au suffrage universel, devenue l'élection centrale dans notre système, n'est pas, finalement, une épreuve trop intense pour ceux qui s'y présentent. Il faut, pour survivre à la pression médiatico-politique qu'elle entendre, développer une telle résistance que ceux qui ont tenu, gagnants et perdants, se trouvent comme isolés de leurs contemporains. Peut-être aussi que seuls ceux qui sont prédisposés à cet isolement y résistent, alors même que, face à un monde complexe, nous avons un énorme besoin de travail collectif.
6 commentaires:
beau texte, en sympathie et même en empathie..." mais l'exercice est solitaire" : je crois que le problème est résumé, et même tranché. Bayrou, tout méritant qu'il soit, a fait de la politique un exercice solitaire (n'est pas de Gaulle qui veut), et quand bien même l'homme a indéniablement des valeurs, il lui manque peut être la capacité à les partager. Le Modem est le parti d'un seul homme politique : pourquoi n'a-t-il pas pris modèle sur l'ancien Zentrum allemand, faiseur de majorités, au lieu de partir dans cette quête présidentielle stérile (pour un petit parti)... et surtout, pourquoi avoir lâché en chemin le vrai programme du centre, l'Europe ? en démocratie, en n'en déplaise à Bayrou, la politique n'est pas à taille humaine, mais à celle de la communauté, et au modem, de communauté, je n'en vois point.
Je suis d'accord avec toi sur ce point. Il ne reste rien de l'ancienne UDF, pas grand-chose du Modem, et ne restent que des inconditionnels.
Le grand tournant c'est vraiment l'entre-deux-tours de 2007. Les députés bayrolistes pensaient aux législatives, et c'est normal. Quand il a dit qu'il n'appellerait pas à voter Sarkozy, il leur disait d'aller au casse-pipe et les abandonnait en rase campagne.
Bonjour,
Vous écrivez: "Le grand tournant c'est vraiment l'entre-deux-tours de 2007. Les députés bayrolistes pensaient aux législatives, et c'est normal. Quand il a dit qu'il n'appellerait pas à voter Sarkozy, il leur disait d'aller au casse-pipe et les abandonnait en rase campagne."
Quels étaient les choix de François Bayrou entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2007:
1) Appeler à voter pour Nicolas Sarkozy. Avantage: associé au pouvoir et un groupe parlementaire aux législatives. Inconvénient: ruine sa stratégie présidentielle centriste avec un retour à la case départ, c'est-à-dire à un "centre" qui n'est pas au centre mais à droite (depuis 1973-1974, il n'y avait plus de centre en France).
2) Appeler à voter pour Ségolène Royal. Avantage: éventuellement associé au pouvoir (si élue) et un groupe parlementaire aux législatives. Inconvénient: ruine sa stratégie présidentielle centriste avec un passage à gauche.
3) Non-choix. Avantage: conserve son positionnement centriste pour la prochaine présidentielle. Inconvénient: rupture avec la quasi-totalité des élus (à commencer par les députés) issus de l'UDF (qui, rappelons-le, n'a jamais été au centre mais à droite).
Bref, François Bayrou a opéré le seul choix qui conservait intacte sa stratégie centriste pour 2012...
Pour conclure, je me permets de vous inviter à lire ceci:
http://www.ipolitique.fr/archive/2010/12/13/definition-centre-en-politique.html
Cordialement.
Je suis d'accord avec cette analyse des choix qui restaient à François Bayrou après le premier tour. Il n'y avait en fait plus de bon choix pour lui dans la perspective de la poursuite de son projet présidentiel.
C'est pour cela qu'il a toujours refusé d'envisager l'échec et qu'il répondait à ceux qui lui demandaient ce qu'il ferait s'il n'était pas au second tour : je serai au second tour.
Le problème est précisément là : en cas d'échec, le projet conduit au sacrifice des troupes. C'est le côté "tout ou rien" de cette stratégie. Je vais regarder tout de suite le lien conseillé.
Je viens de regarder votre blog, c'est très synthétique et très juste. Au delà des questions stratégiques, il reste un problème de fond, qui est l'absence absolue de consistance idéologique du Modem. Des lieux où j'enseigne, j'ai vu partir vers le modem en 2007 la crème des étudiants, des gens vraiment bien, à la fois intellectuellement et humainement. C'est terrible de n'avoir rien su faire avec cette jeunesse, qui est repartie depuis ailleurs ou a laissé tomber l'engagement politique.
"C'est pour cela qu'il a toujours refusé d'envisager l'échec et qu'il répondait à ceux qui lui demandaient ce qu'il ferait s'il n'était pas au second tour : je serai au second tour."
J'en témoigne! :)
Enregistrer un commentaire