vendredi 2 mai 2008

Déclaration de principes ou synthèse ?


Le projet de « déclaration de principes » du Parti socialiste n’est pas un programme. Il s’agit de fixer des principes, des valeurs, des objectifs, donnant, selon l’expression de l’historien socialiste Alain Bergounioux une « carte d’identité » du parti. De ce point de vue, on ne pouvait rien attendre de bouleversant de ce texte, d’autant plus que la précédent déclaration, celle de 1990, visait, comme la présente, à prendre en compte la faillite du communisme tout en maintenant une approche critique vis-à-vis du capitalisme. Élaboré par une Commission de la Rénovation qui rassemble toutes les sensibilités du Parti, c’est en outre un texte de synthèse, qui sera l’objet de débats et ne sera adopté que lors de la Convention nationale du 14 juin. Ce texte doit couronner la « rénovation idéologique » du parti. Il n’est pas étonnant qu’il soit reçu sans grand enthousiasme, suscitant le scepticisme de la gauche et l’ironie de la droite, dans la mesure où la partie de l’opinion sensible aux thèses des partis de gouvernement attend surtout des programmes, qui permettent de voir s’esquisser des politiques alliant court, moyen et long termes. On trouve dans cette déclaration des choses attendues : les références aux valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité dès le préambule), avec une insistance sur l’égalité, sans vouloir lui sacrifier la liberté (article 1), l’attachement à l’idée de progrès définie de manière un peu tautologique comme une « amélioration de la vie humaine » (article 4), la valorisation de la démocratie (articles 5 et 21) comprenant l’idée de démocratie sociale, le refus des discriminations (article 10), l’adhésion au féminisme (article 14), la mise en avant des droits de l’homme (articles 9 et 10)…
Outre un développement et un degré de précision plus poussés, la principale innovation par rapport à la déclaration de 1990 est la place de l’écologie, très importante, et ce dès le préambule : la « tâche première des socialistes » est de « bâtir un monde nouveau et meilleur, obéissant à la dignité de l’homme et assurant la sauvegarde de la planète ». L’article 1, qui se trouve sous la rubrique « Nos finalités fondamentales » donne pour buts ultimes du socialisme « l’émancipation complète de la personne humaine et la sauvegarde de la planète ». L’article 3, toujours dans la même rubrique, est consacré au fameux « développement durable ». Quand, dans la rubrique « Nos objectifs pour le 21ème siècle », les socialistes définissent (article 6) leur modèle économique, ils qualifient celui-ci d’ « économie sociale et écologique » de marché, tout en chargeant l’État de coordonner « les politiques participant aux enjeux environnementaux ». Pourquoi pas ? Les récents déboires politiques des écologistes peuvent donner des espoirs au PS, et l’article 22, le dernier, sur lequel nous reviendrons, affirme bien que « le PS veut rassembler toutes les cultures de la gauche ». D’autre part, les milieux où se recrutent les militants socialistes sont sensibles aux enjeux environnementaux, qui sont d’abord montés à gauche dans les années 1970. La rupture avec le productivisme, cependant, est peut-être un peu précoce et un peu trop forte : il n’ a pas manqué, au XXème siècle, de socialistes de cette mouvance, comme Alfred Sauvy, et la récente remontée du prix des céréales montre qu’on a peut-être enterré un peu trop vite l’agriculture productiviste… J’entends déjà des lecteurs dire que je m’attaque à la seule chose neuve… mais à mon sens, pour bien remplir sa fonction (servir de « carte d’identité » au parti, réaffirmer ses valeurs et rien de plus), il aurait fallu que le texte soit encore plus décevant pour les commentateurs, c’est-à-dire plus court et plus général.
Je crois que trop de choses sont déjà tranchées dans cette déclaration de principe, parce qu’au lieu de chercher ce qui unit tous les socialistes, chaque tendance a cherché à y faire entrer ses propres orientations. Et je crains qu’on puisse ensuite se servir de ce texte, s’il est adopté en l’état, pour bloquer toute orientation tant soit peu originale et novatrice.
Revenons à l’article 22 : pas d’ennemi à gauche, donc. Il faudra bien pourtant qu’à un moment, les socialistes se résignent (comme ils l’avaient esquissé dans quelques émissions télévisées, avec François Hollande, avec Julien Dray, après le premier tour des présidentielles de 2002) à combattre politiquement l’extrême gauche qui n’envisage visiblement pas de s’allier à lui. Et avec des arguments, car je ne crois pas qu’Olivier Besancenot ou José Bové soient séduits par l’ « économique sociale et écologique de marché ». Mais à mon sens, c’est un peu cet article 22 qui explique tout le reste : la déclaration de principes est en fait une motion de synthèse un peu plus générale que les autres. D’où le fait que s’y affiche une solide vocation au statu quo, un « continuons d’être ce que nous sommes », ou un « continuons de croire être encore ce que nous ne sommes plus.
Qui croit encore, sans rire, que « le socialisme démocratique veut être une explication du monde » (préambule) ? Que la description du capitalisme comme « créateur d’inégalités, porteur d’irrationalité, facteur de crises » demeure purement et simplement « d’actualité » ? Quelle potentialité mobilisatrice peut avoir cette description du système « voulu par les socialistes » comme « une économie mixte, comportant un secteur privé dynamique [on a l’impression qu’il est d’ailleurs le seul chargé du dynamisme], un secteur public, des services publics de qualité, un tiers secteur d’économie sociale ? » (article 6). Comment en ce cas les socialistes qui déclarent être héritiers « des gouvernements de gauche qui se sont succédés » (préambule) peuvent-ils assumer les privatisations amples du gouvernement de Lionel Jospin ?

Et puis, il y a tous les passages chèvre et chou, où l’on présuppose que des choix dramatiques qu’il faut faire à tout moment n’existent tout simplement pas. L’article 2 proclament «indissociables » l’égalité et la liberté dont on sait pourtant au moins depuis Tocqueville que la coexistence est parfois conflictuelle, l’article 3 indique que les socialistes vont prendre placer la défense de la planète « au même rang de leurs finalités fondamentales que la promotion du progrès des sociétés humaines et la satisfaction équilibrée de leurs besoins. » Bonne chance pour les futurs gouvernants… Le summum du genre est sans doute atteint par l’article 13, définissant le « réformisme » du PS, où l’on déclare que le parti « porte un projet de transformation sociale radicale » mais qu’il « sait que celle-ci ne se décrète pas », qu’il faut prendre en compte « l’idéal, les réalités et l’histoire » et pour finir « changer la vie avec la société et par la société, par la loi et le contrat", tout en luttant contre « tous les déterminismes sociaux ». Ce mélange de maximalisme et de pragmatisme ne satisfera à coup sûr, ni les radicaux, ni les modérés… On sait depuis des années qu’il faut achever l’œuvre de décentralisation que le PS au pouvoir a mené à bien en 1981-1982, et qui a abouti à ce que les collectivités locales soient fiscalement très peu responsables. Or, la formule proposée par la déclaration (« allier la présence d’un État régulateur et garant de l’équilibre – y compris financier – entre les territoires à une démocratie locale vivante et innovante », article 15) ne mène qu’au statu quo si on la prend au sérieux.

Ce sont les dangers de la synthèse : elle risque de dessiner un lieu géométrique où personne ne se trouve, un néant politique. Il serait donc urgent d’élaguer ce texte, si on ne veut pas par avance paralyser toute élaboration d’un programme modernisateur…

3 commentaires:

El Dorado a dit…

Monsieur,
Voici probablement le meilleur article que vous n'ayez, à mes yeux, à ce jour publié sur ce blog :)

Une très belle et brillante analyse !

Anonyme a dit…

Il est clair que le parti socialiste ne se renouvelle pas fondamentalement au travers de cette déclaration de principes.

Fidèle à des valeurs qui sont fondamentales (référence aux Lumières etc.), il reste néanmoins un texte qui fait apparaître beaucoup des points qui ont donné lieu à des controverses lors de certaines déclarations du Président Sarkozy.
Je pense par exemple à l'attachement revendiqué par le PS à la Séparation des Eglises et de l'Etat donc à la laïcité, à mai 68, à "une justice accessible et égale pour tous"(rénovation de la carte judiciaire par Rachida Dati)...

On note néanmoins certaines avancées en ce qui concerne les critiques qui ont pu lui être faites, notamment que le PS était un parti qui était le parti "l'assistanat des travailleurs" (cf article 7 :"les socialistes refusent une société duale où certains tireraient leurs revenus de l'emploi et d'autres seraient enfermés dans l'assistance").

Une petite contradiction me paraît résider aussi dans le fait que le PS se déclare "à l'origine de l'UE et donc Européen", mais d'un autre côté il déclare porter une critique historique du capitalisme" (art.6): en ouvrant la France au marché Européen, Mitterrand et le PS n'ont-ils pas ouvert la porte au capitalisme ?

On peut parier dès à présent que ce texte sera adopté le 14 juin prochain (comment ne le serait-il pas?). Mais la question que je me pose est quelle est la réelle rénovation qu'il porte-t-il en lui ...?

Jérôme Grondeux a dit…

Je crois que le passage sur l'assistanat est effectivement important. Cela correspond à quelque chose qu'on a déjà entendu dans la campagne de Ségolène royal, c'était la légère teinte blairiste. Mais on ne retrouve pas cette perspective dans les passages très classiques sur l'"état social", en fait l'Etat-Providence. L'ouverture, cependant, était à noter et LC fait bien de la souligner.