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mercredi 6 mars 2013

Chavez, l'Europe et l'économie


Mort d’Hugo Chavez

Sur les trois requêtes de la politique moderne, il en a respecté une. La requête démocratique, par sa politique de redistribution de la manne pétrolière, elle-même obtenue en parachevant la nationalisation du pétrole vénézuélien. Enseignement et santé en ont bénéficié. La requête d’ordre est moins satisfaite : la délinquance a monté et le pouvoir est contesté par une forte minorité de Vénézuéliens, et la disparition du « Commandante » réactive une fragilité du populisme latino-américain, la forte concentration de la légitimité politique sur un homme. Quant à la requête libérale, celle-ci nécessite des contrepouvoirs qui ont disparu et une autonomie de la société civile compromise par la mise sous perfusion étatique de l’économie.

Chavez représente-t-il un futur pour le socialisme, laisse-t-il un « modèle », une idéologie de rechange, un « bolivarisme » qui lui survivrait ? Jean-Luc Mélenchon le croit, mais la plupart des commentateurs incline au scepticisme. Tout le monde n’a pas la rente pétrolière et l’appui d’un Cuba, et la question de l’efficacité économique d’une économie en partie étatisée reste posée. L’homme paraît devoir laisser plus de grands souvenirs et de grandes passions contradictoires qu’un legs idéologique durable.

Débats européens

L’Europe comme objet politique s’appuie-t-elle sur un véritable « espace public » au sens d’Habermas ? Il est permis d’en douter actuellement. C’est en effet régulièrement le cadre européen qui est en question, et le clivage de l’opinion des nombreux pays d’Europe entre « pro » et « anti » UE place certes régulièrement « l’Europe » au centre des débats, mais gêne l’émergence d’un véritable débat de politique économique. Lorsque celui-ci surgit, il est vite réduit à des affrontements nationaux entre des pays supposés unanimes et parfaitement représentés par leurs gouvernements (par exemple entre la France et l’Allemagne). Du coup, il n’est qu’esquissé dans le discours de nos politiques.

Il y a pourtant de quoi lancer de vrais débats, qu’on ne trouve pour l’instant développés que sous la plume des économistes, et que les journalistes spécialisés commencent à relayer.  Le mandat de la BCE, contenir l’inflation, est-il encore d’actualité ou doit-il être remplacé par des objectifs de croissance ? L’Euro est-il trop fort, ou le handicap que cela représente dans les échanges mondiaux est-il composé par l’attractivité pour les capitaux et le faible coût relatif des importations ?

Chavez et l’Europe

J’étais parti à juxtaposer deux mini-posts qui me semblaient sans rapport. Un point commun m’apparait finalement à la relecture : le poids de la réalité économique. Il m’arrive parfois de dire sous forme de boutade que nous manquons de marxisme. C’est effectivement une boutade : Marx n’est ni le premier ni le seul à avoir signalé l’aspect fondamental et contraignant des questions économiques, et on peut le faire sans y voir là un déterminisme absolu.

Le discours politique français m’apparaît marqué depuis une vingtaine d’année par la subjectivisation de l’économie. Ceux qui acceptent l’idée qu’il y a une logique économique, et que celle-ci limite nos choix, tendent à tout ramener à de la psychologie, jugeant qu’ils peuvent par leurs performances de communication nous redonner le moral, ce qui serait bon pour la croissance. Réalité très partielle, stratégie très hasardeuse – en outre, qui sait comment créer la confiance ? D’où ces fausses annonces toujours démenties, dont l’effet est inverse. Ah, si le discours pouvait créer de la croissance, et si la croissance pouvait nous éviter d’avoir à lancer des réformes difficiles… Les autres subordonnent l’économie à d’autres logiques : géopolitiques, idéologiques, sociologiques – j’ai essayé, dans un article à paraître dans La Croix d’insister sur la confusion récurrente entre dénonciation de « l’idéologie libérale » et refus pur et simple de prendre en compte la réalité économique.

Sans doute, le fait que nous ne disposons pas d’une doctrine globale et que l’économie politique se développe d’une manière de plus en plus sectorisée y est pour beaucoup. Mais je reste persuadé qu’en matière de sciences humaine, le sens commun ne doit jamais être négligé. D’une certaine manière, de Gaulle est un modèle de ce point de vue : une vision très « raisonnable » au sens traditionnel de l’économie (un État doit avoir des finances bien gérées), un solide pragmatisme (de l’interventionnisme planificateur à l’acceptation du traité de Rome impliquant l’ouverture des frontières) et le recours à des experts (comme Jacques Rueff).

L’âge post-idéologique rend plus que jamais nécessaire que la cohérence d’une politique repose sur le « bon gros bon sens ». C’est-à-dire sur des réponses lisibles à des constats clairs ; c’est à ces constats que l’expertise devrait être liée, et à l’effet prévisionnel des politiques publiques. Libre à la communication de faire ensuite de ces orientations des slogans, de mobiliser des passions nobles en fonction des valeurs défendues. C’est aujourdhui l’armature de sens commun qui nous manque le plus.

mardi 9 août 2011

Dette et bon sens


Il me semble que la question du "bon sens" ou du "sens commun" est centrale dans ce qu'on appelle (peut-être à tort) les "sciences humaines", par exemple en histoire, en sociologie ou même en économie.

Etudiant, j'avais rencontré des partisans fanatiques de la rupture avec le sens commun en sciences humaines. Il y voyaient même la condition d'une approche vraiment "scientifique". "Avec le sens commun, répétaient-ils - et c'était intimidant - le soleil tournerait encore autour de la Terre."

Ils pouvaient invoquer l'exemple de Durkheim : le sociologue ne pouvait selon lui aborder un sujet qu'en se débarrassant des "prénotions" qui l'encombraient et relevaient d'une approche non-scientifique du social. Plus souvent, ils se réclamaient de Bourdieu : le monde des non-sociologiques est régi par l'illusio : tous se méprennent sur les véritables motivations, voire sur les finalités réelles de leurs actions.

J'avoue une réticence qui confine certains jours à l'allergie pour ce type d'approche, et préférer le recul à la rupture avec le sens commun. L
En "sciences humaines", le savant n'est pas, et ne peut être le seul producteur de savoir. Les humains pensent, réfléchir, délibèrent, oscillent entre lucidité et illusion, et nos méthodes ne nous libèrent pas toujours, loin de là, de cette oscillation.

Bref, sans aller avec Hegel jusqu'à proclamer que tout ce qui est réel et rationnel, je crois qu'il faut commencer par envisager en premier la part consciente de l'action humaine, du moins en histoire et dans le commentaire politique, avant que de chercher les motivations cachées. Celles-ci sont bien hasardeuses. La psychologie, la psychanalyse plongent dans l'inconscient et la logique des interractions et les trouvent, mais elles ont le garde-fou et la vérification de la thérapie.

Il y a une première rationalité des actions humaines, et nous devons nous y arrêter avant de savoir s'il est besoin d'aller plus loin. Il y a tout ce que le sens commun suffit à comprendre, et il faut déjà l'inventorier afin même de savoir ce qui peut nous rester à débusquer. Telle était le point de vue du sociologue Raymond Boudon dans La logique du social (1976).

Je me suis souvent dit que la rupture avec le sens commun, prise de manière systématique, était l'équivalent, chez les scholars, de la thèse du complot en politique. Et qu'elle pouvait se transformer en une source d'erreurs remarquables. Je ne dis rien ici de bien original : tous ceux qui, en sociologie, préfèrent Max Weber à Émile Durkheim tiennent de ce point de vue des propos similaires.

Mais je revenais à tout cela à propos de la crise financière, en me disant que tout de même, un peu de bon gros bon sens aurait pu nous aider. Quand nous avons remplacé de l'argent virtuel (celui, entre autre de la titrisation) par un autre argent presque aussi virtuel (celui d'Etat déjà endettés) comme source de garantie pour le système, il ne fallait pas être grand clerc pour se dire qu'une crise des dettes publiques pouvait se profiler à l'horizon.

Et quand une agence de notation baisse d'un cran la note qu'elle attribue aux Etats-Unis, il ne faut pas non plus beaucoup de finesse d'analyse, juste un peu de calme, pour comprendre

1) Que ce n'est qu'une agence de notation, qui donne des indications, et signale à sa manière ce que nous savons depuis longtemps, c'est-à-dire que l'endettement américain est préoccupant et qu'on touche sans doute là à ses limites, limites plutôt prévisibles ;

2) Qu'elle n'est pas la seule, et que le pluralisme des agences de notations est justement un appui pour se faire une idée de ce qu'elles indiquent ;

3) Qu'elles ne sont pas infaillibles, car évaluer le risque est extrêmement complexe ;

4) Que les interdire, les censurer ou confier aux Etats l'évaluation directe de leur crédibilité financière ne pourrait que nous faire descendre une marche supplémentaire dans l'endettement ;

5) Que cet endettement lui-même est un problème quand il est lié à de forts déficits, car on ne peut indéfiniment dépenser l'argent que l'on n'a pas.

Bref que les crises économiques, ou les alertes, surgissent en raison du comportement insensé de certains acteurs, en l'occurence les Etats les plus endettés. Qu'elles sont un rééquilibrage violent et pénible du système. Et qu'au delà de l'aspect erratique et caricatural des fluctuations boursières, il est indéniable qu'un Etat mal géré devient rapidement un Etat inefficace, esclave précisément des capitaux et des aléas de la bourse.

Mais ils s'offre tant de mirages pour que nous oubliions tout cela : le premier est de se dire que tous nos problèmes viennent des méchantes agences de notation.