Les événements
tragiques de la Bande de Gaza n’ont pas seulement eu de répercussions dans les
rues de nos villes. Ils sont également enflammé les réseaux sociaux. Tous ceux
dont le siège était fait d’avance ont d’abord donné le ton : ceux-là
estiment que l’événement confirme leur analyse. Ils sont les premiers à
rejoindre ceux qui expriment avant tout leur émotion ou leur indignation. Le
discours de ceux qui avaient des analyses plus fines, intégrant les calculs
stratégiques du Hamas et du gouvernement israélien, connectant cette énième
phase du conflit israélo-palestinien à la déstabilisation globale du
Moyen-Orient, était présent et parfois relayé, mais comme noyé dans le flot des
imprécations ou des réactions passionnelles, allant de l’indignation sincère
(et respectable) au relais d’images et de slogans de pure propagande, de part
et d’autre.
Puis l’excès a
amené une réaction, et les messages de ceux qui, quelles que soient leurs
sympathies, refusaient de partir d’une grille manichéenne pour aborder les
événements, se sont multipliés. Et en se promenant sur Twitter ou Facebook, et
au hasard des liens, on pouvait glaner bien des informations utiles sur les
enjeux du conflit et les camps en présence. Les trois rôles politiques des
réseaux sociaux (exutoire-pugilat symbolique, lieu de mobilisation, espace de
débat raisonné et d’échange d’informations) paraissaient plus équilibrés.
Suivant tout
cela, je me disais que chacun d’entre nous peut désormais observer l’opinion,
regarder comment elle fonctionne, quels sont ses rythmes. Je ne suis pas sûr qu’internet
change la politique, du moins pas dans le sens qu’espéraient les milieux
alternatifs des années 1970 qui y voyaient la source possible de l’introuvable
démocratie directe, mais, outre que la « toile » (expression déjà
bien vieillie) est un merveilleux outil d’information et de sociabilité pour
ceux qui veulent l’utiliser dans ce sens, elle nous offre un point de vue
unique, d’une ampleur inédite, sur le pouvoir spirituel multiforme qui, depuis
le XVIIIe siècle, a progressivement surclassé tous les autres.
Le spectacle est
troublant pour des intellectuels et plus encore pour des éducateurs, qui rêvent
volontiers (et c’est tout à leur honneur) d’une démocratie rationnelle et
respectueuse des convictions des uns ou des autres. Il est déstabilisant pour
tous ceux qui tiennent à la grande ambition des Lumières. Mais je ne crois pas
que ce spectacle soit celui d’une décadence : l’opinion a toujours été
ainsi, la raison s’y est toujours heurtée aux passions et aux intérêts, et ses
succès ont toujours été partiels et tardifs, de la cité athénienne à la Cinquième
république. Les décideurs politiques, humains et donc exposés à l’erreur plus
ou moins désintéressée, surfent sur une mer déchaînée.
La modernité, ou « l’hyper-modernité »,
comme on voudra, n’est pas un dérèglement général du monde : c’est un
dévoilement, une mise à nu, comme Marx au passage et Weber plus profondément l’avaient
compris. L’Histoire reste plus que jamais à comprendre, au long cours comme au
présent, mais nous ne pouvons plus nous raconter d’histoires.
1 commentaire:
Aujourd'hui, les réseaux sociaux ne sont plus seulement que des plateformes de publications de photos de vacances, et des autres évènements de la vie personnelle, même le plan politique a fait son insertion. Aujourd'hui, ils sont devenus de véritables plateformes pouvant créer le débat autour d'une opinion et fait international.
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