dimanche 2 mars 2014

Sur la crise de Crimée

Raymond Aron disait que quand il analysait un problème politique, il essayait toujours de se placer du point de vue des décideurs. Il ne s'agissait pas pour lui de se transformer en avocat du pouvoir, mais d'inventorier les possibles et de comprendre les contraintes. Cela l'amenait à être parfois sévère pour certains discours qui ne pouvaient pas avoir de débouché pratique, et parfois indulgent pour certaines actions peu glorieuses, mais limitées par ce que la situation imposait.
 
Aujourd'hui, sur la question de la Crimée, ce type d'analyse me vient à l'esprit au fur et à mesure que les nouvelles tombent, et que je vois défiler les commentaires de ceux qui souhaitent une confrontation avec Vladimir Poutine et/ou qui fustigent la diplomatie européenne.
 
La Russie ne peut admettre qu'une région où elle a une base maritime importante reste, malgré son autonomie relative, contrôlée par un pouvoir ukrainien qui, dorénavant, se fonde sur un rejet des précédents gouvernants pro-russes et souhaite arrimer l'Ukraine à l'Europe. Elle n'a pu empêcher la révolution de Kiev de se faire, et d'une certaine manière, elle s'est rabattue sur la Crimée pour sauver les meubles, par réalisme. Il y a bien un échec partiel de Poutine, mais ce dernier a tout de suite joué le coup d'après.
 
La position occidentale est plus compliquée. Officiellement, le discours identifie, on voit chez Barack Obama, le respect de l'intégrité de l'Etat ukrainien avec le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais cela ne colle pas. Nous nous retrouvons dans une situation qui évoque celle des minorités nationales après le Traité de Versailles. Nous ne nous retrouvons pas tant en guerre froide que dans des problèmes de découpage des frontières. Nous sommes sortis de cela en Europe (j'espère définitivement) quand Helmut Kohl et Lech Walesa ont décidé, juste après la réunification allemande, de conserver l'absurde frontière germano-polonaise issue de la Seconde guerre mondiale pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore des querelles de bornage.
 
L'issue logique de l'application du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes serait l'organisation, en Crimée, d'un référendum sur l'avenir de cette région autonome, et les Russes sont près de 60% de la population. De fait, cela rend de toute manière problématique le maintien de l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
 
On voit mal comment, au-delà de la rhétorique d'intimidation, la diplomatie américaine et européenne peut viser un autre objectif qu'une consultation démocratique en Crimée négociée avec la Russie. Une partition s'ensuivrait probablement, et il faudrait y joindre une vraie garantie de sécurité pour l'Ukraine diminuée.
 
Le rattachement artificiel de la Crimée à l'Ukraine en 1954 et la composition de sa population, ainsi que l'existence de la base de Sébastopol, sont des réalités qui limitent le champ de possibles, mais qu'il faut prendre en compte pour pouvoir travailler effectivement à la stabilisation du nouveau pouvoir ukrainien, qui est un enjeu considérable.
 
Entre l'Occident et la Russie, la question ukrainienne peut aboutir à une situation ou chacun a atteint partiellement ses objectifs, ou à une surenchère verbale où le plus réaliste des deux tirera les marrons du feu.

1 commentaire:

VinDex a dit…

La Crimée vote la Russie : et après ?
http://www.blogactualite.org/2014/03/la-crimee-vote-la-russie-et-apres.html