vendredi 18 octobre 2013

Une vieille histoire

"Les lycéens", en fait une partie d'entre eux, sont à nouveau dans la rue aujourd'hui. Ils y sont appelés par un syndicat lycéen, la FIDL, tout comme les étudiants sont appelés à se mobiliser par l'UNEF, deux organisations dont l'ancrage à gauche est connu. Cette mobilisation n'est pas une simple manipulation : que "l'affaire Leonarda" suscite l'émotion des lycéens est compréhensible. Dès lors qu'un problème (en l'occurence celui de l'immigration clandestine) a un visage, dès lors que l'opinion est encore marquée par l'affaire de Lampedusa, il n'est pas surprenant que des réactions se produisent.

Au moins, l'objectif des manifestants, ou du moins de ceux que l'on a pu entendre, est clair : il s'agit de considérer que les jeunes scolarisés ne peuvent être l'objet d'une expulsion, pas plus que leurs parents d'ailleurs puisqu'on n'envisage pas de les séparer.

Nous sommes donc au cœur d'un des grands drames de notre temps : l'ampleur des flux migratoires, ampleur née des inégalités de développement, face aux possibilités limitées d'accueil des pays européens. Des valeurs morales : la générosité, l'accueil de l'étranger, face à la réalité : un Etat-providence déjà difficile à financer dont les possibilités ne sont pas extensibles à l'infini, mais aussi les limites de la capacité des populations à s'acclimater à l'immigration massive. L'éthique de conviction contre l'éthique de responsabilité : à quelle condition peut-on intégrer de manière satisfaisante les nouveaux arrivants ?

Comme toujours quand un problème n'admet de que des solutions partielles (quand bien même les écarts de développement tendent à se réduire au moins partiellement, le phénomène est lent) et qu'il génère des tragédies individuelles, la position du pouvoir est inconfortable, puisqu'on peut toujours l'accuser d'être cynique ou irresponsable.

La mobilisation qui se développe, et dont on ne sait pas si elle survivra aux vacances, est celle de la "gauche de conviction". Celle qui supprime une des données du problème, celle de l'incapacité d'un pays muni de systèmes de solidarités sociales et d'une législation sociale ambitieuse à ouvrir totalement ses frontières, sauf à exclure les nouveaux arrivants de la solidarité sociale et les utiliser comme main d’œuvre à bon marché. Celle qui refuse délibérément de se placer dans l'optique de l'exercice du pouvoir, qu'au fond elle juge corruptrice. Celle qui souffre chaque fois que la gauche de gouvernement est au pouvoir.

Les lycéens, qui sont encore à l'écart (le plus souvent) du fonctionnement de la machine politique et sociale, sont de bons clients pour elle. Leur ignorance du côté pratique des choses laisse le champ libre à tout discours manichéen, un discours dont plusieurs ont même soif, car il procure une merveilleuse illusion d'ouverture au monde en permettant de se situer.

Bien sûr, cette mobilisation est instrumentalisée. Elle l'est obligatoirement, puisque dans la lutte pour le pouvoir intrinsèque à la politique, tout phénomène public l'est à un moment ou à un autre. Elle l'est clairement contre Manuel Valls. Je suis pour une fois d'accord avec Natacha Polony : pour la "gauche morale", la "gauche républicaine" est l'ennemi éternel, puisque la première place la morale au-dessus des lois et que pour la gauche républicaine (comme pour tous les républicains) le respect de la loi est la vertu première du citoyen.

D'une certaine manière, l'idée de lancer une enquête administrative était parfaitement raisonnable. Le problème est que l'on n'est pas dans la problématique de la "gauche morale", dont la légalité n'est pas le souci, et qui pense qu'aux victimes, tout est permis. Le mensonge du père de Leonarda Dibrani est dans cette perspective légitime : on ne doit pas se soumettre à un ordre politique injuste.

Et puis, l'inénarrable Valérie Trierweiler, qui ne comprendra jamais que la seule chance de salut pour elle est dans la discrétion, rend la position de François Hollande un peu plus difficile. Il se trouve obligé de trancher dans une affaire qui met aux prises les deux cultures de la gauche, l'idéaliste et la pragmatique. Or, dans le système de bipolarisme artificiel et obligé où nous sommes depuis 1962, la gauche pragmatique est tenue de prodiguer à la gauche morale ce que cette dernière demande esssentiellement : des satisfactions symboliques.

Manuel Valls a l'opinion publique derrière lui. Certes, ce soutien est fragile : la droite qui l'aime bien ne votera jamais pour lui. Mais le gouvernement n'est pas encombré d'un surplus de ministres populaires. Dans l'affaire Leonarda, il ne semble pas que ce soutien lui fasse défaut. Populaire, il est homme à abattre et pour la gauche morale, et pour ses rivaux socialistes. On le voit, François Hollande doit résoudre une équation difficile. Homme de synthèse, tout le monde le pousse à clarifier sa ligne politique, là comme ailleurs - mais de cette éventuelle clarification, personne ne l'aidera à payer le prix.. 


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