jeudi 3 octobre 2013

Le progrès, encore et toujours...

Quelques semaines d'été où je me replonge avec délices dans l'histoire générale pour les besoins d'un manuel scolaire. Je ne connais pas de meilleure manière de se retremper dans sa vocation d'historien. À trop se spécialiser, on oublie vite la première fascination, celle qui ne devrait jamais cesser de nous guider : celle de l'aventure humaine dans sa globalité.

Quand, en outre, on se passionne pour la politique et que l'on a la chance de vivre en démocratie, l'exercice qui nous emmène visiter l'Antiquité, le Moyen Âge, les Temps Modernes, et qui nous interroge sur la manière de présenter tout cela à la jeunesse de ce pays, est encore plus salutaire.

Henri-Irénée Marrou, historien frotté de philosophie, aimait à rappeler que l'histoire était le dialogue du Même et de l'Autre. Il en faisait ainsi une des manières que nous avons d'être en relation avec ceux que nous appelons d'ailleurs selon nos humeurs "nos semblables" ou "les autres". Quand on se penche sur nos ancêtres plus ou moins lointain, mesurer ce qui nous sépare d'eux et en quoi nous vivons tous la même Histoire pose une question redoutable, celle du progrès. Existe-t-il ? Pourquoi tant de gens aujourd'hui ont-ils le dandysme de ne plus "y croire" alors même qu'ils ne cessent de parler de "régression" dès qu'une mesure ou un état de fait leur déplaisent ?

La question des critères est fondamentale. Sur quelle échelle un « mieux » peut-il  être perceptible ? Osons quelques lapalissades pour nous éviter bien des sophismes. On peut considérer que la misère, la maladie, la violence, l'ignorance sont tout ce que l’humanité cherche depuis longtemps à limiter. Sur le plan moral, on peut considérer aussi que le respect d’autrui est une donnée fondamentale – c’est ce qui fonde l’attachement vrai à la liberté. Tout cela n’est pas arithmétique, mais est globalement mesurable, constatable. Bien sûr, il reste la question du bonheur et sa redoutable subjectivité. On peut vivre dans un monde moins pauvre et plus apaisé et ne pas être heureux. Cette simple considération est d’ailleurs un antidote assez efficace contre le « racisme historique », complexe de supériorité par rapport à nos devanciers. Je crois que nous tenons là la frontière entre le progressisme naïf, celui qui nous promet le paradis sur terre, et un sentiment relatif, raisonnable du progrès.

Ce socle de bon gros bon sens explique, à mon sens qu’alors que nombre de nos contemporains proclament ne plus « croire » au progrès, ils raisonnent en fait comme s’ils y croyaient. Les philosophes des Lumières écossaises, au XVIIIe siècle, le savaient déjà : le sens commun est seul capable de contrebalancer le penchant moderne au relativisme intégral.

Le progrès auquel nous ne croyons plus, c'est le progrès enchanté qui ferait du monde un monde parfait et des hommes et des femmes des êtres à la fois épanouis et altruiste. Cette théorie du progrès n'est pas vraiment celle du siècle des Lumières, elle est née au XIXe siècle, du croisement des Lumières avec le messianisme judéo-chrétien, dans le bouillonnement de la sécularisation où nombre de concepts religieux colonisaient l'art et la politique. 

Le progrès  auquel nous pouvons encore croire suppose un conscience de la finitude humaine, du mal qu'il y a dans l'homme, des limites toujours présentes de ce que nous sommes. Nous n'allons pas, dans l'Histoire, vers le Royaume, et s'il vient, il viendra d'ailleurs. Le progrès auquel nous pouvons encore croire, c'est l'accroissement de ce que nous pouvons faire pour les hommes tels qu'ils sont vivent mieux. De ce point de vue, on pourrait séculariser la maxime évangélique et affirmer que le Royaume est au milieu de nous, dans les relations que nous nouons et les services que nous pouvons nous rendre.

Il y a des progrès dans la lutte contre nos ennemis éternels. Il n'y a pas de victoire finale. Nombre de nos ancêtres se sont battus en tâtonnant, ont accumulé nombre de ressources pour nous permettre de moins tâtonner, mais si nous tâtonnons moins, nous tâtonnons encore. Si l'idée de progrès est en crise, c'est que le progrès ne se comprend pas dans un regard enchanté vers l'avant, mais dans un regard global, unissant passé, présent et futur espéré, de la marche de l'humanité.
 

1 commentaire:

Robin Langlois a dit…

Cher M. Grondeux,

Je profite de ce post sur la notion de progrès pour vous poser une question sur laquelle je me penche depuis quelques temps.
Ancien élève de vos cours sur la vie politique française à Paris IV (2006-2007), je suis actuellement étudiant en Master d'Affaires européennes à Cracovie.
Je me souviens de vos cours sur la IIIe République, République qui était au commencement loin d'être reconnue par tous. Alors qu'aujourd'hui aucun parti (ou si peu...) n'ose remette en cause la Ve et joue tous du moins le jeu de l'élection, une "majorité visible" des députés de la IIIe (Monarchistes, Catholiques, certains Socialistes etc.) remettaient officiellement en cause la République elle-même à l'Assemblée.

Ma réflexion tente de faire un parallèle entre l'antiparlementarisme de la IIIe et l'antiparlementarisme dans l'UE:
à l'approche des élections européennes de mai 2014, selon les sondages, au moins 30% des eurodéputés, populistes de droite comme de gauche, de l'Est comme de l'Ouest, seront officiellement anti-UE. Le UKIP, le FN, le Front de Gauche, le Jobbik hongrois, le PVV de Geert Wilders, le Parti des Vrais Finlandais, le PiS polonais, le M5S de Beppe Grillo, le FPÖ autrichien etc. sont de ces partis.

Bien entendu, ils ne formeront pas un front commun et uni, mais tous partagent l'idée d'en finir avec l'UE actuelle, pour éventuellement créer à la place une "Europe des Nations" aux contours vagues...
Bien que 30-40% ne fassent pas une majorité, le parlementarisme de l'UE s'en trouvera grandement affaibli.

Mes questions sont donc les suivantes : Comment le système politique de l'UE pourra continuer à marcher par delà cette frange anti-UE ?
Un parallèle avec la IIIe, où progressivement les mouvements anti-IIIe se sont rattachés à la République, est-il pertinent ?
Européiste convaincu, l'UE, comme la République avant, représentent le progrès. L'UE se forgent toujours dans la crise, m'a-t-on toujours enseigné (comme la IIIe République me semble-t-il), un parallèle entre ces deux structures peut-il être éclairant selon vous ? En espérant que l'UE ait cependant une fin plus heureuse que la IIIe !

Mes salutations distinguées