mercredi 13 octobre 2010

Ce qui était évitable et ce qui ne l'était pas...


Dans les manifestations actuelles, il y a ce que le gouvernement aurait pu éviter et ce qu'il n'aurait pas pu éviter.

Commençons par la nécessité, qui tient la place de Dieu pour les politiques comme pour les historiens.

Nécessité financière d'abord, surtout en économie ouverte où les possibilités de fiscalisation du capital sont très limitées. Le déficit de l'Etat, qui finance lui-même le déficit des caisses de retraites, rend le statu quo intenable.

Contrainte politique : le plus souvent, faute d'un projet capable de coupler le nécessaire et le souhaitable, la gauche laisse la droite faire les réformes d'adaptation tout en les contestant et en ne revenant dessus, ensuite, qu'à la marge. Si la droite a peur depuis 1995, la gauche modérée aussi, qui craint d'être débordée. Le fait que le PS s'aligne désormais plus sur la CGT que sur la CFDT en dit long : la CGT, ou le modéré Thibaud a du fil à retordre avec un Le Reste plus dur, est elle-même tiraillée entre le réformisme négociateur et la contestation cherchant l'épreuve de force.

Ce qui était évitable : tout d'abord, faire croire que cette réforme est suffisante pour rééquilibrer le système, ce qui n'est manifestement pas le cas. Ensuite, l'arrogance tranquille d'Eric Woerth, sûr de sa compétence et que je n'ai pas même entendu remercier, alors même qu'il se présentait comme un nouveau Dreyfus, le président et le premier ministre d'un soutien qui pourtant leur coûte politiquement très cher.

Surtout, il aurait fallu laisser aux syndicats le bénéfice des avancées sur la pénibilité, au terme de négociations.

Aucun leader de confédération ne peut se présenter devant ses adhérents en disant qu'il faut accepter un texte qu'il n'a pas fait modifier. De même, la brièveté du débat parlementaire prête le flanc pour une réforme aussi lourde. Il est trop facile de dire que le camp d'en face ne se prête pas à l'entente quand on se borne avec lui à des rencontres informelles et des débats tronqués.

Il est curieux de cumuler l'intransigeance des combats ultimes et le goût des demi-mesures. Il faudra d'autres réformes du système de retraite, on peut craindre que la méthode adoptée ne les rende encore plus difficiles. Cela dit, ce n'est pas comme si nous avions le choix entre une demi-douzaine de projets crédibles. N'empêche : depuis l'échec du référendum de 2005, on pourrait penser que les réformateurs auraient fini par comprendre tout ce qu'il en coûte de mettre en scène et de radicaliser un face à face "raison vs démagogie".

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Au delà de la méthode de négociation (ou de non négociation en l'occurrence), cette réforme me semble surtout donner lieu à un double discours totalement contradictoire de la part du gouvernement comme de la majorité:

- double discours quant à sa signification politique : il est contradictoire de réclamer l'unité nationale sur une réforme prétendument historique, et en même temps de vouloir en faire la pierre angulaire du mandat présidentiel dans la perspective à peine voilée des élections de 2012, dans une perspective partisane et polémique.

- double discours quant à son aspect financier: la réforme est tantôt présentée comme une oeuvre destinée à assurer l'équilibre à long terme, tantôt comme une réforme nécessaire faite dans l'urgence pour la décennie à venir, et accessoirement pour que la France conserve son précieux AAA auprès des agences de notation. Mais les mesures d'urgence et la construction d'un système pérenne font rarement bon ménage.

Jérôme Grondeux a dit…

Je suis tout à fait d'accord sur votre deuxième flottement : on ne peut pas donner des allures de lutte suprême à une réforme qui dans le long terme ne résout pas le problème.
On peut davantage discuter sur le premier, parce que de toute manière les politiques se servent de ce qu'ils font pour leur réélection à moi d'être politiquement suicidaires, et surtout je ne suis pas sûr que le gouvernement réclame vraiment là-dessus une union nationale qu'il n'a pas cherchée.

Anonyme a dit…

Bien sur, les politiques pensent à leur réélection et c'est légitime (à défaut d'être toujours bienvenu).
Ce que je voulais dire, c'est le gouvernement hésite en permanence entre deux stratégies politiques relativement différentes:
- la stratégie unanimiste qui vise à faire passer la réforme auprès d'une base politique plus large que la majorité: c'est le discours présidentiel classique, la responsabilité pour l'avenir du pays et les générations futures, la garantie du "modèle social français", etc.
- la stratégie clivante qui doit mobiliser le noyau dur des soutiens politiques de la majorité par la dénonciation de syndicats et d'opposition irresponsables, conservateurs, manipulant les jeunes, etc. Bref, un discours électoraliste.
Je ne saurai pas dire exactement pourquoi ni comment, mais il me semble que ces deux stratégies se combinent mal. Le large soutien que le président Nicolas Sarkosy recherche est hypothéqué par le candidat Sarkosy Nicolas.

Jérôme Grondeux a dit…

Oui vous avez raison on a l'impression d'un flottement comme entre une stratégie de premier tour et une stratégie de second tour. On aurait alors un des effets indésirables de l'élection du président de la République au suffrage universel. Un président peut-il éviter cela ? Pas forcément, mais par contre le parti gouvernemental, s'il existait, pourrait essayer d'assumer davantage la dimension "combat politique"... mais en fait l'UMP est aux abonnés absents et n'a pas le crédit politique nécessaire.
Je crois que c'est aussi le problème d'une réforme à deux ans des présidentielles, et pas dans le programme présidentiel... mais autre problème : quel candidat peut mettre ce type de réforme dans son programme et être élu ?