jeudi 7 octobre 2010

La sécularisation, une exclusivité occidentale ?


Une conversation avec mon ami Dominique Avon mercredi matin rue des Saints-Pères. Il a sur sa table un exemplaire du Coran en arabe, et s'étonne, à bon droit, qu'un bon spécialiste occidental de l'Islam ne fasse pas le parallèle entre le verset coranique affirmant que Dieu est le seul juge et le seul souverain, et l'affirmation de saint Paul selon laquelle "tout pouvoir vient de Dieu".
Quand je dis "s'étonne", je devrais plutôt dire qu'il s'attriste. Il sait bien, pour avoir travaillé sur ces questions, à quel point nombre d'esprits cultivés préfèrent s'en tenir à l'opposition entre un monde chrétien où la sécularisation coulerait de source et un monde musulman qui ne pourrait que se la voir imposer...
Je repense à mes cours sur la condamnation de Lamennais en 1832 par le pape Grégoire XVI fustigeant la liberté de la presse et la liberté de conscience, au Syllabus de 1864 combattant toutes les formes de sécularisation, et au retournement final de... 1965 où, par l'adoption de la célèbre "Déclaration sur la liberté religieuse", le concile Vatican II entérine le ralliement du catholicisme a un point fondamental du libéralisme politique.
Il est décidément trop simple de voir dans le christianisme la "religion de la sortie de la religion", comme le fait parfois Marcel Gauchet. Le même n'indique-t-il pas d'ailleurs que ce fut l'Etat qui fut le principal agent de la sécularisation ? Ici encore, une pensée du progrès lent nous manque. La sécularisation fut progressive, complexe, diverse en Occident et le vieux rêve de la supériorité du pouvoir spirituel a perduré longtemps.
Non, ce n'est vraiment pas comme si tout cela avait été simple, comme si nous étions sortis absolument indemnes de l'affaire (quid des formidables "religions séculières" ou "religions politiques" que furent le fascisme et le communisme?), comme si nous avions trouvé du premier coup et définitivement l'équilibre entre l'affirmation de la liberté de conscience et le respect (minimal) des traditions religieuses. Les autorités ecclésiastiques n'ont accepté cela qu'en dernier recours, avec parfois bien des arrière-pensées, et alors, alors seulement, elles ont réinterprété le christianisme et y ont trouvé des ressources pour donner sens au phénomène, à leur manière, et surtout pour accepter ce qui s'était produit. On cherche en vain les traces d'une évolution purement autonome de la religion chrétienne à ce sujet.
Une pensée qui prend en compte l'épaisseur de l'Histoire rend moins sévère le jugement sur le monde musulman, et surtout ouvre la porte à des pensées plus subtiles ; elle refuse d'emprisonner toute une partie de l'humanité dans une impossibilité proclamée. Les traditions sont évolutives, elles s'adaptent, elles sont le théâtre de luttes de tendances, quand bien même elles aiment à se présenter comme unifiées, monolithiques. L'essai à paraître au début de l'année prochaine, l'essai ultime de Thierry Wanegffelen, son testament intellectuel, Le roseau pensant. Essai sur la ruse de la modernité occidentale, en dit long sur les chemins tortueux de l'affirmation de l'individu moderne, sur tous les asservissements qui le guettent. Je crois profondément que si les historiens ne se condamnaient pas si souvent à l'étude indéfinie du détail, ils auraient bien des choses à dire à ce propos.

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