mercredi 14 août 2013

Méditation bretonne sur les fractures françaises

J'aime bien tout ce qui affleure de notre histoire nationale, de ses tensions internes qui trouvent aujourd'hui leur prolongement. Ce qui se révèle au fil de la moindre promenade, pour peu que l'on prenne le temps d'observer.

Ce matin, mon fils m'a réveillé tôt, et c'est derrière une poussette que je marche vers le centre historique de Vannes. Nous passons devant la prison, dont deux grands corps de bâtiments sont aujourd'hui abandonnés. L'effet est sinistre, jour jeté sur les à-côtés de la grande histoire, sur toutes ces histoires particulières qui s'échouent, sur cet envers de tous les ordres sociaux. Les Lumières et l'époque romantique se sont passionnées pour le problème des prisons, et, depuis la vague de contestation globale de l'univers carcéral de la fin des années 1960 et des années 1970, il s'en faut de beaucoup pour que ces problèmes très concrets et très inconfortables passionnent autant le milieu intellectuel contemporain (dont je ne m'excepte pas).

Peu de temps après, nous passons, mon fils endormi et moi, devant le collège Jules Simon. La devise inscrite au fronton de ce collège public attire l'oeil : « Dieu, patrie, liberté ».

Grand personnage des débuts de la Troisième République, républicain spiritualiste, disciple en philosophie de Victor Cousin, Jules Simon avait obtenu l'inscription des « devoirs envers Dieu » dans les programmes scolaires de l'instruction morale et civique.

Il s'agissait du Dieu des philosophes, celui présent dans la première édition du Tour de France par deux enfants, d'un Dieu qui pouvait être celui de Voltaire, de Rousseau, de Kant, l'Être Suprême de Robespierre, mais qui pouvait aussi rassurer les catholiques s'ils n'y regardaient pas de trop près.
Cette devise, c'est le reste d'une tentative, celle d'une laïcité spiritualiste qui rêvait de conciliation.

Depuis l'échec de cette tentative, la laïcité reste en tension entre conciliation et affrontement. Que penserait Jules Simon d'un projet autoritaire d'interdiction du foulard islamique à l'Université ? Il y verrait sans doute la conséquence logique de son échec, mais peut-être aurait-il la finesse de ne pas mettre dans le même sac ses anciens adversaires républicains, et suivrait-il avec intérêt l'actuel débat sur cette question, qui oppose les tenants de la ligne Combes et ceux de la ligne Ferry, les autoritaires et les libéraux.

Devant le collège, sur la grille, une plaque d'hommage à Jules Simon posé par l'association bretonne-angevine. Le terme m'intrigue – j'apprendrai plus tard qu'il s'agit d'une association républicaine et libre-penseuse, qui se réclame de l'héritage de la fédération bretonne-angevine de 1790. Le grand mouvement qui a culminé au 14 juillet 1790 dans la Fête de la Fédération, sur le Champ-de-Mars, est en effet parti des provinces. C'est au républicain Jules Simon qu'on rend ici hommage.

Vannes, ville bleue en pays blanc, comme tant d'autres dans l'Ouest. S'y juxtaposent références républicaines et héritage de la chouannerie. Les deux France s'entremêlent ici. Face au rempart, dans un parc au centre duquel se trouve le monument aux morts de 1914-1918, et où les  combattants des guerres et expéditions françaises sont honorés, sur un vieux mur, une plaque : ici ont été fusillés les prisonniers de l'infortuné débarquement de Quiberon, sorte de baroud d'honneur de l'émigration. On voit encore, dans la vieille ville, la maison où fut arrêté le prêtre réfractaire Pierre-René Rogue, jugé et exécuté en 1796.

Il est tôt encore, les touristes sont rares dans les quartiers anciens comme autour des remparts. Les camionnettes qui ravitaillent les boutiques se vident, les employés s'acheminent vers leurs bureaux, les petits cafés se prennent en terrasse. Qui parmi ces gens est croyant, qui ne l'est pas ? Qui vote à droite, à gauche, au centre ? Cela ne se voit guère aujourd'hui ; nos désaccords peuvent être spectaculaires, ils ne sont plus des déchirements, et la « majorité silencieuse » est finalement peu touchée par leurs prolongements dans les France militantes. Mon petit bonhomme qui s'accorde un supplément de sommeil, que verras-tu sortir de cette France apaisée et peut-être un peu ensommeillée elle-même ?

Il reste pourtant bien des fractures à réparer. Près des remparts, une plaque rappelle que c'est à Vannes que fut scellée l'union de la Bretagne et de la France. Elle est bilingue, en breton et en français. J'entends déjà mes amis souverainistes... À Rennes, en 1932, un groupe autonomiste pulvérisa le monument qui rappelait l'événement et représentait Anne de Bretagne à genoux devant François Ier. Je m'arrête devant cette plaque bilingue. Elle est peut-être une solution. Depuis trente ans (eh oui) que je m'intéresse à la politique, après quelques années d'initiation radicale et d'incursion dans les constellations révolutionnaire et conservatrice, je n'ai rien trouvé de mieux que la perspective d'associer la nation, l'Europe et la région. C'est autour de cela que nous tournons, même si c'est souvent de manière peu claire.

La lumière réchauffe Vannes, le silence des morts se fait moins présent dans la ville qui s'anime. Nous rentrons.

2 commentaires:

Frédéric Saint Clair a dit…

Cher Jérôme,
Référence intéressante à la dimension déiste des convictions politiques de Jules Simon... Merci! Cet aspect, que vous entrelacez ensuite avec l'Europe, la nation, la région, m'amène à une première question : Quelle a été votre position par rapport à l'inscription des racines chrétiennes de l'Europe dans le projet de Constitution ? Et à une deuxième : vous évoquez ce lien intéressant entre région, nation et Europe, mais sans nous en dire plus... quel forme pourrait-il bien prendre ? Ne faudra-t-il pas sacrifier les prérogatives des uns ou des autres ?

Jérôme Grondeux a dit…

En fait sur le plan historique cela ne me choquait pas. J'étais perplexe au moment du débat mais prudent car je trouvais inutile de choquer les uns ou les autres dans un préambule.
Pour la seconde question je crois qu'il faut un peu de jeu. Mais je suis très loin du fédéralisme différencié d'EELV.