vendredi 26 avril 2013

La crise politique et ses limites

Je viens de finir un article sur le parallèle entre la France des années 1930 et la nôtre (qui devrait paraître la semaine prochaine). Ce parallèle ne me convainc guère, et j'y vois plutôt un moyen d'éveiller la sourde crainte, mêlée chez beaucoup de militants d'une espérance pas toujours consciente d'elle-même, de la crise politique radicale qui ferait place nette.

Personne, aujourd'hui, ne menace avec des forces suffisantes la France ni la démocratie française dans son existence même. Je disais dans mon dernier post mon inquiétude face à une double difficulté, celle d'une classe politique déstabilisée par la disparition du "off" et d'une citoyenneté qui soit autre chose que le cache-sexe de la vieille défense des intérêts (personnels ou collectifs). Un long et intelligent commentaire, celui de "Luc M", me reprenait sur ce dernier point. Ce n'est pas tant la "demande politique" qui serait en crise que "l'offre politique", gangrenée par la prégnance de la communication et l'inadaptation des institutions.

Je lui donne volontiers raison sur un point, qui nous écarte justement du modèle des années 1930 : d'une certaine manière, la communication, quand elle ne sert pas à vendre un bon "produit politique", c'est-à-dire une politique ou des réformes praticables et utiles, remplace le fond du discours. Elle vend alors de la pure et simple démagogie - et on s'approche alors d'un populisme qui ne se borne pas au discours des forces politiques accusées ordinairement de populisme, le Front National et le Parti de gauche, mais est beaucoup plus largement diffusé. Pour le caractériser, on peut se servir avec profit de la définition de Guy Hermet : la promesse de la satisfaction immédiate des aspirations supposées populaires.

Les années 1930 sont des années idéologiques, au sens où même les propos les plus démagogiques peuvent être le plus souvent reliés à de grandes idéologies. Les années 2010 sont pour l'instant des années où les politiques sont écartelés entre la réponse immédiate aux aspirations (concrètes ou émotionnelles) qui parviennent à s'exprimer, et qui sont amplifiées par les médias, et le souci de proposer des réponses à moyen terme aux problèmes d'une ville, d'une région, d'un pays, ou même d'un ensemble comme l'Europe.

D'une certaine manière, on retrouve là, amplifiée, la tension entre souci du bien public et contrainte démagogique qui structure toute vie politique démocratique. Et c'est pour cela que la situation est au fond moins malsaine, et plus remédiable, au moins  en partie, que dans les années 1930 telles que la France et une grande partie de l'Europe (j'excepte par exemple le Royaume-Uni) les a connues.

Car en même temps que la politique se transformait, l'information continuait de progresser. Fragmentée, certes, mais de plus en plus complète et approfondie. Si comme je le répète à mes étudiants jusqu'à les en fatiguer, la politique, c'est bien à la fois des intérêts, des passions et de la raison, la raison est moins désarmée.

Elle se heurte certes à la démagogie, mais la démagogie ne revêt que rarement une teinte rationnelle suffisante pour résister longtemps à la discussion libre et à l'épreuve des faits. Elle se renouvelle certes, mais en se modifiant constamment, quand la raison, dans ses procédés comme dans ses diagnostics, est plus pérenne. Elle se nourrit, sans son souci de proposer de la réalité des interprétations plausible, de l'information - et cette information plus complète la rend plus humble dans ses diagnostics, plus prudentes.

D'une certaine manière, il est toujours difficile de faire ce que l'on reconnaît comme nécessaire, mais la distinction entre le possible et l'impossible se fait plus aisément. C'est le bénéfice du désenchantement de la politique - et il est terrible, alors que le XXe siècle et son cortège de morts n'est pas si lointain, qu'on cultive la nostalgie de la politique enchantée.

Au contraire, l'idéologie subvertit la raison et peut la réduire à l'impuissance. Non pas l'idéologique comme ensemble des idées autour desquelles se produisent les mobilisations collectives, mais l'idéologie politique hissée au niveau d'une explication globale de l'Histoire ou de la société. L'idéologie est riche de mille ruses pour prévenir sa propre réfutation, en diabolisant ses contestateurs, et elle se radicalise au contact des multiples démentis du réel et des échecs qu'elle engendre.

En plus clair, le démagogue, médiatique ou pas, est soit un cynique, dont le calcul rationnel est réduit à son intérêt propre, soit un simpliste qui n'inspire confiance qu'à un nombre limité d'individu hors des temps de très grandes catastrophes. Un idéologue peut être un docteur subtil, et paralyser assez efficacement ses contradicteurs.

En ce qui concerne la France, je crois que nous avons du mal aujourd'hui à faire ce que beaucoup de gens savent depuis longtemps être nécessaire. Que cela induit un déclin relatif et même une forme de dépression collective, qui fait rejouer d'anciens traumatismes comme la défaite de 1940. Et que cela est préoccupant, mais pas irrémédiable. Parce que rien en nous ne peut faire durablement obstacle à la contrainte factuelle de la nécessité. 


1 commentaire:

GUIGO a dit…

super article avec lequel je suis totalement d'accord, auto-pub: http://l-historien-et-le-politique.over-blog.fr/article-de-l-usage-fallacieux-de-l-histoire-117244879.html