jeudi 12 avril 2012

Qui sera le chef de la majorité ?


François Hollande a voulu hier, à la télévision, accentuer le contraste entre le type de présidence qu’il entend incarner et « l’hyperprésidence » de Nicolas Sarkozy. Il a affirmé que s’il était élu président, il ne serait plus le chef du parti socialiste – ce serait le rôle du premier secrétaire , et qu’il ne serait pas le chef de la majorité, ce qui serait le rôle du premier ministre.

Signalons tout d’abord que cette optique est parfaitement conforme à l’ambition exprimée par Charles de Gaulle dans son célèbre discours du Bayeux de 1946. Le président de la République, que le Général voulait faire élire par de grands électeurs, était vu comme un personnage métapolitique, au-dessus des partis, en charge de la permanence de l’intérêt national, et accordant les nécessités de celui-ci avec le premier ministre, représentant la majorité parlementaire.

Belle vision monarchico-républicaine, considérant que la conduite de la nation ne devait relever que très partiellement du débat politique. Vision dont l’aspect « utopique » (si on soustrait à cette optique) devait apparaître dès 1958… et surtout, projet pulvérisé par la décision de 1962 de proposer au référendum l’élection du président de la République au suffrage universel.

Cette élection phare, à laquelle les Français se sont vite attachés, est l’élection la plus déterminante de la vie politique française, hors les périodes de cohabitation, que la réforme de 2000 instituant le quinquennat, approuvée par référendum, a rendue plus improbables – sans les rendre impossibles. En cohabitation, le premier ministre est véritablement le chef de la majorité : Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin en ont fait l’expérience.

Mais quand les élections législatives entérinent simplement le résultat des élections présidentielles, ce à quoi beaucoup ramènent leur vocation sous la Vème République, par exemple Lionel Jospin et Jacques Chirac quand ils ont décidés, en 2002, d’inverser le calendrier électoral pour que les présidentielles précèdent les législatives, qui est alors le chef de la majorité ?

Georges Pompidou, premier ministre, avait le premier employé le terme de « majorité présidentielle », ce qui est répondre à la question. Qui a jamais cru que Raymond Barre, Pierre Mauroy, Michel Rocard, Dominique de Villepin étaient les chefs de la majorité ?

Et si demain François Hollande nomme Martine Aubry, Michel Sapin, Pierre Moscovici ou Manuel Valls, qui verra en eux les chefs de la majorité ? Personne.

Quant au parti majoritaire, son contrôle est l’enjeu d’une bataille permanente sous la Vème République, et le premier secrétaire devra gérer attentivement ses rapports avec le président.
François Hollande, élu, sera qu’il le veuille ou non le chef de la majorité. Il sera, pour reprendre les termes de Machiavel, un « lion » ou un « renard » - et d’ailleurs plus probablement un renard, habile négociateur.

5 commentaires:

Frédéric Saint Clair a dit…

Il y a quelques temps, je déplorais le manque d'éclairages historiques sur la politique actuelle dans de nombreux articles de ce blog.

Je suis content de voir que, soit que je me sois trompé, soit que la tendance ait été légèrement infléchie, aujourd'hui, les évènements et les hommes d'hier servent de projecteurs pour mieux appréhender ceux d'aujourd'hui.

J'en remercie donc l'auteur !

F. Saint Clair

Jérôme Grondeux a dit…

@Frédéric : merci à vous ! Comme tout le monde, je suis entraîné parfois par l'actualité, et parfois on peut revenir sur les fondamentaux, ce qui fait du bien.

Anthony Guyon a dit…

Fine analyse, comme toujours.
Nos hommes politiques avant de revendiquer de telles ambitions devraient peut-être réfléchir à certains faits. Aux dernières élections, plus de 500 000 électeurs se sont déplacés pour voter blanc au premier tour. Le vote blanc dépassait le score de 4 candidats. 1,5 millions ont fait ce geste fort au second tour. Si on y ajoute 7 millions d'abstentions, comment peut-on se revendiquer Président de tous les Français rien qu'avec ces chiffres? Selon moi, le parti est bien plus décisif que l'homme ou la femme pour remporter l'élection. Il ne faut pas s'en éloigner une fois élu, sinon on risque de perdre son socle. De plus, comme vous le soulignez, le calendrier oblige le chef de l'Etat à prendre ses responsabilités aux législatives et à apparaître comme le leader de son parti, s'il veut une majorité large et cohérente.

Anthony Guyon a dit…

En lisant François Furet, j'ai repensé à votre analyse, il a écrit: "Le sentiment de l'universel est inséparable de la conscience démocratique." (Inventaires du communisme, p48).

Jérôme Grondeux a dit…

@Anthony : oui, et justement ce sentiment de l'universel + le sentiment national posent un problème. C'est bien d'être le chef de gouvernement et le chef d'une majorité, c'est cohérent, c'est plus complexe et plus problématique d'être le chef de l'Etat et le chef d'une majorité, sauf si se diffuse une culture du compromis et du consensus.