mardi 3 janvier 2012

De la pédagogie en politique


Le débat sur la TVA sociale fait ressortir de manière particulièrement appuyée une caractéristique du paysage politique de ces vingt-cinq dernières années en France (et peut-être, plus largement, dans les pays développés). Mais commençons par la question elle-même.

La question de savoir si la mesure est efficace pour redresser les finances publiques et encourager la production française peut être discutée. Et cela nous fera du bien, après un mois de puérilités du type "achetons français". (C'est très bien d'acheter français et d'encourager les entreprises françaises, mais faire croire que cela règlera le problème de notre déficit commercial, c'est de la part des responsables encourager sciemment une approche puérile des faits économiques.) En gros, il s'agit de taxer la consommation plutôt que le travail, et de faire le choix d'une augmentation d'un impôt indirect plutôt que de l'impôt direct.

Le candidat François Hollande avait plutôt misé, outre sur l'abandon du "bouclier fiscal", sur une réforme de la fiscalité pour redresser les comptes publics (je laisse de côté la perspective d'une "relance" de l'économie, qui ne peut être que sectorielle et ne donnerait des fruits, si elle en donne, qu'à long terme). Il avait de vastes projets, dont certains ont déjà disparus, comme celui d'élargir l'assiette de l'impôt direct. C'est qu'un foyer fiscal sur deux, en France, est dispensé d'impôt sur le revenu.

La refonte de la fiscalité est une idée louable ; le système français est opaque, bardé d'exemptions diverses et passablement injuste. Il est tout à fait légitime que le candidat du parti socialiste propose un système plus juste. L'inconvénient est qu'une mise à plat du système sera longue, et surtout qu'elle ne rapportera pas plus à l'Etat. Nous aurions un système plus juste, peut-être moins dissuasif pour la production, et ce serait très bien, mais l'Etat et les collectivités publiques, qui prélèvent déjà environ la moitié de la richesse produite chaque année, n'auront pas plus d'argent, et ce d'autant plus qu'une réforme de cette ampleur... commence par coûter de l'argent.

Donc, vive la TVA sociale ? Pourquoi pas ? Après tout, un impôt sur la consommation, surtout s'il est modulable, permet aussi de faire payer les "riches". Et puis, les impôts indirects rapportent déjà en France bien plus que les impôts directs, sans que cela émeuve grand monde. D'autre part, les produits importés seraient soumis à cet impôts, et contribueraient ainsi au financement de l'Etat-Providence.

Je ne trancherai pas le débat à moi tout seul, mais autre chose m'intéresse, que nous saisissons là : quand Jean-Louis Borloo, en 2007, avait évoqué la TVA sociale, Laurent Fabius avait vivement contre-attaqué, et, à droite, on avait vu dans cette évocation et dans cette contre-attaque des facteurs des résultats relativement décevants pour la droite des élections législatives.

L'idée sentait désormais le souffre... On n'en parlerait plus désormais. Et revoilà le serpent de mer. Si finalement, sauf à empiler les plans de rigueur, nous avions là la manière la moins coûteuse économiquement, et peut-être même socialement, de redresser nos comptes publics, dont tout le monde sait qu'il faut les redresser. Si cette mesure était tout simplement indispensable ?

J'entends d'ici la déploration générale sur le politique qui devrait se soumettre à la contrainte économique. Oui, cela arrive. Où sont les temps bénis où l'économie était soumise à la politique ? Comme historien, je les cherche en vain. Oui, parfois, on n'a pas vraiment le choix, ou un ensemble de choix assez restreint.

La seule solution, dans ce cas là, c 'est d'expliquer pourquoi on va prendre telle ou telle mesure, et la manière dont on va la prendre. Et cela prend du temps. Pour la TVA sociale, c'est tout ce temps qui a été perdu entre 2007 et maintenant. Peut-être qu'au cours d'un long débat, la mesure se serait affinée, subtilisée. Peut-être qu'on se serait rendu compte que ce n'est pas la bonne mesure et que d'autres solutions (ce dont je doute) existent ? Peut-être que l'on pourrait arrêter de prendre les électeurs pour des enfants ?

Et si c'était, au fond, le seul avantage de cette campagne électorale où il n'y a rien à promettre ? Mais comme il est dommage que les principaux candidats n'aient, au fond, pas encore de programme ! A quatre mois du scrutin... Cela aurait pu amener des discussions utiles. Ah oui, j'oubliais : on a découvert tout de même pour l'instant au cours de la campagne cette recette miracle : acheter français...

9 commentaires:

GillesF a dit…

Une belle analyse, un poil déprimante hélas... A quel moment de notre histoire politique est-on parvenu, quand l'essentiel des mesures nouvelles consiste à recycler d'anciennes mesures ? c'est un peu comme dans la chanson : passée l'ère des classiques, arrive l'ère des reprises par de nouveaux groupes, avec des nouveaux arrangements... mais finie l'imagination...

Mallory a dit…

alors là je ne vous rejoins pas du tout. A aucun moment on ne mentionne l'abberation qu'est l’utilisation du mot social dans cette TVA. Où est le social ? alors oui les "riches" vont payer mais les moins fortuné aussi et on sait a quel point l'augmentation générale de la TVA serait dramatique pour les bas salaires sachant qu'il y a beaucoup plus de gens en difficulté qu'aisés. De plus si elle favorisera al concurrence entre entreprises à aucun moment le projet ne s'accompagne de mesures pour l'emplois. Cette mesure n'est pas indispensable, elle le devient potentiellement car les mesures de taxation sur les haut revenus, sur l’intéressement et les bénéfices des grandes entreprises n'ont pas été appliquées

Jérôme Grondeux a dit…

Le "social" vient du fait que cette TVA serait destinée à financer les dépenses sociales, soit 40% des dépenses actuelles de l'Etat. La concurrence entre entreprises n'est pas une mauvaise chose, c'est tout ce qu'on a trouvé pour l'instant pour fait baisser les prix pour le consommateur. L'accompagnement, c'est autre chose : il faudra tout pour aller chercher des sous et encourager la production.
Gilles : je ne suis pas si pessimiste au fond. On n'a rien fait tant qu'on pouvait endetter l'Etat. Maintenant on ne peut plus donc il va bien falloir faire. Et ça, c'est le seul côté positif des situations difficiles.

bonafoux a dit…

oui je partage assez ton analyse Jérôme d'autant que les produits de première nécessité notamment alimentaires sont de toute façon à un taux réduit. Il me semble donc que ce n'est pas trop inégalitaire, que les produits importés payent aussi et que l'on n'a effectivement pas beaucoup de marge de manoeuvre...

Frédéric Saint Clair a dit…

Au nom de Grondeux, après avoir lu avec intérêt la religion des intellectuels au XIXème siècle, je me suis dit : Tiens, un blog ? Précipité, avide de découvrir comment la pensée de Maurras, de Jaurès, de Péguy, de Constant ou de Renan allaient prendre corps dans une réflexion sur l'actualité, j'ai cliqué sur le lien. Et puis ? Rien. Je lis quelques posts et j'en arrive au dernier où, là non plus, ni Jaurès, ni Péguy, ni Constant...

Votre opinion sur la TVA Sociale est aussi valable et légitime que toute autre et la faire valoir est un droit et présente très probablement un intérêt, en revanche, votre analyse est lacunaire et partiale, ne serait-ce que parce que l'objectivité économique est un Graal insaisissable. Il en est d'ailleurs de même du politique, qui ne peut, malgré ses efforts, s'imposer en tant que science absolue et incontestable. Dès lors, prisonnier d'un monde où le positivisme n'a pas tenu ses promesse, que faire ? Pour un historien, peut être éclairer l'actualité au moyen des lumières de l'histoire... surtout quand l'historien est excellent et quand le siècle de ses recherches est le plus significatif pour qui désire comprendre celui dans lequel nous vivons.
Au plaisir de vous lire à nouveau...

Nil a dit…

Plus efficace, plus logique et plus juste qu'une TVA sociale à mon avis: une taxe écologie-démocratie aux frontières de l'Europe (taxer les produits dont la production et le transport ont beaucoup pollué, et/où qui viennent de pays où les droits politiques et syndicaux ne sont pas respectés). Cela permettrait de contrer la concurence déloyale tout en incitant les pays émergents à + d'efforts écologiques. et cela rendrait soutenabe pour l'économie française l'instauration d'une taxe carbone. L'écologie n'est pas seulement un poste de dépense supplémentaire... quant au "acheter français", malgré ses limites, j'y vois une prise de conscience salutaire de l'aspect politique des comportements économiques de n'importe quel citoyen.

Jérôme Grondeux a dit…

Corinne : merci de ce soutien. je pense de toute façons, et c'est valable aussi pour Nil, qu'on aura besoin d'un peu tout tant les besoins de financements sont grands. Nil : ok pour ce type de taxe mais nos partenaires européens n'en veulent pas ; ils exportent (surtout l'Allemagne) et ne veulent pas lancer une guerre douanière.
Frédéric : c'est un blog. parcourez l'ensemble. C'est subjectif, et je suis frappé d'une chose sur tous les commentaires : j'ai essayé de conduire, au travers de plusieurs posts, une réflexion sur la pédagogie en politique, et le fonctionnement de la démocratie, et tout ce qui est retenu est mon soutien à l'idée de TVA sociale. Encore Frédéric : toute analyse à chaud est lacunaire et partiale, celle-ci essaie de l'être le moins possible ; le but est de lancer quelques idées et de susciter le débat.

Jérôme Grondeux a dit…

Corinne : merci de ce soutien. je pense de toute façons, et c'est valable aussi pour Nil, qu'on aura besoin d'un peu tout tant les besoins de financements sont grands. Nil : ok pour ce type de taxe mais nos partenaires européens n'en veulent pas ; ils exportent (surtout l'Allemagne) et ne veulent pas lancer une guerre douanière.
Frédéric : c'est un blog. parcourez l'ensemble. C'est subjectif, et je suis frappé d'une chose sur tous les commentaires : j'ai essayé de conduire, au travers de plusieurs posts, une réflexion sur la pédagogie en politique, et le fonctionnement de la démocratie, et tout ce qui est retenu est mon soutien à l'idée de TVA sociale. Encore Frédéric : toute analyse à chaud est lacunaire et partiale, celle-ci essaie de l'être le moins possible ; le but est de lancer quelques idées et de susciter le débat.

Bernard a dit…

Quand l’Allemagne a augmenté sa TVA, lors de la grande coalition, elle a fait passer la TVA de 16 à 19% et a diminué les charges sur les salaires.
En France, la TVA normal est déjà à 19,6%, alors on augmente ? Chiche !
Dans ce débat sur l’impôt, il parait cohérent de prendre en compte les bas revenus et d’essayer d’être le plus égalitaire possible. Ceux qui ne payent pas d’impôt non pas droit aux déductions, quand bien même certains n’en payent pas à cause de déductions diverses(quotient familiale, etc …).
La TVA frappe en premier ceux qui dépensent leur revenu, tout leur revenu ; par contre ceux qui épargnent sont moins frappés.
Donc moins on gagne, plus le pourcentage de l’impôt direct ou indirect est important.
Aussi la réforme de l’impôt me parait urgente.
Quant aux charges pour financer les prestations sociales, il y a quelques années, certains ont parlé de l’asseoir sur le chiffre d’affaire des entreprises et non plus sur les employés. Cela permet entre autre de demander aux machines de payer les prestations sociales, de même aux produits importés.