jeudi 1 juillet 2010

"L'appel du 19 juin ou la nouvelle prophétie", par Cécile Carpentier


Pour la première fois dans ce blog, je donne la parole à une étudiante journaliste à ses heures, Cécile Carpentier. Elle avait vivement (et amicalement) réagi à mon post sur Dominique de Villepin. Nous avions beaucoup échangé à ce propos ; elle défendait avec talent le projet de l'ancien premier ministre. Elle nous livre ici ses impressions sur la réunion du 19 juin. C'est l'occasion de lancer un vrai débat. Mais commençons par prendre connaissance d'un témoignage qui est tout, sauf béat.



Halle Freyssinet, 15h30, les sympathisants de Dominique de Villepin sont bien présents, et en nombre. L'ambiance est à la fête, car c'est un événement de taille qui se prépare; le relaxé de Clearstream lance son parti politique aujourd'hui, sur fond de Madonna, Black Eyed Peas et Daft Punk.


Avant l'arrivée du leader du mouvement, le cadre est posé, l'heure est au rassemblement et à l'union; il s'agit d'être solidaire et de se battre pour l'égalité des chances. Selon les organisateurs, 3000 personnes étaient attendues, elles seront plus de 6000.


Après deux heures et demie d'attente, Villepin fait son entrée, fracassante, bruyante, et s'offre un bain de foule qui dure. Les premiers mots de son discours seront pour dévoiler le nom de son parti : «République Solidaire». Puis vient un enchainement d'idées telles que l'alternative, le vivre ensemble, la nation unie et la devise de la République si chère à son cœur, soutenu par de nombreuses références historiques : 1789, 1830, 1881, 1940 et De Gaulle bien sur.


Voilà pour le principe de base. Villepin, homme d'histoire et de politique, écrivain à ses heures, fait son grand retour et veut le faire savoir. Villepin : l'homme qui tombe à pic, le nouveau prophète, opposé à Nicolas Sarkozy. Son plan miracle : rassembler au dessus des partis, avec la création d'un mouvement neuf, indépendant et de mission; il veut réhabiliter la politique pour les orphelins de la République.


Il se déclare donc Président de ce mouvement ce qui provoque un tonnerre d'applaudissement et des «Villepin, Président !». A croire que de président de parti à Président de la République il n'y a qu'un pas facile à franchir. Ce serait assez illusoire de le croire pourtant Villepin, lui y croit. Son visage exprime la détermination, le courage mais aussi la satisfaction de voir tous ces gens réunis pour lui et il déclare avec force : «J'ai besoin de vous». A défaut d'élus...A la fin du discours, qui a duré plus d'une heure, la foule entonne la Marseillaise et les jeunes rejoignent Villepin sur la scène.


Un grand succès en apparence, mais que penser de la suite des événements ? Tout d'abord, Villepin est un gaulliste convaincu. Son discours s'il en était besoin, le confirme à plusieurs reprises, il veut un exécutif fort et des pouvoirs cloisonnés, entre autres.Pour lui, il faudra dix ans pour remettre la France sur pied, après la crise qu'elle traverse. Deux mandats de président donc ?


On peut effectivement se poser légitimement la question de son ambition. Il veut dire la vérité peut être même accabler la France pour faire peur, tout comme De Gaulle en son temps. Il annonce clairement son objectif de Président-sauveur du peuple : augmenter les impôts, supprimer l'ISF et le bouclier fiscal; garantir une Europe plus forte; faire baisser le chômage et augmenter la croissance. Pas un mot sur l'environnement ou presque. Villepin est un homme du concret, il veut la solidarité pour tous, trier les déchets pour sauver la planète, cela peut attendre.


On peut donc dire sans prendre trop de risque que Villepin se rêve Président d'une République qu'il voudrait solidaire en 2012. Mais en a t-il vraiment les moyens ? Pour ce qui est de la mobilisation et des moyens financiers il ne semble pas en douter. Mais dans quelle mesure va t-il réussir à s'imposer à la classe politique ? Qui sont ses soutiens ? La question reste en suspend.


Et le citoyen lambda ? A-t-il a cœur de voter pour un homme certes jeune, 56 ans, mais qui fonde ses idéaux sur un héritage gaullien et des références aux Lumières ? Pas si sur. D'autant plus, que le peuple est perdu. Perdu au milieu de tous ces partis qui émergent, à droite comme à gauche; perdu au milieu des personnages politiques qui passent d'un côté à l'autre de l'échiquier politique sans vergogne; perdu au milieu d'un flou politico-artistique vieux de plusieurs dizaines d'années et de gouvernements qui n'ont pas encore résolu les problèmes de fond.


Mais Villepin se voit comme l'homme de la dernière chance et de tous les possibles. Il rappelle, à l'image d'un De Gaulle, que malgré l'incertitude et les difficultés un espoir est possible, que malgré la faiblesse du pouvoir et de l'Europe un sursaut est possible. Et l'on peut ajouter que malgré son apparente absence de légitimité, il compte bien, se faire élire pour la première fois de sa carrière et sans passer par la petite porte.


Évidemment, Villepin est tout de même un politique, donc quelque peu mégalo. Que dire ensuite de la légitimité de son mouvement ? Et bien qu'entre un Front National en déroute et une UMP que même les plus fidèles boudent, il y a une place à prendre et que au fond, pourquoi ne pas satisfaire les déçus de l'effacement du gaullisme et les opposants farouches à la gauche. Si l'on peut compter sur sa détermination et son succès ? Nous ne le saurons qu'en 2012, aux prochaines présidentielles. Quoiqu'il arrive il faut saluer son courage et sa sincérité. Cependant, il faudra aussi suivre de près les nouvelles du procès en appel de l'affaire Clearstream, qu'il devra affronter et qui jouera, c'est indéniable, un rôle majeur dans la suite de son cheminement vers le poste suprême.

1 commentaire:

Robin Langlois a dit…

Bonjour,

Pour moi, Dominique de Villepin est un énième ersatz de la figure, chère à MM. Rémond et Grondeux) du politique "sauveur de la France". Après Gambetta, Clemenceau, Pétain, De Gaulle et Bayrou, voici arriver le nouveau héros de la République venu dépasser les clivages droite/gauche.
Son langage politique est on ne peut plus clair là-dessus : "Son plan miracle : rassembler au dessus des partis, avec la création d'un mouvement neuf, indépendant et de mission; il veut réhabiliter la politique pour les orphelins de la République".
Il s'agit de "rassembler" autour d'un "mouvement" (pas un "parti") à l'instar du général et de son RPF prévu pour défier la "République des partis" pour asseoir l'autorité de l'homme providentiel, "l'homme de la dernière chance" comme vous l'appelez. De Villepin est un clair produit de la Ve République pour cela aussi. Comme de Gaulle, il est l'homme de la traversée du désert qui, après un acte héroïque (la France Libre pour l'un, le discours à l'ONU de 2003 pour l'autre) s'est vu écrasé par un "système" (la IVe République ou l'UMP sarkozyste) mais qui doit être rappelé sur le devant de la scène par la force des choses, oserais-je dire par la Providence ? Selon moi, de Villepin ne fait que récupérer la geste gaulliste pour mieux appuyer sa différence avec Sarkozy. Mais comme vous l'avez dit, la droite de pouvoir gaulliste s'est effacé avec la fin du RPR pour se fondre dans l'union des droites de l'UMP. Comme l'a bien montré S. Berstein, la "culture politique gaulliste" s'est effacée dans une plus grande majorité, preuve quelque part que cette culture politique n'est plus une valeur fondamentale de la droite (ainsi de l'importance de l'UE aujourd'hui, aux antipodes de la pensée gaulliste). Au contraire, le gaullisme est devenu un bien commun de la Ve que la gauche revendique également (ainsi comme la France a réintégré entièrement l'OTAN, le PS a dénoncé la traîtrise de Sarkozy envers l'héritage gaulliste !). Par ailleurs, alors que de Gaulle a démissionné en 1946 bien qu'il ait été plébiscité en 1944-1945, ce qui l'aida à revenir en 1958, de Villepin a subi les foudres de la population (notamment avec le CPE) et ne possède donc pas cette image de sauveur qu'a pu incarner de Gaulle avec la crise algérienne.

Mon propos n'est pas de comparer continuellement de Gaulle et de Villepin mais d'essayer de montrer que de Villepin ne fait que ressasser un discours-valise, sans vraie proposition, pour essayer d'attirer l'électorat déçu de la droite libérale sarkozyste. La guerre des chefs type Ve République est bien là car, selon moi, la politique villepiniste serait très proche de celle du gouvernement actuel, le style en mois. Selon les instituts de sondage, il est crédité aujourd'hui d'environ 7-8%, qui, toujours selon moi, rassemble une bonne partie de la base de l'électorat de l'UDF/MoDem de 2002-2010 (et la faible manne du mouvement gaulliste Debout la République). De Villepin arrivera-t-il à faire une percée du type de Bayrou en 2007 ? Cela me paraît fort peu probable. Que de Villepin ait les 500 signatures (à l'opposée de Dupont Aignan en 2007, le précédent héraut du gaullisme), mais qu'il arrive au second tour en 2012, j'en doute fortement. Alors que Bayrou pouvait incarner un vent nouveau, n'ayant jamais eu de rôle ministériel décisif, de Villepin paraît bien trop attaché à l'UMP (il a été ministre en même temps que Sarkozy pendant tout Chirac II) et aux échecs politiques du chiraquisme. Bien qu'il essaye de se différencier de son ancienne majorité en se retranchant sur les bases du gaullisme, je doute qu'il puisse faire une percée comme l'UDF en 2007. Selon moi ce mouvement, comme le MoDem avant, fera "pschiiitt".