Gilles et Robin ont commenté mon dernier post en se complétant sans l'avoir projeté. Le premier pose la question du pessimisme, et le second voudrait savoir ce que je pense du projet d'interdiction du cumul des mandats, que la gauche française porte depuis longtemps sans avoir pu véritablement le faire aboutir.
Penser que la question du régime n'est pas réglée en France, penser même que nous avons un véritable problème de régime, c'est en partie donner un diagnostic pessimiste, puisque nous pouvons classer le régime au nombre des facteurs "structurels" qui déterminent fortement la vie politique française. Penser que nous avons un problème de régime, c'est bien sûr limiter les possibles à l'intérieur de ce régime, puisque c'est estimer que certaines réformes nécessaires, que certaines décisions courageuses ne pourront pas être menées ou prises à l'intérieur de nos institutions.
Le seul optimisme possible serait-il celui du révolutionnaire, version apocalyptique de la célèbre "politique du pire" : l'écroulement est nécessaire, fatal, il va engendre un "mieux inévitable", marchons donc sereinement vers l'avenir en prophétisant la nécessaire et féconde catastrophe? On aura compris que ce n'est pas mon optique.
Je crois que nous devrions chercher une voie étroite entre pessimisme et lucidité. Le révolutionnaire a en partie raison puisque tout blocage saute un jour ou l'autre. (Il a tort en ce qu'il s'en crée toujours de nouveaux.) Je la combinerais l'entremêlerais volontiers avec une autre voie étroite, pour nous dévider un fil d'Ariane : celle qui chemine entre la politique que nous rêvons et celle que nous pouvons faire ou favoriser. Sur le papier, je suis pour un changement de régime ; je pense que la Ve République version post-1962 est en bout de courses et que le rêve même du discours de Bayeux est inapplicable. Dans la pratique, je constate que si ce régime dure, tout en ne satisfaisant personne, c'est bien qu'il doit correspondre à quelques attentes, quelques besoins de la communauté nationale. Ce que je voudrais, c'est que l'on pose la question de nos institutions, que l'on poursuive le brossage entamé par la réforme constitutionnelle récente. Mais aussi qu'on laisse le temps aux réformes déjà faites de produire leurs effets, sous peine de rentrer dans la fébrilité bureaucratique que nous connaissons bien, qui conduit, comme dans l'Education nationale, à multiplier les réformettes irritantes sans plus savoir où l'on va.
La suppression du cumul des mandats, pure et simple, radicale, me paraît la plus intelligente des réformes à réaliser. Difficile sans doute autrement que par référendum, et à la suite d'une campagne présidentielle où elle serait annoncée. Elle favoriserait une bonne gestion des finances publiques : les députés qui prescrivent les dépenses ne seraient plus en même temps les représentants des communautés locales qui, bien souvent, en bénéficient. Elle conduirait à une prise en compte plus grande, face à l'exécutif central et dans les médias, des différentes assemblées : quand on n'a qu'un mandat à la fois pour construire sa carrière politique, on le valorise. Elle favoriserait enfin mécaniquement un renouvellement raisonnable de la classe politique.
Je ne vois pas d'inconvénient à cette réforme. L'enracinement du député me paraît un argument très faible, et je me suis étonné de voir Christophe Barbier, d'ordinaire si lucide, le défendre. En ce moment, c'est la nation qui n'est pas représentée, pas le Tarn-et-Garonne, l'agglomération liloisse ou la région Ile-de-France. Je pense que cette réforme, parce qu'elle donnerait une visibilité plus grande à tous les échelons de la vie politique, en engendrerait d'autres, et permettrait de mieux démêler l'écheveau des compétences entremêlées. On pourra préférer une démarche plus progressive que celle que je préconise : la direction m'importe plus que la vitesse.
Je sais que les élus n'y sont pas favorables, et c'est normal : le système actuel offre plus de sécurité. Tout groupe d'autre part a tendance à organiser sa propre clôture, quitte à ensuite clamer sur tous les chemins sa soif de diversité. J'insiste surtout sur le découplage entre le national et le local : de même que la construction européenne et la montée en puissance des organisations internationales supposent des objectifs nationaux clairement formulés, la décentralisation, même inachevée, rend plus que jamais nécessaire que des personnes se sentent investis de la représentation du pays dans son ensemble.
Penser que la question du régime n'est pas réglée en France, penser même que nous avons un véritable problème de régime, c'est en partie donner un diagnostic pessimiste, puisque nous pouvons classer le régime au nombre des facteurs "structurels" qui déterminent fortement la vie politique française. Penser que nous avons un problème de régime, c'est bien sûr limiter les possibles à l'intérieur de ce régime, puisque c'est estimer que certaines réformes nécessaires, que certaines décisions courageuses ne pourront pas être menées ou prises à l'intérieur de nos institutions.
Le seul optimisme possible serait-il celui du révolutionnaire, version apocalyptique de la célèbre "politique du pire" : l'écroulement est nécessaire, fatal, il va engendre un "mieux inévitable", marchons donc sereinement vers l'avenir en prophétisant la nécessaire et féconde catastrophe? On aura compris que ce n'est pas mon optique.
Je crois que nous devrions chercher une voie étroite entre pessimisme et lucidité. Le révolutionnaire a en partie raison puisque tout blocage saute un jour ou l'autre. (Il a tort en ce qu'il s'en crée toujours de nouveaux.) Je la combinerais l'entremêlerais volontiers avec une autre voie étroite, pour nous dévider un fil d'Ariane : celle qui chemine entre la politique que nous rêvons et celle que nous pouvons faire ou favoriser. Sur le papier, je suis pour un changement de régime ; je pense que la Ve République version post-1962 est en bout de courses et que le rêve même du discours de Bayeux est inapplicable. Dans la pratique, je constate que si ce régime dure, tout en ne satisfaisant personne, c'est bien qu'il doit correspondre à quelques attentes, quelques besoins de la communauté nationale. Ce que je voudrais, c'est que l'on pose la question de nos institutions, que l'on poursuive le brossage entamé par la réforme constitutionnelle récente. Mais aussi qu'on laisse le temps aux réformes déjà faites de produire leurs effets, sous peine de rentrer dans la fébrilité bureaucratique que nous connaissons bien, qui conduit, comme dans l'Education nationale, à multiplier les réformettes irritantes sans plus savoir où l'on va.
La suppression du cumul des mandats, pure et simple, radicale, me paraît la plus intelligente des réformes à réaliser. Difficile sans doute autrement que par référendum, et à la suite d'une campagne présidentielle où elle serait annoncée. Elle favoriserait une bonne gestion des finances publiques : les députés qui prescrivent les dépenses ne seraient plus en même temps les représentants des communautés locales qui, bien souvent, en bénéficient. Elle conduirait à une prise en compte plus grande, face à l'exécutif central et dans les médias, des différentes assemblées : quand on n'a qu'un mandat à la fois pour construire sa carrière politique, on le valorise. Elle favoriserait enfin mécaniquement un renouvellement raisonnable de la classe politique.
Je ne vois pas d'inconvénient à cette réforme. L'enracinement du député me paraît un argument très faible, et je me suis étonné de voir Christophe Barbier, d'ordinaire si lucide, le défendre. En ce moment, c'est la nation qui n'est pas représentée, pas le Tarn-et-Garonne, l'agglomération liloisse ou la région Ile-de-France. Je pense que cette réforme, parce qu'elle donnerait une visibilité plus grande à tous les échelons de la vie politique, en engendrerait d'autres, et permettrait de mieux démêler l'écheveau des compétences entremêlées. On pourra préférer une démarche plus progressive que celle que je préconise : la direction m'importe plus que la vitesse.
Je sais que les élus n'y sont pas favorables, et c'est normal : le système actuel offre plus de sécurité. Tout groupe d'autre part a tendance à organiser sa propre clôture, quitte à ensuite clamer sur tous les chemins sa soif de diversité. J'insiste surtout sur le découplage entre le national et le local : de même que la construction européenne et la montée en puissance des organisations internationales supposent des objectifs nationaux clairement formulés, la décentralisation, même inachevée, rend plus que jamais nécessaire que des personnes se sentent investis de la représentation du pays dans son ensemble.
4 commentaires:
la voie est étroite, c'est aussi celle qui sépare la politique comme profession et la politique comme action. Et donc je suis complètement d'accord sur le non cumul des mandats, qui favoriserait en outre un dialogue peut être plus constructif entre les divers échelons de notre démocratie (être le représentant de plusieurs institutions emboitées, c'est aussi s'interdire la critique, c'est être juge et partie !). Mais cela suppose aussi (c'est l'un de tes thèmes récurrents) de donner à l'action politique une signification autre, le service du bien commun ou de l'Etat, et non le service exclusif d'un intérêt partisan ou d 'une communauté de pensée. L'honnête homme (au sens voltairien) en politique est-il une chimère ?
« Sur le papier, je suis pour un changement de régime ; je pense que la Ve République version post-1962 est en bout de courses et que le rêve même du discours de Bayeux est inapplicable » : je suis de votre avis, Professeur. Qui ne l’est pas ?
Sauf que vous récusez pour ce faire la posture « apocalyptique », celle du révolutionnaire intégral dans laquelle je confesse me reconnaître POUR LE MOMENT (révolutionnaire qui, préciserais-je contre l’opinion commune aux conservateurs et aux libéraux, peut être sans illusion sur la nature criminogène des idéologies progressistes et de leurs vertueux avatars… De sorte qu'en lui le volontarisme consisterait précisément à déjouer les projets constructivistes engrenés à la fois par l'infrastructure technicienne et la structure de classe existantes – un beau sujet, non ?, ce renversement manifeste de l’alternative constructivisme/réalisme, cet indéniable changement de camp de « l’idéologie hardcore », sur lequel la lecture de Christopher Lasch me paraît essentielle).
Cependant, si nous changions de régime par des voies institutionnelles, qu'adviendrait-il ? Eh ben m'est avis qu'on reprendrait les mêmes, et qu'on repartirait pour un tour en roue libre ! Le texte signé serait différent, mais la signature resterait la même. Alors, en l’état actuel des choses, affublé du plus inapte sinon du plus immonde personnel politique que nous ayons jamais connu en France, peut-on faire l’économie d’une prise de la Bastille, avec exécution du Prince en place de Grève ? Libéral – « pessimiste lucide » –, vous postulez que oui.
« Dans la pratique, je constate que si ce régime dure, tout en ne satisfaisant personne, c'est bien qu'il doit correspondre à quelques attentes, quelques besoins de la communauté nationale. » C’est précisément la mission de tous les Christophe Barbier, et autres Alexis Brézet, de produire du déni optimiste et de la scolastique sentimentale. Ils sont les nouveaux aèdes – et il suffit d’avoir un peu fréquenté ces merdeux arrivistes pour comprendre à quel point ils sont inexcusables (là encore, pardonnez-moi de ne pas prendre pour argent comptant les déclarations d’intention… mais est-ce de ma faute si mon expérience professionnelle passée m’a permis de vérifier in extenso les dires de Balzac dans sa Monographie et de Bloy dans son Désespéré ?).
Professeur, je crois que vous rêvez ! Sortez de l’amphi et allez visiter la Courneuve, ou la Goûte d’Or à l’heure de la prière et des apéros laïques ! En réalité, et ça se comprend, PERSONNE NE VEUT PLUS DE CETTE RIPOUBLIQUE NIHILISTE, ni les Franchouillards, ni les Musulmans, ni moi d’ailleurs – ce hideux pantin de l’oligarchie nomade et du Capital apatride, logiquement devenue pot pourri de communautarismes haineux et prédateurs, machiavéleusement chapeautés par l’institution normalement chargée de les réprimer. Vraiment, où voyez-vous encore une « communauté nationale » – MRAP, SOS Racisme, CRIF, LICRA, HALDE, Indigènes de la République, Identitaires de tous poils, etc. : autant de « persécutés culturels » plus ou moins imaginaires que n’agglutine plus que leur mimétisme procédurier. C’est le fond du problème : que la non-appartenance volontaire d’en haut se soit même, par une sorte de capillarité maligne procédant de la lobotomisation médiatique non stop, prolongée d’une pulvérisation de la base. L’Etat se mue donc en juge de paix pour masquer son abdication normative et son impuissance fédérative – c’est-à-dire sa mort politique (notamment par euro-suicide).
(suite au prochain post...)
Dès lors, la fonction peut toujours se protéger, elle n’en fomente pas moins son propre renversement : lequel ne manquera pas d’intervenir lorsque la question des rivalités partielles et fantasmatiques ne suffira plus à masquer le drame économique indistinctement et majoritairement vécu (désindustrialisation de l’Occident organisée par les Elites, sans autre motif que leur avidité de loups et leur mondialisme de chien enragé). Ce qu’elle devine d’ailleurs avec affolement, comme en témoigne sa langue de bois ubiquitaire, découplée de toute réalité vécue et perçue.
« On pourra préférer une démarche plus progressive que celle que je préconise : la direction m'importe plus que la vitesse. » A priori tout le monde est d’accord, et votre proposition carrée de réforme est assez « révolutionnaire » sur le papier, comme en témoignent les réticences politiques. Mais, j’y insiste, quid du facteur humain ? En somme, une révolution « structurale », ferme ou douce, est-elle pratiquement possible en l’état actuel des choses ?
Je ne réduirais jamais la politique à la désignation de l’ennemi. Mais le régicide est, parfois, légitime défense. Bref, je peux me tromper, mais je crois bien que :
« Va falloir montrer les crocs
Avant qu'ils nous serrent la laisse
Autour du garrot ! » (Higelin)
Dès lors, la fonction peut toujours se protéger, elle n’en fomente pas moins son propre renversement : lequel ne manquera pas d’intervenir lorsque la question des rivalités partielles et fantasmatiques ne suffira plus à masquer le drame économique indistinctement et majoritairement vécu (désindustrialisation de l’Occident organisée par les Elites, sans autre motif que leur avidité de loups et leur mondialisme de chien enragé). Ce qu’elle devine d’ailleurs avec affolement, comme en témoigne sa langue de bois ubiquitaire, découplée de toute réalité vécue et perçue.
« On pourra préférer une démarche plus progressive que celle que je préconise : la direction m'importe plus que la vitesse. » A priori tout le monde est d’accord, et votre proposition carrée de réforme est assez « révolutionnaire » sur le papier, comme en témoignent les réticences politiques. Mais, j’y insiste, quid du facteur humain ? En somme, une révolution « structurale », ferme ou douce, est-elle pratiquement possible en l’état actuel des choses ?
Je ne réduirais jamais la politique à la désignation de l’ennemi. Mais le régicide est, parfois, légitime défense. Bref, je peux me tromper, mais je crois bien que :
« Va falloir montrer les crocs
Avant qu'ils nous serrent la laisse
Autour du garrot ! » (Higelin)
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