lundi 24 novembre 2008

La politique du pire...


À la suite d’un mouvement amorcé par l’antifascisme des années 1930 et amplifié par la Libération, le monde intellectuel français a son centre de gravité à gauche. Il suffit de fréquenter les milieux universitaires pour s’en rendre compte. Si l’on prend en compte cet état de fait, rien de ce qui se passe au PS n’est indifférent pour l’avenir du pays. Il est tout à fait possible qu’un jour la droite modérée retrouve une fécondité intellectuelle suffisante peser fortement dans la vie intellectuelle, mais elle n’en est pas là.
Ainsi, le débat entre libéralisme et socialisme s’est joué largement, à partir des années 1970, au sein de la gauche modérée, alors même qu’il se nourrissait largement des analyses de Raymond Aron, qui avait rompu avec la gauche en 1947. Le parti socialiste, quand bien même le débat idéologique n’y a pas été spécialement fourni depuis vingt ans, se trouve occuper le lieu où toutes les contradictions, tous les non-dits du paysage idéologique français peuvent éclater. On l’a vu avec la campagne du référendum de 2005.
Cet arrière-plan éclaire la situation actuelle. Elle est la pire qui puisse être. Si Ségolène Royal l’avait emporté d’une courte tête, la victoire aurait quand même été incontestable, car elle se présentait seule contre tous les autres leaders. La moitié du parti l’ayant soutenu, elle pouvait obtenir des ralliements d’une opposition fragmentée et idéologiquement incohérente (fabiusiens, « delanoïstes, » « hamoniens »…), certains leaders étant contraint de suivre une partie de leurs troupes. Une victoire nette (au moins 55%) de Martine Aubry cantonnait les « royalistes » dans une situation de « forte minorité », et les obligeait à quelques accommodements. Ajoutons que l’opacité de certaines fédérations rend tout vote serré très problématique… Mais toute formation qui a un fonctionnement démocratique prend le risque du 50/50. De même, je ne suivrai pas l’indignation feinte et démagogique de nombre de commentateurs, du type : « le PS s’occupe de ses problèmes internes au lieu des vrais problèmes des Français », « les questions de personne ont pris le pas sur les questions de principes »… dire tout cela, c’est à mon sens réactiver la vieille culture de l’antiparlementarisme, et ignorer ce qu’est un parti politique : un lieu où s’organise la compétition politique. Le PS lui-même a involontairement alimenté cela en affectant de placer au second plan la question des personnes. C’est bien connu, qui fait l’ange fait la bête…
Dans le cas de figure idéal, aux personnes correspondent des programmes et des équipes s’apprêtant à les mettre en œuvre. Et aussi des orientations stratégiques. L’aspect très « personnel » de Ségolène Royal (mais il est difficile de se frotter à la compétition présidentielle si on n’est pas un peu autocrate et un peu mégalomane, c’est un des vices à peine cachés de notre système), l’aspect « coalition contre » du camp « aubryste » ont sans doute brouillé le débat, alors même que la question stratégique était réduite à celle d’une éventuelle alliance avec Modem, sans doute moins cruciale et au fond moins clivante que celle de la stratégie politique à observer face à Olivier Besancenot. En outre, les personnalités en lice ont joué : Ségolène Royal paraît s’estimer confirmée dans son originalité mystico-charismatique par la campagne présidentielle, et le « profil bas » ou le changement de style (l’habile autant que fictionnel « j’ai changé » de Nicolas Sarkozy en 2007) ne sont pas dans son programme ; cela peut rendre plus difficile les ralliements. Martine Aubry traîne comme un boulet la loi des 35 heures, que plus personne ne défend économiquement et (plus important sans doute pour les militants socialistes) qui est liée au désastre de 2002. C’est l’affrontement Delanoë/Royal qui était attendu… Seule une minorité de militants a voté dans l’enthousiasme, et cela compte en politique…
Mais tout cela mis à part, c’est un choix clair par rapport à la cinquième république qui était proposé. Le PS, après trois défaites consécutives aux présidentielles, et alors même qu’il accepte majoritairement la logique des institutions (difficile de remettre en cause l’élection à laquelle les Français sont le plus attachés comme d’en minimiser les conséquences dans un vieux pays monarchique), va-t-il adapter son organisation interne à notre régime ? Cette adaptation est-elle possible sans changer profondément le fonctionnement du parti ? C’est bien sur ces questions que les militants socialistes sont divisés. Et il n’est pas scandaleux qu’ils le soient, malgré les clameurs qui s’élèvent de toute part. Ce vieux pays monarchique est aussi un pays qui renferme beaucoup de républicains. Ils sont particulièrement nombreux au centre gauche et au centre droit. Ils sont coincés entre les monarchistes inavoués de diverses variantes et les révolutionnaires (on peut être révolutionnaire sans révolution, il suffit de se renfermer dans la contestation), et laminés par la bipolarisation post-1962. Mais ils sont là…
Si le parti socialiste doit se rénover, ce sera à la condition que quelqu’un, à la tête d’une équipe, puisse proposer une adaptation de ce parti à la contrainte institutionnelle tout en garantissant un minimum de fonctionnement démocratique. Aucun parti n’a réussi à le faire depuis 1962. Mais personne n’a intérêt à l’échec ou à l’éclatement du PS ; j’y insiste, parce que la tentation est forte à droite de chercher à faire avec Olivier Besancenot ce que certains dirigeants socialistes ont fait avec le Front National. C'est-à-dire : favoriser sa montée pour bloquer l’alternance. On oublie dans ces milieux que le NPA aura des répondants syndicaux et une capacité de blocage que le Front National n’avait pas, sans parler de son influence culturelle. Et que l’affaire, pour le Parti socialiste, s’est terminée en 2002, avec un candidat du FN passant devant le sien. En politique comme ailleurs, la politique du pire donne toujours le même résultat : le pire…

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je lis : "À la suite d’un mouvement amorcé par l’antifascisme des années 1930 et amplifié par la Libération, le monde intellectuel français a son centre de gravité à gauche."
Me voilà déjà bien surprise, et je continue...
" Il suffit de fréquenter les milieux universitaires pour s’en rendre compte."
... êtes-vous bien sûr que nous fréquentons bien le même Paris IV? Est-ce que le votre se situe sur terre?

Plus sérieusement, j'imagine évidemment que votre analyse - se basant sur vos axes de recherche et votre expérience dans ce domaine - est bien plus fondés que mes vagues impressions.
Mais du coup je ne regarderai plus jamais les collègues, pleurant la défunte présidence de Jean-Robert Pitt, de la même façon ("alors en fait ils sont de gauche eux aussi! Ah ils cachent bien leur jeu").

Jérôme Grondeux a dit…

Le "centre de gravité" n'est pas la totalité. La droite est plus représentée à Paris IV que dans les autres facs d'histoire, mais sur l'ensemble des personnels collège A + collège B elle est minoritaire (elle reste sans doute majoritaire dans le collège des professeurs). Je serais personnellement terrifié (comme vous sans doute) par une fac monocolore, de quelque camp qu'elle se réclame.
Pour l'analyse sur le centre de gravité, elle est reprise des travaux de Jean-François Sirinelli.
Par contre, je crois qu'il ne faut pas confondre "de gauche" et "non réactionnaire". Il me semble que l'optique réactionnaire prédomine dans les différents camps, sous forme d'une hostilité profonde au monde comme il va.
Merci de votre commentaire, chère collègue, et continuez vos investigations - et vos commentaires.

Anonyme a dit…

"Je serais personnellement terrifié (comme vous sans doute) par une fac monocolore, de quelque camp qu'elle se réclame."

Enfin tout de même, dans certains UFR, on approche la teinte monochrome!
Je crois que la diversité est surtout apportée par la « jeune garde » des MdC et ATER plus hétérogène politiquement, car déconnectée des brouilles soixante-huitardes.

D’autre part, je comprends tout à fait ce que vous voulez dire par « ne pas confondre "de gauche" et  "non réactionnaire"» , et si l’on applique cette considération au milieu universitaire une fois encore, les collègues enseignants-chercheurs qui défilent ces derniers jours sont accusés d'être "réactionnaire" car refusant la réforme en cours... sans entrer trop en détail dans l'actualité brulante, il me semble que c'est plus généralement un qualificatif que l'opinion publique affecte bien souvent au corps enseignant dans son ensemble (car réputé pour refuser systématiquement toute réforme, qu’elle vienne de droite ou de gauche).
Je ne saurai dire si l'optique réactionnaire ou une hostilité profonde aux évolutions du monde dominent bel et bien l'esprit des enseignants. Le discours "tout se dégrade, tout va mal" est traditionnel lors des réunions d'harmonisation en fin de semestre mais est-ce par pure esprit réactionnaire ou plutôt un moyen de se voiler notre impuissance face aux nouvelles générations d'étudiants, arrivant avec d'autres difficultés mais aussi d'autres acquis que les précédentes.

Jérôme Grondeux a dit…

Il est très beau, ce commentaire. Et il y a beaucoup de choses que je partage dans ce que vous dites : la valeur du pluralisme, bien sûr, on le sentait dès votre première intervention. Toujours menacée par ce conformisme que sécrètent tous les groupes.
Je suis d'accord avec vous sur la "jeune garde". Ceux qui n'ont pas vécu le clivage soixante-huitard et la guerre civile mimée des années 1970. Et qui ont peut-être une possibilité plus grande de s'entendre malgré les différences et parfois même grâce à elles.
Reste la question du "réactionnaire". Elle est redoutable et je crois que vous venez de m'inspirer un sujet de blog.. Je m'y mets tout de suite.
Merci encore