dimanche 30 novembre 2008

Aimer la politique


Aimer la politique, c’est aimer la décision, l’incertain, le risque, le tâtonnement même… Les grands schémas du XIXe siècle, libéralisme et socialisme, étaient cependant assis sur une volonté, née d’une partie de la philosophie des Lumières : rationaliser la politique.
Le socialisme a basculé dans le mythe pendant toute une partie de l’histoire contemporaine, et nous ne savons pas encore s’il va être capable de produire autre chose : si oui, il aura toute sa place dans les démocraties de demain, sinon, il se fondra dans un libéralisme de gauche égalitaire (sur le modèle du radicalisme anglais du XIXe siècle) en laissant derrière lui des résidus contestataires sans projet. Quand je dis « nous ne savons pas », c’est une vraie interrogation, une question d’historien qui regarde vers le futur… Rien ne dit que la pensée socialiste ne recèle pas des potentialités « réactivables ».
Le libéralisme oscille quant à lui entre un système complet (version Hayek) et un pragmatisme politique dont Montesquieu a fourni le premier exemple.
Dans le premier cas, il tend à construire un système clos, qui évacue la politique réelle, tout comme le socialisme l’évacuait quand il attendait tout d’une hypothétique révolution, guetteuse inlassable tapie dans le futur. L’État réduit à un cadre légal, spectateur impassible, ou l’État qui ne sait pas trop quoi faire dans le présent, mais qui, un jour fera tout… cela revient au même.
Dans le second cas, le libéralisme est sensibilité au pluralisme, aux mouvements de la société, à la vie quotidienne, à l’indispensable oxygène de la liberté… Ce que le libéralisme garde d’inépuisable fécondité, à mon sens, c’est un sens des limites du politique, limites obligées et limites souhaitables… et une méfiance irréductible face à toutes les quêtes effrénées de consensus.
Mais il y a de la place à l’intérieur des limites. Il y a l’espace propre, irréductible, du politique. De ce choix permanent des priorités, de cet État qui essaie d’incarner l’intérêt national (ou le bien commun, comme on voudra…), qui accompagne ou contrebalance les évolutions spontanées de la société. Et toutes les discussions à partir de chacun des choix opérés par les gouvernants. Il y aussi cette lutte pour la conquête du pouvoir, ce choc incessant des personnalités et des valeurs (simplement invoquées ou sincèrement vécues). Que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? Dès qu’on en discute, même sur un zinc, on fait de la politique.
Aimer la politique, c’est aussi aimer que les choses ne soient jamais comme on s’y attendait, être prêt aux échecs, aux déceptions dans ce que Max Weber appelait le « combat des dieux ». C’est pourquoi tous les « déçus de la politique », qui nous assomment de leurs leçons de morale et de leurs phrases d’imprécateurs, laissent une impression de vide. Ils sont sur la grève, ils ne sont plus dans cette histoire. Ils nous bloquent parce qu’ils ont acclimaté dans notre pays une attitude que je rencontre maintenant partout, y compris dans mon milieu professionnel : nombre de nos contemporains n’approuvent plus une action, une loi, une mesure, que s’ils sont à 100% d’accord avec l’ensemble du texte. Ils ne sont prêts à marcher qu’avec eux-mêmes, mais sont disponibles pour pétitionner avec tous les opposants…
Ici, les universitaires auraient du travail à faire : apprendre à prendre du recul, à démêler le bon grain de l’ivraie, à exprimer parfois des jugements balancés sans renoncer à conclure dans un sens ou dans l’autre. Cette loi, cette mesure, cette décision, va-t-elle pour moi dans le bon ou dans le mauvais sens ? On pourrait à partir de cela même lire les imprécateurs les plus terribles, les révolutionnaires les plus absolus, les réactionnaires les plus fanatiques, et dominer tout cela parce que l’on est prêt à prendre et à en laisser. Parfois, nous laisserions tout, mais après examen !
Les « grands politiques » que j’ai pu étudier (Thiers, Gambetta, Ferry, Clemenceau, de Gaulle, Pompidou…), ou ceux qui sans être de grands politiques, on pu peser un temps (Jean Jaurès, Poincaré, Giolitti, Stolypine, Jean Monnet, Paul-Henri Spaak…), ou même les grands observateurs comme Raymond Aron me paraissent avoir un point commun dans la manière dont ils articulent ce qu’ils souhaitent (la politique rêvée) et les contingences et nécessité de la situation présente (la politique réelle). C’est ce qui les distingue de lot des purs opportunistes ou des sectaires plus ou moins violents. On peut être en désaccord avec eux, mais on peut toujours reconstituer leur analyse et en saisir la cohérence, s’appuyer même sur cette cohérence pour envisager d’autres choix et d’autres analyses. Il n’y a qu’ainsi que l’on peut envisager la politique sans s’en dégoûter.
Il y a un vrai plaisir de l’analyse politique, de la discussion politique, et j’ose dire que c’est un plaisir utile. Nous avons besoin d’intellectuels qui soient des médiateurs, d’une communauté dans le recul. Qui instillent, si faire se peut, du calme et du pluralisme. Nous avons donc du pain sur la planche…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bel élan !