Depuis la fin des années 1980, le thème de la réforme, et de la réforme difficile, est devenu une sorte de tourment inconscient des Français. On sait qu'il faut des réformes, on sait qu'il faut "s'adapter", on aimerait bien que quelqu'un s'en occupe sans avoir à y participer... Le changement fait vite peur, dès lors qu'il n'est pas porté par une espérance. Le radicalisme des conversations de café tourne vite au découragement. Et chaque réforme proposée se heurte à deux objections : 1)"Ce n'est pas la bonne réforme", disent ses adversaires, le plus souvent ceux qui sont lésés dans leurs intérêts 2) "Ce n'est qu'une demi-réforme", disent les spectateurs, en général ceux dont les intérêts ne sont pas directement remis en cause.
Eh oui, les réformes d'adaptation sont les plus difficiles à "faire passer" politiquement. D'où la résurgence, depuis 30 ans, d'un vieux discours. C'est la faute du pays. Ce pays qui ne saurait pas faire des réformes, mais des révolutions, qui serait incapable de s'unir autour de solutions pragmatiques. Trop fougueuse pour les uns, la France serait aussi trop fragile pour les autres. C'est ce que Jacques Chirac en était venu à penser ; il fallait avant tout rassurer, protéger... d'où le discours à la fois méprisant et doloriste que l'on nous sert depuis pas mal d'années.
Les Français ? avant tout des victimes, de pauvres êtres désorientés dont il faut calmer les peurs. Des gens dont on n'attend plus qu'une vague confiance faite d'une grande part de lâcheté, ou bien de grands enfants auxquels on annonce, comme durant la campagne de 2012, qu'on va "réenchanter le rêve français". Non seulement il s'agit de rêve et d'enchantement, quand nous sommes tous les jours face au réel, mais en plus on nous le dit : on va nous faire rêver, on va nous enchanter la réalité. Avouer aux citoyens qu'on leur vend du rêve est, au fond, une chose terrible.
Pour ceux qui pensent que les Français sont des adultes, la vraie question est de savoir ce qu'on nous propose sous nom de "réforme". Le terme n'est-il pas devenu lui-même un fétiche, un outil pour cliver à la hâte la nation entre "réformateurs" et "conservateurs" et donner à croire que l'on change tout alors qu'on ne fait pas vraiment évoluer les choses ?
La Fondapol diffuse actuellement une petite brochure des plus intéressante. Elle est signée par Pierre Pezziardi, Serge Soudoplatoff et Xavier Quérat-Hément et s'intitule (assez longuement) Pour la croissance, la débureaucratisation par la confiance. Mieux, plus simple et avec les mêmes personnes. Un titre qu'on croirait surgi de l"époque moderne ou du XIXe siècle, quand les titres ressemblaient à des banderoles ou à des quatrièmes de couverture.
Son contenu m'a donné à penser. Il s'agit d'une critique du modèle managérial élaboré des années 1940 aux années 1960, où pour répondre à un problème, on cherche à rationaliser a priori l'ensemble d'un système. Ce qui conduit tout à la fois à l'alourdir, à restreindre l'autonomie des personnes et à générer de nouveaux dysfonctionnement qui eux-mêmes rendront nécessaire une refonte...
Les auteurs pensent plus utile de guetter les points de dysfonctionnement, les goulots d'étranglement, d'inventorier les mécontentements de tous les acteurs (agents et usagers), et de proposer des solutions ponctuelles en laissant les plus d'initiative possible à ceux qui se trouvent sur le terrain. Leur idée est que la réforme ne peut pas venir exclusivement d'en haut, dans la mesure où les dirigeants ont généralement intériorisé toute la contrainte bureaucratique (j'avais avancé un point de vue similaire pour la réforme de l'Etat qui à mon sens ne pouvait sortir de la haute fonction publique http://iphilo.fr/2013/10/31/de-lutopie-republicaine-retrospective/)
La vraie réforme n'est pas la "refondation" ni forcément la "refonte globale" quand il s'agit non pas de créer, mais d'adapter. Elle est une démarche pragmatique qui isole les points à régler et assouplit au lieu de remplacer un système rigide pas un autre. Il paraît clair que cette démarche-là, politiquement, est plus vendable parce qu'elle évite la dramatisation des enjeux, qui peut être une nécessité politique, mais dont il ne faut se servir qu'avec mesure, car elle s'use rapidement.
Vous aurez compris mon scepticisme, de ce point de vue, relativement à la "refonte globale" annoncée de notre fiscalité. Prévue dans un délai ultra court, tout de suite négociée avec les partenaires sociaux, bien accueillie en principe (et uniquement en principe) dans l'opinion tant qu'elle reste sur le papier car chacun peut encore espérer qu'il y gagnera, je pense qu'elle se bornera à quelques mesurettes choisies non pas pour régler des problèmes précis, mais pour faire penser que l'on a mis en oeuvre une "vraie" réforme.
Le véritable enjeu, aujourd'hui, c'est de réformer des systèmes complexes. Et si le meilleur outil pour cela était une certaine modestie, une bonne dose de pragmatisme et le respect des acteurs de terrain ?
3 commentaires:
Bonjour. De ce point de vue, que pensez vous de la LOLF, à laquelle vous semblez penser sans oser dire son nom?
Bonjour,
On peut adhérer à une bonne partie du diagnostic, notamment sur la crise du management. Mais les réponses demeurent celles qui sont véhiculées dans les discours depuis bien longtemps en sciences de gestion et on a pu en voir les dévoiements et les conséquences directes sur le travail. Je rappelle en outre que la partie émergée de la fameuse RGPP, à travers des opérations "lean"a tenté d'acclimater ce type d'approches avec des bonheurs divers en tribunaux et préfectures... Ce qui s'est passé dans l'Etat ces derniers temps ne s'est pas et, à bien des égards, c'est heureux, limité à l'instauration d'un pilotage par les coûts. Il y a aussi eu des expériences managériales. Qu'elles aient souvent mal tourné ou tourné court montre avec quelle précaution il faut traiter les mots d'ordre souvent instrumentalisés et réifiés dans des instrument de gestion qui ne font qu'armer encore davantage le système bureaucratique qu'ils devaient assouplir.
@Anonyme Je ne pensais pas spécifiquement à la LOLF mais à l'éducation nationale où l'on n'assigne d'objectifs à personne tout en prétendant régenter l'ensemble de la pratique pédagogique, alors que l'inverse serait préférable.
@Stavroguine : vous avez raison, tout dépend de qui définit les objectifs et du réalisme de ceux-ci.
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