mercredi 19 octobre 2011

Un piètre baroud d'honneur


Souvenir des années 1970 et 1980… l’ambiance politique était plus proche de la guerre civile qu’aujourd’hui. Les gens de droite et de gauche avaient du mal à se parler, et, collégien, puis lycéen et étudiant, je n’avais pas encore abordé ces milieux où l’on peut se parler tranquillement entre sensibilités différentes, sans chercher à se convaincre où à remporter je ne sais quelle victoire fictive devant un auditoire promu malgré lui au rang d’arbitre.

Souvenir d’une gauche au pouvoir décevante après 1981, dont, finalement, on ne pouvait pleinement saisir et approuver l’évolution au pouvoir que de l’extérieur, tant elle était imposée par la dure réalité, par la résistance du réel à l’idéalisme inconséquent. D’une embardée à l’extrême gauche pour pouvoir prolonger la fidélité au mythe, et puis d’un ralliement à la droite modérée.

La droite républicaine de l’époque avait bien des défauts, mais elle me paraissait moins sectaire, moins assurée de son bon droit, moins persuadée d’être le « parti des gens bien » que la gauche d’alors. Il y était alors plus facile d’être modéré, libéral au sens le plus profond du terme, de s’intéresser au « camp d’en face », à son évolution. Alors même que la gauche découvrait enfin Raymond Aron, on l’y appréciait depuis longtemps. Pour un intellectuel, il semblait y avoir là plus de liberté, plus de souplesse, plus de relativisme, quand bien même les leaders y étaient souvent décevants.

Des ponts intellectuels s’y tissaient avec le centre gauche, qui redécouvrait le patrimoine démocratique et si bien sûr, comme dans tous les camps, il y avait une arrogance, celle-ci semblait justifiée par la longue lutte contre le communisme, qui semblait encore redoutable sur le plan international alors qu’il achevait de se déliter.

Bref, on pouvait se montrer modéré et large. J’ai l’impression aujourd’hui que ce temps n’est plus.
Le feu d’artifice de Nicolas Sarkozy, qui a commencé par rassembler toutes les sensibilités de la droite républicaine pour les jeter dans une action confuse, même si ici ou là elle n’est pas sans mérite, a eu sur ce milieu un effet délétère que nous mesurons aujourd’hui.

Face au succès (il faut bien commencer par le dire !) des primaires socialistes, qui investissent largement après un débat de bonne tenue un candidat que l’on aura du mal à faire passer pour un dangereux révolutionnaire ou un irresponsable, on attendait une autre réaction de l’UMP.

Aurait-il été si compliqué de dire en substance : « Nous nous réjouissons de voir que la gauche de gouvernement a pu débattre, désigner son candidat, mobiliser son camp, parce que nous aimons la démocratie. Nous félicitons François Hollande de sa victoire. Il est bon pour nous, et pour le débat politique à la qualité duquel nous sommes attachés, d’avoir face à nous un candidat de qualité. Demain commence une nouvelle étape : nous allons débattre projet contre projet, et faire valoir contre lui nos arguments » ?

Les réactions hargneuses, et, pour tout dire, sans fair play ni classe, de Jean-François Copé ou de Christian Jacob, la réaction crispée de François Fillon, l’attaque sur le champ et sans contre-proposition du projet socialiste, la reprise sans vergogne des attaques de Martine Aubry contre François Hollande, tout cela est pitoyable. Réaction de mauvais joueurs, d’enfants jaloux, d’entêtés qui ne peuvent se résoudre au démenti de leur prévision d’une primaire catastrophique pour le PS.

Complaisance sectaire dans le négatif, tout en expliquant le projet présidentiel n’est pas encore au point, attaque prématurée et contreproductive… tout cela donne une impression de vide idéologique et de fébrilité. Quitte à être antipathiques, il faudrait au moins être efficaces.

Mise en ordre du bilan, édification de nouveaux projets, définition d’une ligne pour la campagne ; si l’on n’a pas fait tout cela, il ne reste qu’à taper sur le « camp d’en face ». Mais qui cela peut-il convaincre ?

La droite républicaine ne peut exister que si elle incarne un certain réalisme, le souci de l’unité nationale et le respect pour les institutions qui garantissent le libre débat dans le pays. Cela n’est praticable qu’en avançant ses propres propositions. Même ainsi, la défaite est possible, et même probable. Mais pourquoi anticiper celle-ci en se jetant dans une offensive de mauvaise foi, désespérée et inopportune ?

La droite d’aujourd’hui devient progressivement irrespirable pour les modérés qui n’y pèsent plus et n’arrivent même plus à inspirer aux débats une tonalité apaisée. Émiettés, sans candidat crédible, qu’ont-ils à faire dans une campagne qui s’annonce nauséabonde ?


lundi 10 octobre 2011

9 leçons de la primaire

La première : la mobilisation est indéniable et réjouissante : les électeurs sont au rendez-vous quand on leur demande de s’informer en suivant les débats et de prendre parti entre divers candidats.

La seconde : jusqu’à présent, les candidats ont montré un respect mutuel qui donne une image positive de la politique comme échange d’arguments, et leur performance indique que la gauche a un bon réservoir de leaders de qualité.

La troisième : il faut aller chercher l’électeur, proposer, aller de l’avant et prendre des risques ; l’abstention prudente et bonhomme de François Hollande lors de ces débats ne lui a pas profité.

La quatrième : sans doute, deux millions d’électeurs et demi, c’est un succès. Cependant, 5% du corps électoral, c’est assez peu par rapport à l’ensemble de l’électorat et même de l’électorat de gauche. Si le résultat du second tour et serré, l’investiture apparaîtra tout de même assez maigre.

La cinquième : l’électorat qui s’est déplacé n’a pas permis de surmonter les clivages socialistes, et de ce point de vue la primaire n’est pas une formule magique. Les socialistes restent divisés entre les tenants de l’ « à gauche toute contre la mondialisation » (le camp du « non » de 2005), les identitaires qui pensent que le PS peut rester sur les fondamentaux de l’ère Jospin, et les sociaux-libéraux qui estiment que la mondialisation implique une modification des politiques publiques. On aura reconnu les lignes Montebourg (peut-être Montebourg-Royal, Aubry et Hollande-Valls).

La sixième : les primaires n’ont pas permis une mise à jour du programme socialiste et ne sont pas le lieu où l’on peut proposer des mesures neuves. Chacun y joue sa partition, avec certains effets de surenchères (les méchantes banques, par exemple). Rien ne garantit donc que le plus de démocratie améliore mécaniquement l’offre politique.

La septième : les sociaux-libéraux et les identitaires ne doivent pas surestimer l’adhésion qu’ils ont reçue. En grande partie, celle-ci provient d’une promesse de victoire brillant au front de leurs candidats, victoire contre Nicolas Sarkozy. En cas d’investiture et de victoire, l’élan de l’opinion vers eux sera peu durable et peu solide.

La huitième : si Arnaud Montebourg avec succès et Manuel Valls avec peu de réussite ont su délivrer un discours clair, les deux principaux candidats n’ont jusqu’à présent proposé aucune nouvelle mesure saillante ; Il est difficile de dire si c’est faute d’en avoir élaboré avec leur entourage ou s’ils les tiennent en réserve pour le second tour ou pour la vraie campagne présidentielle.

La neuvième : la primaire ne remplace pas le travail au sein des partis politiques ; le programme socialiste, avec son sérieux et ses limites, est resté la base sur laquelle les deux leaders ont travaillé. L’inconvénient et qu’il était synthétique, quand bien même il marquait une intégration par le PS de la culture de gouvernement.

dimanche 9 octobre 2011

Un succès démocratique et ses limites

La démocratie se nourrit de la participation citoyenne et des débats d’opinion. De ce point de vue, la mobilisation de l’électorat de gauche autour des primaires socialistes est encourageante. Mais s’en tenir à cet aspect des choses, c’est n’avoir de la démocratie qu’une vision enchantée, c’est-à-dire postuler que de la mobilisation des citoyens, de la montée du débat et de la volonté d’engagement, les solutions aux problèmes de l’heure vont surgir miraculeusement.

Cette vision est celle de ceux que l’on appelle les « indignés » : d’une démocratie « réelle », donnant aux citoyens le maximum de pouvoir et d’initiative, surgiront des solutions à la crise économique et financière que nous traversons. Le « peuple », dès lors qu’il pourra s’exprimer pleinement, saura résoudre les questions qui nous hantent… ce que croyaient les démocrates enthousiastes des années 1840.

Il me semble que le vécu des démocraties européennes qui ont, pour les plus anciennes, commencé de s’installer au dix-neuvième siècle, suggère une autre vision. Les démocraties apparaissent bien davantage comme les régimes où les initiatives des gouvernants se heurtent au maximum de résistance possible de la part de la population. Grèves, manifestations, alternances politiques, pétitions sont autant d’indication d’une force de résistance de la société civile face à ceux qui la gouvernent, volonté de résistance qui parfois permet d’améliorer ou de rendre praticables les réformes nécessaires.

Quand on demandait à Georges Clemenceau ce qu’était pour lui la démocratie, il disait que c’était le régime où les « initiatives d’en haut » étaient comme « filtrées » par l’opinion pour se convertir en « directives » acceptables par la majorité. Cette vision nous incite à ne pas nous borner à la demande politique, mais à nous tourner aussi vers l’offre politique.

Pour qu’une démocratie fonctionne, pour que le régime politique démocratique parvienne à répondre aux difficultés de l’heure, il faut que l’opinion, qui s’exprime par de multiples canaux, puisse prendre appui, pour les faire prévaloir, pour les infléchir, pour les enrichir ou pour les contester, sur des directives claires.

C’est précisément ce qui manque dans les débuts de la campagne présidentielle de 2012. Les offres politiques claires se trouvent pour l’instant chez ceux qui n’ont soit aucune chance d’être élus, soit aucune chance de devenir candidats : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, et, parmi les « candidats à la candidature » socialistes, Arnaud Montebourg et Manuel Valls.

On excusera le rapprochement qui peut sembler étrange. Mais nul ne sait ce que sera le programme de Nicolas Sarkozy, tandis que les deux principaux prétendants socialistes se sont réfugiés, pour l’essentiel, dans des vues synthétiques, vagues et peu novatrices. Le retrait de Jean-Louis Borloo découle aussi de l’absence d’une perspective claire – et Dominique de Villepin comme François Bayrou en restent à des considérations d’une extrême généralité.

Si la démocratie se nourrit de l’investissement des citoyens, elle ne peut se passer d’un discours politique structuré et clair, et qui ne s’en tienne pas à un simple diagnostic, de la part de ceux qui prétendent à la diriger. Rien n’indique, pour l’instant, que 2012 permettra d’avancer vers des objectifs clairs et cohérents.

dimanche 2 octobre 2011

Déliquescence du centre

Le retrait de la candidature Borloo relève de déterminants à la fois personnels et collectifs.

Personnels, tout d'abord : les centristes vivent actuellement ce que les souverainistes ont vécu de manière chronique. Ils se sont engagés derrière un leader qui n'a manifestement pas la force de caractère, et la capacité à prendre des risques, qui permettent à un homme politique de s'imposer. Les qualités intellectuelles, discursives, humaines de Jean-Louis Borloo, son expérience n'ont pas suffi. Sa capacité à tenir un discours véritablement centriste, et à initier l'éventuel ralliement d'écologistes modérés non plus.

Il ne suffit pas d'avoir un profil. Il faut être prêt à se lancer, y compris quand les temps sont "troublés". Et il faut se sentir responsable de ceux qui se mouillent pour vous, de ceux qui ont pris le risque de se situer, de s'éloigner de leurs amis pour vous suivre.

Les déterminants collectifs ne sont cependant pas à négliger : les centristes demeurent des leaders sans troupes, et cumulent les réseaux de notables inorganisés. Ils n'ont pas travaillé ni vraiment renouvelé leurs thèmes centraux : le libéralisme politique, le "social" (oui, mais comment ? Il semble que la question soit considérable), l'Europe (le souhait de "plus de fédéralisme", à mon sens, ne suffit plus), et la question des alliances n'a pas été suffisamment explicitée.

Je pense que ces déterminants collectifs peuvent servir de base à tous les renoncements.

Maintenant, le retrait de Jean-Louis Borloo va-t-il profiter à Nicolas Sarkozy ? Rien n'est moins sûr. Toute une partie de l'électorat de droite modérée est orphelin. Il aura du mal à se rallier à un autre candidat de gauche que Manuel Valls, pourrait éventuellement suivre François Hollande, à la condition expresse, et pour l'instant non remplie, que celui-ci renonce à être l'homme de la synthèse socialiste. Il irait vers Hervé Morin, mais pas en grand nombre. Peut-être que Dominique de Villepin pourrait en retrouver une bonne partie.

L'inconnue demeure cependant les axes de campagne de Nicolas Sarkozy, et ici le rôle de Bruno Lemaire est déterminant, dans un contexte de déliquescence idéologique profonde de l'UMP. On attend logiquement (avec toutes les limites de la logique en politique) une mise en oeuvre du bilan du quinquennant, délicate du fait de l'aspect touffu et inachevé de l'action gouvernementale, mais la question du projet d'avenir nous projette dans les brumes du mystère.

Non, le retrait de Jean-Louis Borloo ne va pas clarifier les choses. En politique, seuls des projets charpentés et rassemblant un camp, ou au moins une famille politique, apportent de la clarté. Pour l'instant, quand bien même l'intérêt suscité par la primaire socialiste indique un intérêt profond d'une grande partie des français pour le débat politique, rien n'indique que la campagne à venir serait porteuse de solutions nouvelles et/ou de choix décisifs.