samedi 16 juin 2012

Jour de vote ou d'abstention

Plus d'un électeur sur trois ne s'est pas senti concerné par les élections législatives de 2012. Et ce dans un contexte décisif, où la crise européenne fait rage, où le couple franco-allemand connait des difficultés, où le redressement des finances publiques impose des choix difficiles, où l'enracinement du Front national devient une réalité indéniable.

La réforme du quinquennat adoptée en 2000, le choix de Lionel Jospin et Jacques Chirac de placer les élections présidentielles de 2002 avant les élections législatives ont conduit à placer les législatives dans une situation subordonnée par rapport à l'élection présidentielle - ce que la "campagne" que nous venons de vivre a amplement confirmé. 

Le référendum de 2000 obtenu la participation que de... 30,19 % de l'électorat : il faut dire que la campagne référendaire avait à peu près aussi intense que la campagne législative que nous venons de vivre. Et surtout, elle n'avait pas permis aux grandes alternatives de se dégager : tout le monde voyait bien que la réforme proposée avait pour but d'empêcher autant que faire se pouvait les cohabitations. Mais personne, parmi ceux qui défendaient le quinquennat, n'indiquait clairement si la synchronisation des mandats présidentiel et législatif avait pour objet de présidentialiser ou de parlementariser le régime.

L'inversion du calendrier prévisionnel de 2002, qui plaçait originellement les législatives avant la présidentielle, n'avait pas posé de problème à l'époque. Comme pour le quinquennat, il ne s'agissait pas d'une décision susceptible de susciter l'enthousiasme des foules, mais chacun en comprenait la logique : depuis 1958, et plus encore depuis 1962, le président de la République est au coeur des institutions, et ni sa marginalisation dans les périodes de cohabitation, ni son élection dans la foulée des législatives ne correspondent à l'importance que la grande majorité des électeurs lui reconnaît.

Je ne veux pas dire ici que le système post 1962 est en soi rationnel. Je veux dire qu'il l'est relativement, parce qu'il est manifestement adapté au tempérament monarchico-républicain français, qui s'exprime dans la tension entre l'exigence de moments de décision populaire forte et celle d'une forte incarnation politique. Il est vain de vouloir revenir sur l'élection présidentielle au suffrage universel (on ne reprend jamais au suffrage universel ce qu'on lui a donné, et encore moins quand il s'agit de l'élection à laquelle les Français sont le plus attachés), il est vain de vouloir revenir sur la réforme du quinquennat (que Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing avaient déjà envisagées), il est vain de vouloir faire des élections législatives le moment décisif aux dépends de l'élection présidentielle.

Mais qui peut se résigner, dans un pays où longtemps, en particulier sous la Troisième République, la souveraineté nationale s'est exprimée par le choix des législateurs, non seulement à voir plus d'un tiers des électeurs bouder les élections législatives, mais au vide intersidéral de la campagne que nous venons de vivre ?

Il faut à mon sens épouser et amplifier la tendance historique qui s'exprime depuis les années 1970, non pas comme un mouvement irrésistible, mais comme une tâche toujours reprise, et qui porte des résultats : la revalorisation des contrepouvoirs. Tout d'abord, le Conseil constitutionnel, qui en 1971, au moment où il s'est réclamé des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République", en 1974 quand l'opposition a eu la possibilité de le saisir, enfin en 2008, quand les justiciables ont pu lui poser la question prioritaire de constitutionnalité (la fameuse "QPC"), est devenu un véritable outil au service de la défense des libertés. Ensuite, on peut beaucoup attendre des nouveaux droits (fixer par exemple son ordre du jour) qui ont été accordés au Parlement par la réforme constitutionnelle de 2008. Enfin, je pense que la suppression du cumul des mandats, demande historiquement portée par la gauche française, devrait pousser les députés à s'affirmer plus encore.

Mais tout cela n'est pas suffisant. Si le moment décisif reste l'élection présidentielle, le seul moyen de revaloriser vraiment les élections législatives et de donner à l'Assemblée nationale plus de représentativité. Le seul moyen en est le recours au scrutin proportionnel. 

Il faut bien mesurer qu'actuellement, dans les circonscriptions "très à gauche" ou "très à droite", le vote des opposants ne sert à rien d'autres qu'à nourrir les statistique, sauf à voir s'affirmer des rivalités personnelles internes à l'un ou l'autre camp. Cela n'est guère motivant. Quant aux électeurs du Front de gauche, des écologistes ou du Front national, ils sont bien souvent absents du second tour, et le prévoient dès le premier. Inversement, socialistes et UMP s'installent souvent dans une sécurité trompeuse, tant le système électoral est censé les favoriser. 

Les législatives pourraient, à la proportionnelle, devenir le moment où les forces politiques mesurent leur audience. Bien sûr, la présidentielle pèserait encore sur cette élection, mais comme un argument parmi d'autres. 

Je n'ignore pas les obstacles : tout d'abord, la mauvaise réputation du scrutin proportionnel depuis la Quatrième République : mais aujourd'hui, par l'élection présidentielle au suffrage universel, par les prérogatives du président dans la Constitution, l'exécutif est renforcé, et n'a pas besoin d'un Parlement servile. Le mauvais souvenir aussi de la manœuvre de François Mitterrand en 1985, qui recourrait au scrutin proportionnel pour contrer la probable victoire de la droite aux législatives de 1986 et avait fait entrer le Front National à l'assemblée.

Autre reproche souvent fait à la proportionnelle : donner une audience aux mouvement radicaux de gauche et de droite, faire le jeu des "extrêmes". Mais peut-on se résigner à ce que près de 20% des citoyens soient absents ou quasiment absents de la représentation nationale ? Et le scrutin majoritaire ne donne-t-il pas aux "extrêmes" des moyens de pression, obligeant les uns à "droitiser", les autres à "gauchir" leur discours ?

Certes, les majorités seraient plus fragiles. Inversement, dans les moments de crise, l'union nationale deviendrait possible. 

Enfin, reste la question de "l'enracinement" des députés, de leur ancrage sur le terrain. L'argument n'est pas sans valeur. Mais les lois de décentralisation de 1982 donnent quand même beaucoup de poids aux communes, aux départements, aux régions - bref, aux élus locaux. Et les députés ont vocation à représenter la nation. Chez moi, la droite et le centre sont représentés par Jean-Pierre Gorges, maire de Chartres, et la gauche par David Lebon, socialiste aubryste. Leur campagne mêle en permanence enjeux nationaux et locaux, au point qu'on a l'impression qu'ils ne s'apprêtent pas seulement à représenter la nation à l'Assemblée, mais finalement, une partie de l'Eure-et-Loir. 

François Hollande s'est engagé, comme le candidat Nicolas Sarkozy s'y était engagé, à donner une "dose" de proportionnelle. Tout ou partie, il y a urgence, je crois, à se pencher sur notre système électoral.