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mercredi 18 mars 2009

Kant vs pessimisme politique ?


Pessimisme ou optimisme ? Un ami disait de mon dernier post qu’il était d’un « pessimisme noir ». C’est un peu le lot du commentaire politique : on se trouve souvent inventorier des problèmes, des difficultés et comme l’on n’est pas en position d’agir, cela peut devenir irritant, voire franchement déprimant. Dans mon dernier post, je cherchais à comprendre pourquoi le discours politique et le discours médiatique (si tant est qu’ils aient une unité) étaient d’une tonalité assez négative, dans un pays dont on sait qu’il a bien des atouts. J’inventoriais ce qui dans nos institutions me paraissait y pousser. Je suis à cent lieues de penser qu’il n’y a rien à faire contre cela ; aussi suis-je ravi de répondre à un commentaire qui pose une bonne question en me demandant du positif.
On ne reviendra pas sur la désignation du président de la République au suffrage universel à laquelle les Français sont très attachés, tout simplement parce qu’on ne reprend jamais au suffrage universel ce qu’on lui a donné. En 1850, les conservateurs du Parti de l’Ordre avaient amputé le suffrage universel du tiers de ses électeurs. Il avait ainsi sottement libéré un espace pour le président Louis-Napoléon-Bonaparte qui, le 2 décembre 1851, pouvait alors même qu’il procédait à un coup d’État annuler cette loi et se donner ainsi un air démocratique. Tout ce qui ressemble à de la défiance par rapport au suffrage universel se paie comptant en démocratie. Par contre, il y a bien des moyens, me semble-t-il pour rééquilibrer le système.
Interdire purement et simplement le cumul des mandats permettrait que les députés ne soient pas à la fois décideurs et bénéficiaires (par le biais des mandats locaux) des dépenses publiques. Supprimer le scrutin d’arrondissement leur permettrait de se placer sur le plan national, et rendrait moins utile le cumul des mandats. La proportionnelle (on peut infiniment discuter des éventuelles prime à la majorité) déverrouillerait certainement le débat politique, obligerait le gouvernement à certaines transactions avec l’Assemblée, et redonnerait un peu de crédibilité au régime parlementaire… Faire une place au Sénat à des représentants des régions ne me paraît pas non plus idiot, et rééquilibrerait un peu les choses.
Pour le reste, je ne suis pas pessimiste. On peut être critique, quand on commente, c’est inévitable. On n’est pessimiste que si l’on pense que la politique est toute-puissante. Si on la voit comme une négociation constante entre des principes et la réalité, alors le jugement à long terme dépend d’un point de vue sur le devenir du monde. D’une attente ou d’une peur de l’avenir. Personnellement, le fait de fréquenter des étudiants depuis maintenant dix ans m’a vacciné contre la posture pessimiste du type « les jeunes n’ont plus de valeurs », « l’individualisme a tout gangrené », etc. Voir de jeunes esprits se saisir des problèmes éternels de l’humanité, parfois tâtonner, parfois fulgurer, parfois faire preuve d’une maturité tranchante et surprenante, cela suffit à me convaincre que ni le pays ni l’humanité n’ont dit leur dernier mot.
Enfin, inventorier de grands basculements, des événements qui ont surgi, comme la chute du mur de Berlin, sans qu’aucun esprits raisonnables ne les ait vu venir, constater que la France se modernise « en escalier », des phases de stagnation boudeuse succédant à des périodes de dynamisme qui vont bien au-delà d’un simple rattrapage, tout cela prémunit contre le désespoir, parfois si tentant comme choix esthétique.
Même quand les évolutions en cours ne sont pas ce qu’on attend, ni ce qu’on espère, il nous reste toujours la feuille de route obligeamment fournie par Emmanuel Kant en 1784 dans le superbe «Qu’est-ce que les Lumières ?» :
« Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, restent cependant mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. »
Ce texte incite à ne pas avoir peur d’être parfois seul de son point de vue ; quand notre diagnostic n’est pas rassembleur, quand on ne sait pas même s’il a une chance de trouver un débouché, nous essayons quand même de suivre notre raisonnement. D’une certaine manière, essayer de poser un diagnostic, c’est faire preuve d’une certaine foi en l’avenir. Nous pouvons nous tromper : si par hasard nous avons raison, il se trouvera bien quelqu’un, tôt ou tard, pour récupérer notre idée ou la retrouver par ses propres moyens. Nous sommes dans une chaîne, dans une trame d’humanité et quand nous pensons par nous-mêmes, il se peut toujours que nous pensions pour les autres. Et pour l’avenir.

vendredi 6 juin 2008

Bonapartisme et gaullisme


Pendant la Seconde guerre mondiale, à Londres, Raymond Aron comparaît déjà le gaullisme naissant au bonapartisme, dans un article intitulé « L’ombre des Bonaparte » et publié en 1943. Plus tard, l’historien René Rémond, avec sa grande synthèse sur Les Droites en France, dont la première édition date de 1954 (le titre alors était au singulier, La Droite en France de 1815 à nos jours, continuité et diversité d’une tradition politique), a donné à cette comparaison tout son développement. Dans le Dictionnaire de Gaulle paru chez Laffont en 2006, on trouve un article « bonapartisme », dû à Jean-François Sirinelli, qui met en avant les difficultés liées à l’usage polémique du terme (on accuse de bonapartisme quelqu’un dont on met en doute la légitimité républicaine).

En laissant de côté les filiations concrètes, nous pourrions définir le bonapartisme comme un « possible » de la démocratie française. Nous le connaissons mieux encore aujourd’hui grâce à la grande biographie qu’Éric Anceau vient de consacrer à Napoléon III (Napoléon III. Un Saint-Simon à cheval, Paris, Taillandier, 2008). Résolument centrée sur le personnage et sur son projet, celle-ci nous permet de mieux saisir la « synthèse bonapartiste », d’en saisir toute l’ambition et tout l’intérêt, au travers de l’étude d’une figure attachante - et aussi de mieux comprendre le gaullisme qui ressemble au bonapartisme par bien des côtés.

Volonté de synthèse entre l’ordre et la liberté, qui explique malgré l’aspect très autoritaire des premières années du régime, l’évolution du régime vers l’empire libéral ; méfiance vis-à-vis du parlementarisme considéré comme étranger à la tradition nationale caractérisent tout d’abord l’entreprise. L’empire libéral n’est (contrairement à ce que j’écrivais dans mon article précédent) que semi-parlementaire, et n’est tenté par l’Empereur qu’à titre d’expérience – on ne prend en somme qu’une dose de parlementarisme.

Volonté de synthèse entre la tradition (l’appui sur le catholicisme) et la modernité (volonté de développement économique), de synthèse entre l’affirmation de l’intérêt national (qui limite le soutien aux nationalités en Italie et en Allemagne) et la volonté de promouvoir le dialogue international par un système périodique de congrès réunissant le plus grand nombre possibles d’État (cela restant un projet) ; volonté de synthèse entre le maintien de l’ordre social et la mise en place d’une politique sociale ambitieuse (soutien aux mutuelles ouvrières, droit de grève accordé en 1864, syndicats tolérés en 1868)...

Mais volonté de synthèse qui connaît malgré une très forte concentration des pouvoirs bien des difficultés pour se traduire dans une politique concrète : la violence déployée pour vaincre la résistance au coup d’État rend les républicains souvent irréconciliables avec le régime, même quand celui-ci se libéralise, les élites orléanistes freinent les investissements publics et n’acceptent la politique sociale qu’au prix d’un retour à l’orthodoxie financière, la politique étrangère devient brouillonne dans les années 1860 et ne garantit au final ni l’ordre européen ni la sécurité de la France qui s’abîme dans le désastre de 1870.

Éric Anceau nous montre à la fois la fermeté des lignes directrices de Louis-Napoléon Bonaparte, en qui il voit le vrai créateur du bonapartisme, et les prudences, qui vont parfois jusqu’à l’hésitation ou l’incohérence, dans la mise en œuvre. On a l’impression que la volonté politique se perd parfois dans les sables, sauf en quelques domaines (notamment, la politique économique et urbaine). Le projet est souvent étonnamment moderne, mais en même temps que des lignes de force de la politique française d’après 1958, on peut voir l’esquisse des limites politiques du gaullisme, qui ressemble fortement à l’idéologie bonapartiste.

La volonté de synthèse du pouvoir rend difficile l’expression d’un véritable pluralisme politique : les transactions se font en amont de la décision, dans les coulisses en somme, dans l’écoute directe de l’opinion (difficile à saisir), dans la quête du soutien des experts et des milieux dirigeants ; la concentration du pouvoir rend le pays extraordinairement vulnérable aux éventuelles défaillances du souverain (ce que montre bien la politique extérieure et les valses-hésitations quant à la politique à tenir après la victoire de la Prusse à Sadowa, en 1866, qui écrase l’Autriche et dont les conséquences seront lourdes pour le pays). Le « centrisme autoritaire » (Frédéric Bluche) du bonapartisme risque toujours de le conduire à l’immobilisme, quand bien même il se veut réformateur et surtout modernisateur ; il semble ne pouvoir fonctionner qu’à demi-régime (ce qui en soit n’est pas grave, le compromis étant après tout un des traits essentiels de la politique moderne), et encore faut-il que les gouvernants aient au départ de fermes perspectives. Philippe Séguin, dans son plaidoyer Louis-Napoléon le Grand avait défini la politique comme une lutte contre l’impuissance. Il semble que ce soit particulièrement vrai dans le cadre du bonapartisme – et sans doute dans celui d’un régime marqué par le gaullisme.
Vouloir tout faire à la fois, satisfaire toutes les requêtes, rechercher obstinément le consensus : cela est louable dans le souci d’incarner la nation toute entière ; mais le prix à payer est souvent celui de la lisibilité politique. Le tiraillement entre les requêtes de l’identité (ce que l’on veut incarner) et celles de l’action (ce que l’on veut faire en priorité) apparaît ici à nu…