En roulant dans la nuit, j'écoutais la radio : un nouveau portique écotaxe détruit en Bretagne, et une réunion prévue pour régler les problèmes de "la Bretagne" (prévue avant cette nouvelle destruction). Comme à l'ordinaire, les 30 000 manifestants de samedi, 10 000 selon la police, et les quelques centaines de casseurs d'aujourd'hui sont devenus "les Bretons" sont promus représentants légitimes de la Bretagne.
Problème vieux comme la démocratie : qui sont les représentants légitimes d'un peuple composite, clivé, uni sur quelques points et divisé sur tous les autres ? Dans la pratique, trois réponses sont généralement avancées : la légaliste, l'idéaliste et la révolutionnaire.
La légaliste tient en trois mots : suffrage universel, principe majoritaire et représentation (panachée éventuellement de recours au référendum). Les représentants sont ceux qui sont élus, ceux qui rassemblent au moment donné, et dans des systèmes variés, le plus grand nombre de voix sur leur nom ou sur la liste dont ils sont membres. La citoyenneté a ici une part d'ascèse et nécessite la patience.
L'idéaliste invoque le bien commun et l'intérêt général. Très prisée en philosophie politique, elle souffre d'un défaut majeur : le bien commun comme l'intérêt général dont à la fois invoqués par tous et objets d'un débat récurrent. Le bien commun, ici et maintenant, nécessite-t-il la mis en place de l'écotaxe ? De privilégier le dialogue ou le respect de la légalité ?
La révolutionnaire est régulièrement populaire en France où les gouvernants, s'ils ne sont pas autoritaires, ne le sont jamais. Ce sont les plus militants, les plus motivés, les plus politisés qui s'imposent, la majorité silencieuse, parce que silencieuse, a choisi son destin.
Une nouvelle réponse au problème de la représentation surgit, et comme ce problème est aussi ancien que la démocratie, elle pose autant de problèmes qu'elle n'en résout : les sondages. Le premier sondge d'opinion en France remonte à 1938, et il portait sur les accords de Munich : 57% des sondés approuvent les accords, 37% les jugent néfastes et 6% ne se prononcent pas.
On a tout dit sur cet outil précieux et d'un maniement délicat. Nul doute en tout cas que le plus souvent il permette de saisir des tendances. Mais ce n'est pas le sujet : dorénavant, chaque représentant, chaque gouvernant sait s'il est ou non populaire, et si telle ou telle mesure est bien accueillie. Il peut ainsi être traité comme s'il n'était pas légitime en ayant toutes les garanties qu'offre la légalité de sa désignation.
Dès lors, pour reprendre la désignation classique, face à la menace de l'impopularité et de la fronde institutionnalisée des manifestations, nos gouvernant doivent être à la fois des lions et des renards, tout comme le prince de Machiavel. La tâche nécessite sans doute des hommes et des femmes exceptionnels, mais aussi une équipe soudée et une forte majorité pour pouvoir faire jouer à fond la légitimité qui vient de la légalité institutionnelle.
La voiture filant dans la nuit, je me sentais heureux d'être commentateur. Il y a des moments où, comme disait Tocqueville, le citoyen souffre, mais l'observateur se réjouit.
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