Le comportement très digne et réservé de Jacques Chirac depuis la fin de son deuxième mandat, qui contraste avec celui de Dominique de Villepin – il est vrai que l’un a accompli pleinement sa carrière politique tandis que l’autre peut se sentir frustré – incite à revenir sur son bilan et sur la trace qu’il a pu laisser dans la vie politique française.
Deux mandats donc, 1995-2002 et 2002-2007. Cinq ans de cohabitation, de 1997 à 2004, finalement donc juste sept ans de plein exercice du pouvoir, ajoutés à quatre ans de premier ministère, en 1974-1976 et 1986-1988. Trois candidatures à la présidentielle, deux présences au second tour, une dissolution ratée en 1997. Tous ses biographes le disent, un bel « animal politique », taillé pour la conquête du pouvoir, capable de rebondir, globalement peu populaire, mais ayant réussi, même au temps de ses échecs, à fidéliser une partie importante de l’électorat, et apte à s’emparer de positions clefs : le parti gaulliste au temps de la présidence giscardienne, la mairie de Paris. Comme tous les hommes politiques réputés opportunistes, il a quelques fidélités, et parmi elles, un grand patriotisme. Qu’il soit contre l’Europe (au moment de l’appel de Cochin, soufflé par Marie-France Garaud et Pierre Juillet qui y perdirent leur statut de mentors) ou pour elle (au moment de la ratification du traité de Maastricht, de 1992, pour lequel son ralliement fut décisif), qu’il croie en un « travaillisme à la française » (1974-1976) ou en des réformes libérales (1986-1988), il s’agit toujours de mettre la France à niveau, de la maintenir dans la course. La trace de Jacques Chirac reste ainsi importante dans la politique extérieure : déterminant (qui lui en a su gré ?) dans le dénouement de la crise yougoslave par le recours à l’OTAN, remportant une victoire symbolique forte en 2003 en désapprouvant l’intervention américaine en Irak, déterminant encore pour obtenir, cette fois à nouveau en collaboration avec les États-Unis, que la Syrie se retire du Liban, il a réaffirmé haut et fort la « politique arabe de la France ». On peut en penser ce que l’on veut, mais il y a là une ligne. Ajoutons qu’en 1995, la suppression de la conscription, réforme longtemps réputée infaisable, témoignait d’un projet de modernisation de l’armée française.
D’une certaine manière, ce Jacques Chirac là est celui qui s’est levé et qui est parti, simplement, parce que dans un stade de football, lors d’un France-Algérie, le public sifflait la marseillaise.
Partout où la « boussole nationale » ne pouvait fonctionner de manière claire, la trajectoire s’est faite plus erratique. Comme l’avait remarqué Éric Zemmour (L’Homme qui ne s’aimait pas, Paris, Denoël, 2004), comme on le comprend à la lecture des deux biographies de Franz-Olivier Gisbert (celle de 1988 et La Tragédie du président, best-seller paru chez Flammarion en 2006), Jacques-Chirac est un leader particulier, qui doute plus que les autres de sa valeur et de sa capacité. C’est aussi un homme écartelé entre l’Occident et les autres cultures, et, en fait entre la droite et la gauche, entré en politique au temps ou la droite pouvait pensait qu’elle était simplement le camp de « réalistes » contre les « trublions ». Un homme profondément marqué par son échec de 1988, puis par le mouvement de décembre 1995 contre les réformes d’Alain Juppé (de la sécurité sociale et des retraites), persuadé que la France est un pays fragile, qu’il ne faut pas traumatiser, un homme qui ne saura que faire du pouvoir qui lui revient « miraculeusement » en 2002 après l’échec de 1997, et qui campe désormais sur une position que l’on pourrait résumer ainsi : nous allons faire les réformes que l’on ne peut vraiment pas éviter, sans plus.
La fondation de l’UMP en 2002 ne parvient pas à la fédération totale des droites, en partie parce qu’elle se fait avant qu’un projet politique clair ait été formulé. Il est remarquable de constater qu’en France, gaullisme et socialisme ont empêché chacun la modernisation de l’autre en ne se reformulant pas clairement alors que leur pratique se modifiait à toute vitesse. À François Mitterrand l’européen, totalement indifférent aux enjeux idéologiques, répond Jacques Chirac le patriote, privilégiant lui aussi la pensée stratégique.
Modernisation minimale, toujours en retard par rapport aux enjeux de la mondialisation et de l’intégration européenne, incapacité à enrayer le décrochage relatif du pays, brouillage du discours de son camp : en cela, le « chiraquisme » a fourni un repoussoir utile à Nicolas Sarkozy. Pour sa campagne, au moins celle du premier tour… Cependant, le « chiraquisme » resurgit actuellement à l’horizon de la politique française. Le hiatus entre l’Élysée et Matignon, les grandes déclarations sur l’histoire de l’esclavage à enseigner dans les écoles primaires, le discours sur le « pouvoir d’achat », la tendance à privilégier des réponses de court terme, à vouloir éviter toute mesure symbolique d’une rupture (les 35 heures demeurant la durée officielle du travail, les 60 ans l’âge légal de la retraite, et des stratégies complexes de contournement étant mises en œuvre), l’accoutumance maintenue à voir l’État « débloquer » (mot savoureux) de l’argent public dès qu’un mécontentement catégoriel s’exprime avec tant soit peu de vigueur, tout cela s’inscrit facilement dans une continuité… On peut se demander, de ce point de vue, si Xavier Bertrand n’est pas l’homme tout désigné d’un retour au « gaullo-radical-socialisme »…
Deux mandats donc, 1995-2002 et 2002-2007. Cinq ans de cohabitation, de 1997 à 2004, finalement donc juste sept ans de plein exercice du pouvoir, ajoutés à quatre ans de premier ministère, en 1974-1976 et 1986-1988. Trois candidatures à la présidentielle, deux présences au second tour, une dissolution ratée en 1997. Tous ses biographes le disent, un bel « animal politique », taillé pour la conquête du pouvoir, capable de rebondir, globalement peu populaire, mais ayant réussi, même au temps de ses échecs, à fidéliser une partie importante de l’électorat, et apte à s’emparer de positions clefs : le parti gaulliste au temps de la présidence giscardienne, la mairie de Paris. Comme tous les hommes politiques réputés opportunistes, il a quelques fidélités, et parmi elles, un grand patriotisme. Qu’il soit contre l’Europe (au moment de l’appel de Cochin, soufflé par Marie-France Garaud et Pierre Juillet qui y perdirent leur statut de mentors) ou pour elle (au moment de la ratification du traité de Maastricht, de 1992, pour lequel son ralliement fut décisif), qu’il croie en un « travaillisme à la française » (1974-1976) ou en des réformes libérales (1986-1988), il s’agit toujours de mettre la France à niveau, de la maintenir dans la course. La trace de Jacques Chirac reste ainsi importante dans la politique extérieure : déterminant (qui lui en a su gré ?) dans le dénouement de la crise yougoslave par le recours à l’OTAN, remportant une victoire symbolique forte en 2003 en désapprouvant l’intervention américaine en Irak, déterminant encore pour obtenir, cette fois à nouveau en collaboration avec les États-Unis, que la Syrie se retire du Liban, il a réaffirmé haut et fort la « politique arabe de la France ». On peut en penser ce que l’on veut, mais il y a là une ligne. Ajoutons qu’en 1995, la suppression de la conscription, réforme longtemps réputée infaisable, témoignait d’un projet de modernisation de l’armée française.
D’une certaine manière, ce Jacques Chirac là est celui qui s’est levé et qui est parti, simplement, parce que dans un stade de football, lors d’un France-Algérie, le public sifflait la marseillaise.
Partout où la « boussole nationale » ne pouvait fonctionner de manière claire, la trajectoire s’est faite plus erratique. Comme l’avait remarqué Éric Zemmour (L’Homme qui ne s’aimait pas, Paris, Denoël, 2004), comme on le comprend à la lecture des deux biographies de Franz-Olivier Gisbert (celle de 1988 et La Tragédie du président, best-seller paru chez Flammarion en 2006), Jacques-Chirac est un leader particulier, qui doute plus que les autres de sa valeur et de sa capacité. C’est aussi un homme écartelé entre l’Occident et les autres cultures, et, en fait entre la droite et la gauche, entré en politique au temps ou la droite pouvait pensait qu’elle était simplement le camp de « réalistes » contre les « trublions ». Un homme profondément marqué par son échec de 1988, puis par le mouvement de décembre 1995 contre les réformes d’Alain Juppé (de la sécurité sociale et des retraites), persuadé que la France est un pays fragile, qu’il ne faut pas traumatiser, un homme qui ne saura que faire du pouvoir qui lui revient « miraculeusement » en 2002 après l’échec de 1997, et qui campe désormais sur une position que l’on pourrait résumer ainsi : nous allons faire les réformes que l’on ne peut vraiment pas éviter, sans plus.
La fondation de l’UMP en 2002 ne parvient pas à la fédération totale des droites, en partie parce qu’elle se fait avant qu’un projet politique clair ait été formulé. Il est remarquable de constater qu’en France, gaullisme et socialisme ont empêché chacun la modernisation de l’autre en ne se reformulant pas clairement alors que leur pratique se modifiait à toute vitesse. À François Mitterrand l’européen, totalement indifférent aux enjeux idéologiques, répond Jacques Chirac le patriote, privilégiant lui aussi la pensée stratégique.
Modernisation minimale, toujours en retard par rapport aux enjeux de la mondialisation et de l’intégration européenne, incapacité à enrayer le décrochage relatif du pays, brouillage du discours de son camp : en cela, le « chiraquisme » a fourni un repoussoir utile à Nicolas Sarkozy. Pour sa campagne, au moins celle du premier tour… Cependant, le « chiraquisme » resurgit actuellement à l’horizon de la politique française. Le hiatus entre l’Élysée et Matignon, les grandes déclarations sur l’histoire de l’esclavage à enseigner dans les écoles primaires, le discours sur le « pouvoir d’achat », la tendance à privilégier des réponses de court terme, à vouloir éviter toute mesure symbolique d’une rupture (les 35 heures demeurant la durée officielle du travail, les 60 ans l’âge légal de la retraite, et des stratégies complexes de contournement étant mises en œuvre), l’accoutumance maintenue à voir l’État « débloquer » (mot savoureux) de l’argent public dès qu’un mécontentement catégoriel s’exprime avec tant soit peu de vigueur, tout cela s’inscrit facilement dans une continuité… On peut se demander, de ce point de vue, si Xavier Bertrand n’est pas l’homme tout désigné d’un retour au « gaullo-radical-socialisme »…
4 commentaires:
Le blog passionnant d'un professeur non moins passionnant. Bravo et bonne continuation !
C'est le moins que l'on puisse dire: le début tonitruant de Nicolas Sarkozy à l'Elysée avait tendu à montrer que la page du "chiraquisme" était bien tournée.
Nous revoilà néanmoins en effet face à un certain retour du "chiraquisme". Le "Chiraquisme", a été, en tout cas pendant la présidence de M.Chirac, parfois plein de symbolisme ( l'opposition aux Etats-Unis pendant l'intervention en Irak) mais il ne faut pas oublier qu'il a parfois aussi été taxé "d'immobilisme" pendant ses deux mandats successifs, notamment en ce qui concernait la politique nationale.
En voulant s'inscire dans la "rupture", Nicolas Sarkozy a en effet brisé au départ tous les liens qui le liait au chiraquisme : président-jogging, président bling-bling, il semble désormais mettre un coup de frein et mesurer de plus en plus l'importance de la fonction qu'il occupe, fonction dans laquelle Jacques Chirac avait peut-être mis plus de temps à se sentir à l'aise.
Les français qui voulaient du changement et de la "rupture" ont en eu pour leur compte, mais finalement il semble qu'ils préfèreraient que toutes ces réformes se fassent plus en douceur, avec un président peut-être plus effacé...
M.Sarkozy est-il entré dans un phase de "chiraquisme"? Je ne pense pas que la comparaison lui fasse plaisir.
Comme d'hab, super article! Vous avez un fan!
Article très romanesque qui replace Chirac dans le contexte historique (oui car il est désormais dans l'Histoire) : brillant !
Même si l'homme est pour moi une madeleine proustienne et constitue mon premier souvenir politique (c'est en 1995 que je suis tombé amoureux de la vie politique), c'est un personnage que j'ai tendance à exécrer, l'homme du compromis, le monarque seul, pris au piège d'une prison dorée qu'il s'est fortifiée.
La conclusion sur Xavier Bertrand est assurément révélatrice de la sensibilité politique dont vous faites preuve monsieur Grondeux : moi aussi je ne cesse de le placer comme l'espoir d'un renouveau gaulliste pour le futur de la droite !
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