J’ai du mal à ne pas donner une
interprétation historique (forcément très subjective) de l’opération tentée, autour
du livre de Marcella Iacub, par le Nouvel
observateur et par Libération.
Politiquement, ce n’est pas ma paroisse, mais je m’intéresse depuis bien
longtemps à la branche du socialisme qui me paraît la plus soucieuse de
s’adapter à son temps et de procéder à un aggiornamento idéologique. J’ai tant
d’amitiés dans cette gauche qui m’apparaît, sans que cela soit pour moi
péjoratif, être un centre gauche. Et je n’oublie pas le Nouvel observateur qui, en pleine Union de la gauche, ne craignait
pas de lancer « l’affaire Soljenitsyne » ; j’ai relu souvent les
articles que François Furet y donnait, et qui ont été republiés.
Quant à Libération, elle a longtemps représenté pour moi, après 1981, une
presse de gauche qui savait conserver son indépendance par rapport au pouvoir,
avec un background culturel très différent de celui du Nouvel observateur.
Bref, dans la famille des
modérés, qui est fondamentalement la mienne, ces deux titres, surtout le
premier, ne me donnaient pas une impression de dépaysement. Tout au plus
pouvait on y retrouver de temps à autre cette étrange caractéristique du centre
gauche (et qu’on retrouverait dans l’autre sens au centre droit), ces bouffées
de sectarisme identitaire sur des points mineurs, pour bien prouver que l’on
appartient à son camp. Petitesses inévitables de l’engagement politique…
J’appréciais le souci de ne pas
se couper de son temps, de chercher à s’ancrer dans les mutations de la société
contemporaine, allié avec une exigence intellectuelle qui, souvent, n’était pas
sans courage. Et je me disais que si la gauche de gouvernement devait retrouver
un dynamisme idéologique, et nourrir à nouveau le débat politique français, il
y avait là des lieux pour que ce dynamisme s’exprime.
La « une » du Nouvel observateur, les arguments
lamentables donnés pour défendre cette initiative m’ont atterré. Tout a été
dit, en quelques jours, sur les « qualités » littéraires de
l’ouvrage, l’audacieuse, profonde et novatrice théorie selon laquelle il y a du
cochon dans l’homme. Tout a été dit aussi, par ceux que le procédé
indignait : 1) deux organes qui
avaient assez largement soutenu DSK… 2) et qui achevaient de frapper un homme à
terre… 3) dans le but de se faire du fric (l’expression « gagner de
l’argent » est un peu trop noble en l’espèce).
Je crois depuis longtemps que la
famille modérée (je n’ose dire libérale, mais il y a de cela) est en crise sur
le plan idéologique. Après le renouveau des années 1970 et 1980, où l’on
redécouvrait la démocratie libérale en s’interrogeant sur le modèle
républicain, un net repli s’est amorcé. D’une certaine manière, les modérés
n’ont pas surmonté la fin de la guerre froide et la disparition de l’adversaire
communiste. Ils ne se sont pas adaptés idéologiquement à la disparition des
grandes idéologies, pour se lancer dans une réflexion plus fine, plus
programmatique, plus modeste et plus courageuse. Ils ne se sont pas préoccupés
d’articuler les impératifs de la modernisation et l’héritage républicain,
l’engagement européen et l’identité nationale. Ils n’ont en fait pas su toucher
terre.
D’où la juxtaposition
insupportable d’un discours platement conformiste, d’un moralisme politique où,
comme le disait Ferdinand Buisson, un confus mécontentement d’autrui cache un
grand contentement de soi, et du culte de l’argent confondu avec l’acceptation
de l’économie de marché. L’habillage sectaire d’une politique modéré, l’usage
de la morale exclusivement pour juger le comportement de ses adversaires
politiques (ou des amis qu’on lâche), la confusion entre la prise en compte des
réalités économiques et le souci exclusif de ses intérêts : tous ces
caractères désignent une image absolument inversée du Nouvel Observateur des années 1970 et 1980.
Les élections italiennes sont
venues pas là-dessus. Mario Monti, 10 %... je me dis que les modérés, ceux qui
sont à la fois européens, libéraux, sociaux, républicains, vont devoir lutter
pied à pied contre des adversaires qui vont de plus en plus les présenter comme
des serviteurs intéressés du monde de la finance, sourds à la misère des
peuples. Que la dimension d’explication patiente va devoir être de plus en plus
importante. Et que les modérés vont être
souvent les seuls à devoir élever le débat… en écrivant cela, il vaut mieux que
je n’aie pas sous les yeux la Une du Nouvel
Observateur.
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