J’ai commencé en octobre une réflexion qui tente de mêler
perspective historique et actualité, sous forme d’un article mensuel dans La Croix. Ces articles paraissent dans l’édition
papier et sont dans la partie payante du site et je ne peux donc pas (c’est
bien normal) les reproduire dans ce blog, mais je voudrais revenir dessus,
parce qu’ils contribuent (j’espère) à dessiner un paysage, le paysage politique
national – j’ai assez souvent déploré le flou de ses perspectives.
Le premier article, paru le 29 octobre 2012, concernait le
Front national, qui venait de fêter ses trente ans. Il avançait deux idées.
La première concernait le nationalisme, et le paradoxe qui l’anime
depuis l’origine, depuis les années 1880-1890 : ce courant politique place
au-dessus de tout l’intérêt national, rêve de constituer une communauté
nationale solidaire et puissante, et, dans la pratique, constitue une foyer de
polémiques internes à la nation, dont il excommunie une partie notoire. Le gaullisme,
à mon sens, est le seul courant rattachable au nationalisme qui a réussi, parce
qu’il a su s’élargir, accueillir d’autres influences et porter un projet
modernisateur, à se soustraire aux conséquences délétères de ce paradoxe.
La seconde idée portait davantage sur le Front national
lui-même. Je mettais en relation sa croissance et son implantation, limitée
mais solide, avec la crise de l’idée de progrès qui a commencé dans les années
1970. Peur de l’avenir, perception de la mondialisation avant tout comme une
menace, impression, curieuse dans un grand pays, d’être membre d’une petite
patrie fragile et menacée sont devenues largement partagées, et expliquent le
peu de réactions efficaces face à l’émergence
d’une « nouvelle » composante de la vie politique française.
Le deuxième article, paru le 28 novembre, revenait sur un l’échec
récurrent de la constitution d’un bipartisme à la française. Le projet est
ancien (il avait déjà été soutenu par Gambetta), mais la Cinquième République
offre de cet échec une illustration particulièrement frappante, puisque,
surtout depuis 1962, nos institutions poussent au rassemblement des droites et
des gauches en vue de l’élection présidentielle, élection qui a fini par « satelliser »
les législatives. Je voyais dans cet échec le maintien de l’influence d’une
tripartition aussi ancienne et aussi structurante que le clivage droite/gauche,
celle qui oppose depuis le début du XIXe siècle les « bleus », les « rouges »
et les « blancs », les premiers. Les bleus, fils de 1789, sont
sensibles à une logique libérale, les rouges, héritiers de 1793 et des
sans-culottes, rêve d’égalité et de démocratie directe, les blancs sont
sensibles aux requêtes conservatrices d’ordre et d’enracinement. D’où deux
lignes de fracture, qui traversent les gauches et les droites, et relativisent
le clivage droite/gauche.
Le troisième article est paru le 7 janvier 2013. Il revenait
sur la question de l’idée de progrès, après un détour par une idée que je
caresse depuis quelques temps et qui m’est chère : la modernité politique
est le lieu de la confrontation permanente de trois logiques, capables aussi de
lier entre elles des alliances occasionnelles à géométrie variable.
La première est la logique libérale, promouvant la liberté
individuelle et la nécessaire autonomie de la société civile. La seconde est la
logique démocratique, orientée vers l’édification d’une communauté égalitaire
et fraternelle, voire fusionnelle. La troisième est la logique conservatrice,
appuyée sur la demande d’ordre et la requête d’enracinement (toute convergence
avec la tripartition bleus/rouges/blancs n’est en aucune manière fortuite et
demanderait simplement à être élucidée).
L’idée de progrès, si on veut qu’elle soit vraiment pensée
et que l’invocation du progrès ne soit pas seulement un fétiche servant à
réduire les opposants au silence, et si l’on veut qu’elle survivre à la
faillite du communisme ou d’un optimisme libéral un peu béat, devra se montrer
apte à prendre en compte ces trois logiques, qui correspondent, je crois, à
trois requêtes fondamentales et légitimes de l’être humain.
Le quatrième article, paru le 30 janvier, quittait cette vision
très générale pour revenir aux rapports du socialisme français et du pouvoir.
Au-delà de tout ce qu’on a pu dire et écrire sur l’aspect brouillon et peu
lisible de l’action du président de la République et du gouvernement, j’ai
voulu dégager l’influence que le retour aux affaires peut avoir sur un courant
politique majeur de la vie politique française. J’ai montré l’abandon
définitif, et depuis longtemps préparé, d’un « socialisme d’État »
qui a encore des nostalgique, et essayé de donner toute son importance à l’accord
conclu récemment entre le MEDEF et la CFDT, accord dont on a parfois dénié le
mérite à la nouvelle équipe, mais qui est le fruit de son initiative. Accord sous
pression, certes, mais accord librement négocié. Expression d’un État qui
apprend à « faire faire » plutôt qu’à faire directement.
Ces quatre articles vont dans le même sens : je voudrais
dessiner le paysage où nous sommes pour signaler les possibilités d’action, les
évolutions, et contribuer, à toute petite échelle, à secouer l’espèce de
neurasthénie rageuse où nous nous complaisons. Je suis convaincu que la remise
en perspective, que la connaissance du passé n’a rien à voir avec la nostalgie
stérile et ne mène pas de manière obligée à une espèce de scepticisme boudeur.
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