Cela fait du bien d’entendre de
temps en temps parler politique, je veux dire parler de politique en termes de
projet à moyen terme. Le moyen terme, c’est sans doute là qu’il faut chercher
une forme de vérité en ce domaine souvent marqué par le mensonge, l’illusion
plus ou moins sincère et l’opportunisme pur.
Cela fait du bien, y compris
quand c’est Olivier Besancenot qui parle politique. Invité dans l’excellente
émission d’Anne-Sophie Lapix, il réagissait à un reportage concernant Jean-Luc Mélenchon.
Et ce qu’il disait contribuait, pour l’observateur, à détourer la contrainte
politique où se débat (où s’enlisent ?) le leader du Parti de Gauche.
Résumons le reportage : on y
voyait Jean-Luc Mélenchon endosser les propos de son bras droit sur les « 17
salopards » parmi lesquels se trouvaient Pierre Moscovici, on y retrouvait
ses propos sur la difficulté de ce dernier à parler la langue « française »
et non celle de la haute finance – propos dont on sait le caractère
particulièrement malheureux, pour ne pas dire plus.
On y suivait le leader politique
dans une émission de radio, où il prenait violemment à partie les « médias
hypocrites » avant de parler, hors antenne, de manière plus reposée avec
les journalistes. On évoquait ensuite, avec quelques images, le malaise qui
divise le Front de Gauche, entre un Parti communiste qui veut sauvegarder son
assise territoriale aux approches des élections locales de 2014, et donc garder
un minimum de bonnes relations avec le Parti socialiste, et un Jean-Luc
Mélenchon qui cogne le plus fort qu’il peut sur le gouvernement. Et puis, au
passage, il y avait ce propos amusant de Malek Boutih, disant que Jean-Luc
Mélenchon rêvait de faire « du Chavez sans le pétrole ».
Retour en studio, avec Olivier
Besancenot, qui, interrogé sur les tensions entre le Parti de gauche et le PC,
expose avec une grande netteté la stratégie de l’extrême gauche :
rassembler toute l’opposition de gauche au gouvernement pour mobiliser au
maximum face au système, à la crise… et au gouvernement. Et il signale deux
ambiguïtés du leader du Parti de gauche.
La première : ne pas vouloir
se situer franchement hors de la majorité. La seconde : se retrouver (en
particulier dans l’affaire Moscovici) jouxter des thématiques nationalistes :
la langue française contre celle de la finance. Et de souligner la tension
interne des militants du PG par rapport à cela.
Alors, extrême gauche
révolutionnaire et internationaliste ou aile « radicale populiste » d’une majorité ? En fait les militants
mélenchonistes paraissent bel et bien divisés entre des déçus du NPA qui
peuvent être séduits par les orientations défendues par Olivier Besancenot et
des « républicains rouges » (vieil héritage français) qui dé fendent
une orientation ultra-républicaine qui induit certaines convergences avec la
mouvance souverainiste.
Ce qui est à mon avis
remarquable, c’est que la stratégie du Front de gauche en 2012 l’a mené tout
droit dans le dilemme dont le Parti communiste, depuis 1981, n’est jamais
sorti. Soit refuser la marginalisation liée à une stratégie d’extrême
gauche, qui mène tout droit à l’absence d’élus, et apparaître comme les perpétuels
dindons de la farce, utiles appoints pour permettre à un PS qu’ils
désapprouvent de se maintenir au pouvoir (la non-participation gouvernementale
ne changeant à vrai dire pas grand-chose). La première perspective n’attire pas
vraiment l’électorat, la seconde décourage rapidement les militants.
Bien sûr, on peut toujours « rêver »
d’une catastrophe qui change brusquement la donne et crée une vague de soutien
dans l’opinion. Une version insurrectionnelle ou légaliste de la fameuse « situation
révolutionnaire ». En ce cas, il suffit
de tenir ferme dans le discours, et les incohérences stratégiques seront vite
oubliées. Selon un journaliste de l’émission,
JLM serait fasciné par le succès de Bepe Grillo en Italie. D’où la
radicalisation de son discours. Bien. Qu’a réussi pour l’instant à faire Bepe
Grillo ? Priver la démocratie italienne de gouvernement. Impressionnant
résultat. Et ensuite ?
En attendant, la violence verbale
est là. Elle dégrade un peu plus un climat public dont la violence stérile
inquiète. Elle abîme un peu plus quelque chose qui, pourtant, devrait être cher
aux républicains du Front de gauche : la citoyenneté républicaine. L’attachement
fondamentaliste à la souveraineté nationale ou populaire n’en remplace pas une
définition plus fine et plus complète.
Il me semble que le citoyen
républicain est celui qui fait passer l’intérêt général avant son intérêt
particulier. D’où une conscience aigüe de sa responsabilité par rapport au pays
et un goût prononcé de la délibération publique. D’où aussi un incessant pari
sur l’intelligence collective. Il n’est pas temps d’entrer dans une discussion
sur le réalisme de ce modèle, qui nous plongerait au cœur du devenir du modèle
républicain et de ses incertitudes, mais il est temps de constater que les
républicains du Front de gauche, ceux qui refusent un positionnement d’extrême
gauche, devraient pour le moins s’interroger.
Alors, bien sûr, on peut se
réfugier dans une attente de l’apocalypse révolutionnaire. Celle-ci n’est pas
seulement, aux yeux des révolutionnaires,
la mystérieuse conciliatrice de l’idéal et du réel. Elle sert aussi,
moins noblement, à se cantonner dans le négatif, à ne mobiliser que les
intérêts frustrés, les colères, les ressentiments, en pensant que de tout cela
va sortir quelque chose. À multiplier
les propositions les plus irréalistes, simplement destinées à fournir un « horizon
d’attente » à ceux qu’on veut mobiliser.
En politique, existe ce que l’on
fait maintenant. Et c’est ce qu’on l’on fait maintenant qui oriente ce que l’on
fera plus tard. Les paris sur l’avenir ne peuvent justifier une discontinuité
radicale. Le Front de gauche aujourd’hui apparaît parfaitement coincé sur le
plan politique, et la violence verbale que son leader développe, reflet de
cette impasse, me semble l’expression d’une fuite en avant. On peut toujours affirmer vouloir restaurer
une « vraie » démocratie, pourquoi pas ? Mais que peut-on fonder
sur la provocation continuelle, l’insulte
(qui reste l’argument de ceux qui n’en ont pas) et l’appel à la haine ? Si
le but est la dégradation du climat public, alors nous sommes peut-être,
finalement, dans une stratégie de moyen terme cohérente.
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