dimanche 31 mars 2013

Où va Jean-Luc Mélenchon ?


Cela fait du bien d’entendre de temps en temps parler politique, je veux dire parler de politique en termes de projet à moyen terme. Le moyen terme, c’est sans doute là qu’il faut chercher une forme de vérité en ce domaine souvent marqué par le mensonge, l’illusion plus ou moins sincère et l’opportunisme pur.

Cela fait du bien, y compris quand c’est Olivier Besancenot qui parle politique. Invité dans l’excellente émission d’Anne-Sophie Lapix, il réagissait à un reportage concernant Jean-Luc Mélenchon. Et ce qu’il disait contribuait, pour l’observateur, à détourer la contrainte politique où se débat (où s’enlisent ?) le leader du Parti de Gauche.

Résumons le reportage : on y voyait Jean-Luc Mélenchon endosser les propos de son bras droit sur les « 17 salopards » parmi lesquels se trouvaient Pierre Moscovici, on y retrouvait ses propos sur la difficulté de ce dernier à parler la langue « française » et non celle de la haute finance – propos dont on sait le caractère particulièrement malheureux, pour ne pas dire plus.

On y suivait le leader politique dans une émission de radio, où il prenait violemment à partie les « médias hypocrites » avant de parler, hors antenne, de manière plus reposée avec les journalistes. On évoquait ensuite, avec quelques images, le malaise qui divise le Front de Gauche, entre un Parti communiste qui veut sauvegarder son assise territoriale aux approches des élections locales de 2014, et donc garder un minimum de bonnes relations avec le Parti socialiste, et un Jean-Luc Mélenchon qui cogne le plus fort qu’il peut sur le gouvernement. Et puis, au passage, il y avait ce propos amusant de Malek Boutih, disant que Jean-Luc Mélenchon rêvait de faire « du Chavez sans le pétrole ».

Retour en studio, avec Olivier Besancenot, qui, interrogé sur les tensions entre le Parti de gauche et le PC, expose avec une grande netteté la stratégie de l’extrême gauche : rassembler toute l’opposition de gauche au gouvernement pour mobiliser au maximum face au système, à la crise… et au gouvernement. Et il signale deux ambiguïtés du leader du Parti de gauche.

La première : ne pas vouloir se situer franchement hors de la majorité. La seconde : se retrouver (en particulier dans l’affaire Moscovici) jouxter des thématiques nationalistes : la langue française contre celle de la finance. Et de souligner la tension interne des militants du PG par rapport à cela.
Alors, extrême gauche révolutionnaire et internationaliste ou aile « radicale populiste »  d’une majorité ? En fait les militants mélenchonistes paraissent bel et bien divisés entre des déçus du NPA qui peuvent être séduits par les orientations défendues par Olivier Besancenot et des « républicains rouges » (vieil héritage français) qui dé fendent une orientation ultra-républicaine qui induit certaines convergences avec la mouvance souverainiste.

Ce qui est à mon avis remarquable, c’est que la stratégie du Front de gauche en 2012 l’a mené tout droit dans le dilemme dont le Parti communiste, depuis 1981, n’est jamais sorti. Soit refuser la marginalisation liée à une stratégie d’extrême gauche, qui mène tout droit à l’absence d’élus, et apparaître comme les perpétuels dindons de la farce, utiles appoints pour permettre à un PS qu’ils désapprouvent de se maintenir au pouvoir (la non-participation gouvernementale ne changeant à vrai dire pas grand-chose). La première perspective n’attire pas vraiment l’électorat, la seconde décourage rapidement les militants. 
  
Bien sûr, on peut toujours « rêver » d’une catastrophe qui change brusquement la donne et crée une vague de soutien dans l’opinion. Une version insurrectionnelle ou légaliste de la fameuse « situation révolutionnaire ».  En ce cas, il suffit de tenir ferme dans le discours, et les incohérences stratégiques seront vite oubliées.  Selon un journaliste de l’émission, JLM serait fasciné par le succès de Bepe Grillo en Italie. D’où la radicalisation de son discours. Bien. Qu’a réussi pour l’instant à faire Bepe Grillo ? Priver la démocratie italienne de gouvernement. Impressionnant résultat. Et ensuite ?
En attendant, la violence verbale est là. Elle dégrade un peu plus un climat public dont la violence stérile inquiète. Elle abîme un peu plus quelque chose qui, pourtant, devrait être cher aux républicains du Front de gauche : la citoyenneté républicaine. L’attachement fondamentaliste à la souveraineté nationale ou populaire n’en remplace pas une définition plus fine et plus complète.

Il me semble que le citoyen républicain est celui qui fait passer l’intérêt général avant son intérêt particulier. D’où une conscience aigüe de sa responsabilité par rapport au pays et un goût prononcé de la délibération publique. D’où aussi un incessant pari sur l’intelligence collective. Il n’est pas temps d’entrer dans une discussion sur le réalisme de ce modèle, qui nous plongerait au cœur du devenir du modèle républicain et de ses incertitudes, mais il est temps de constater que les républicains du Front de gauche, ceux qui refusent un positionnement d’extrême gauche, devraient pour le moins s’interroger.
Alors, bien sûr, on peut se réfugier dans une attente de l’apocalypse révolutionnaire. Celle-ci n’est pas seulement, aux yeux des révolutionnaires,  la mystérieuse conciliatrice de l’idéal et du réel. Elle sert aussi, moins noblement, à se cantonner dans le négatif, à ne mobiliser que les intérêts frustrés, les colères, les ressentiments, en pensant que de tout cela va sortir quelque chose.  À multiplier les propositions les plus irréalistes, simplement destinées à fournir un « horizon d’attente » à ceux qu’on veut mobiliser.

En politique, existe ce que l’on fait maintenant. Et c’est ce qu’on l’on fait maintenant qui oriente ce que l’on fera plus tard. Les paris sur l’avenir ne peuvent justifier une discontinuité radicale. Le Front de gauche aujourd’hui apparaît parfaitement coincé sur le plan politique, et la violence verbale que son leader développe, reflet de cette impasse, me semble l’expression d’une fuite en avant.  On peut toujours affirmer vouloir restaurer une « vraie » démocratie, pourquoi pas ? Mais que peut-on fonder sur la provocation  continuelle, l’insulte (qui reste l’argument de ceux qui n’en ont pas) et l’appel à la haine ? Si le but est la dégradation du climat public, alors nous sommes peut-être, finalement, dans une stratégie de moyen terme cohérente.

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