lundi 7 février 2011

Lendemains de fête ?


La révolution tunisienne et celle qui paraît s'amorcer en Egypte ont suscité une vague de sympathie en France qui ne s'est pas éteinte, mais qui commence à se pondérer, au fur et à mesure que des commentaires plus distanciés se font entendre.


Un peu à la manière de "l'obamania", les images des manifestations, les propos en appelant au respect du peuple, à la liberté, les protestations contre la corruption, l'attente de lendemains meilleurs, l'esprit de sacrifice, tout cela a réveillé en nous un écho des espérances qui fondent notre système, et qu'en ce moment nos politiques ne savent pas évoquer, ni même parfois tout simplement comprendre (je pense aux propos de Michèle Alliot-Marie sur TF1, s'étonnant que l'on mette sa vie en danger pour contester un régime). Et cela permet de respirer : retrouver au moins par bouffées le goût de la liberté, c'est déjà quelque chose.


Tout cela a un petit côté 1848. Le spectacle d'un pouvoir qui vacille, le rôle des morts dont le martyr galvanisent les foules manifestantes, l'impression d'une conquête de l'avenir, celle que l'idéal démocratique est là, en arrière-plan, dans toute sa légitimité profonde... Ne soyons pas renfrognés face à cela, ne serait-ce que pour que nous soyons enfin conscients des droits qui nous semblent normaux au point que nous ne les voyons plus.


Cependant, tout cela n'est pas une réponse suffisante au, les vraies questions qui surgissent tout de suite, dès lors que le choix d'un régime politique n'est pas seulement un choix de valeurs, mais vise à organiser un pays, et se doit d'être au moins accepté par une société complexe.
Un leader va-t-il s'imposer ? Un Louis-Napoléon Bonaparte qu'on espérerait un peu mieux disposé envers le respect de l'ordre constitutionnel ? Les oppositions ont-elles en elles, et à elles seules, tout ce qu'il faut pour représenter le "peuple", ce principe de légitimité incontournable et cet être insaisissable, protéiforme, divers voir divisé ? Moubarak n'essaie-t-il pas juste de tenir assez longtemps pour pouvoir surfer sur la vague de réaction qui suit tout changement brusque ? C'était, semble-t-il, le calcul de Louis XVI...

Plus profondément, nous vivons peut-être de manière dramatique, en Egypte, le face-à-face ultime entre un nationalisme arabe à bout de souffle, qui n'a accompli ni son projet géopolitique (unir l'hypothétique "nation arabe" pour qu'elle pèse dans la politique mondiale), ni son projet démocratique et socialiste (perdu dans l'autoritarisme, la corruption et la contrainte économique), et qui a dû (heureusement à mon sens), finir par accepter l'existence d'Israel, et un islamisme dont l'évolution future reste une des grandes inconnues de ce siècle commençant.
Les Frères musulmans sont-ils prêts à connaître une évolution comparable à celle qui a mené, en deux siècles, du catholicisme intransigeant à la démocratie chrétienne ? Quelles vont être les conséquences, au Moyen Orient, du changement en cours ?

On peut frémir en pensant à l'enthousiasme qui avait accueilli dans un premier temps la révolution iranienne ; il est possible que les choses soient aujourd'hui très différentes. Nous avons déjà reçu une bonne nouvelle : les idéaux démocratiques conservent une force d'attraction même là où nos opinions publiques blasées ne l'attendent pas. Certes, le rêve des néoconservateurs américains s'est enlisé en Irak en 2003, et ce wilsonisme armé a touché ses limites - le pari cependant sur l'universalité démocratique n'est peut être cependant pas aussi absurde qu'il en a l'air, et le changement de ton de la diplomatie américaine en témoigne.

Ne pourrions-nous essayer de ne pas reproduire l'erreur néoconservatrice ? Il faudrait alors être attentif au passage, toujours difficile, de la poussée des idéaux démocratiques à la mise en place d'une démocratie réelle, durable. Nous oublions souvent à quel point cela a été long pour nous, plus de trente ans, finalement, en France, après la flambée de 1848. Il faudrait penser aussi à ce que le nouveau régime, quel qu'il soit, réussira à faire de deux requêtes sur lesquelles les démocrates progressistes ont tendance à fermer les yeux, et qui peuvent se résumer en deux questions : Comment maintenir l'ordre civil ? Que faire des forces traditionnelles ?

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