Dominique de Villepin n’y pas été par quatre chemins en évoquant un « risque révolutionnaire » dans notre pays. On peut se contenter de voir dans ce propos une provocation pour exister médiatiquement, mais aussi prendre au sérieux cette assertion. D’autant plus que l’on entend ailleurs des jugements similaires.
Qu’est-ce qui peut aller dans ce sens ? Incontestablement, la crise générale de la légitimité démocratique en France. Je n’irai pas par quatre chemins : pour nombre de nos contemporains, il est clair que la contestation n’a pas à se soucier de légalité.
Il apparaît normal que les personnels ou étudiants grévistes « bloquent » une université, que des assemblées générales qui n’ont d’autre légitimité que celles qu’elles s’arrogent prennent des « décisions » qui se proclament légales, et que la liberté de travailler ne soit qu’un mot. Les leaders d’un grand parti de gouvernement peuvent refuser de condamner les séquestrations de patrons ou de cadres, le sac de bâtiments publics peut être analysé comme une simple réaction de « colère ». Nous sommes habitués à cela. On peut s’en indigner ou pas, mais nous sommes à mille lieues de l’ « esprit républicain » ou du « pacte républicain » que les discours politiques de droite et de gauche célèbrent, dans la mesure où d’un point de vue républicain français, type IIIème République, c’est la loi, votée par les représentants du suffrage universel, qui « tient ensemble » les citoyens. Le citoyen n’est pas seulement la personne engagée dans la vie publique : la « virtus » lui fait aussi préférer l’intérêt général au sien propre, et ne pas suivre seulement les lois conformes à son intérêt.
Nous n’en sommes pas seulement à mille lieues parce que de méchants subversifs nous attaqueraient, animés de mauvaises intentions ! Nous en sommes à mille lieues parce que plus personne, sous la cinquième république, ne fait la différence entre l’État, dont le chef est le leader de fait de la « majorité présidentielle », et le gouvernement. Quand les commentateurs eux-mêmes posent comme le remède à l’illégalité une action plus modérée et plus négociée du gouvernement, ils sont dans cette confusion. Une action plus modérée et plus négociée est souhaitable pour améliorer les réformes, et Dieu sait si certaines en ont besoin. La répression de l’action illégale est du domaine de la sauvegarde de l’État de droit, qui n’est pas seulement attaqué quand la puissance publique viole les libertés des citoyens. Il l’est aussi quand la puissance publique les laisse violer.
De ce point de vue, les moulinets verbaux autoritaires et la rhétorique syndicale ont le même effet : les institutions en place, les corps constitués, ne sont que des obstacles empêchant la volonté politique, pseudo-autoritaire ou pseudo-révolutionnaire, de s’exprimer. On brise ainsi toutes les médiations entre des citoyens d’opinions divergentes.
Les institutions que les autoritaires et les pseudo-révolutionnaires méprisent sont pourtant irremplaçables : elles sont le lieu où l’on peut parler calmement. La France actuelle est dominée par les cris, les indignations plus ou moins sincères, les slogans et les caricatures. Elle est l’enjeu d’une empoignade interminable entre la fraction de la classe politique temporairement au pouvoir et les 10 ou 15 % de la population qui constituent la France militante, ne reconnaissant de légitimité qu’associative ou « spontanée ».
Dans ce mode de représentation déformant s’expriment pourtant de vraies requêtes, urgentes et contradictoires : le besoin d’ordre et de modernisation, la souffrance sociale, la peur du lendemain, le sentiment d’injustice. Sans aucune chance de transformer durablement quoi que ce soit. Alors, de ce blocage, peut-il naître une révolution ? C’est faire beaucoup d’honneur aux protagonistes de ce drame en trompe l’œil que de le croire. Tant que les personnes mobilisées ne défendent que leur intérêt (et c’est le cas de tous les mouvements actuels, malgré l’habillage rhétorique qui m’évoque la sincérité des publicités bancaires), elles ne soulèvent qu’elles-mêmes. Nulle mystique politique n’est au rendez-vous. Faux autoritaires et faux révolutionnaires peuvent faire beaucoup de dégâts. Mais les trépignements d’impatience et les colères infantiles manquent de la persévérance qui crée de vrais bouleversements.
Qu’est-ce qui peut aller dans ce sens ? Incontestablement, la crise générale de la légitimité démocratique en France. Je n’irai pas par quatre chemins : pour nombre de nos contemporains, il est clair que la contestation n’a pas à se soucier de légalité.
Il apparaît normal que les personnels ou étudiants grévistes « bloquent » une université, que des assemblées générales qui n’ont d’autre légitimité que celles qu’elles s’arrogent prennent des « décisions » qui se proclament légales, et que la liberté de travailler ne soit qu’un mot. Les leaders d’un grand parti de gouvernement peuvent refuser de condamner les séquestrations de patrons ou de cadres, le sac de bâtiments publics peut être analysé comme une simple réaction de « colère ». Nous sommes habitués à cela. On peut s’en indigner ou pas, mais nous sommes à mille lieues de l’ « esprit républicain » ou du « pacte républicain » que les discours politiques de droite et de gauche célèbrent, dans la mesure où d’un point de vue républicain français, type IIIème République, c’est la loi, votée par les représentants du suffrage universel, qui « tient ensemble » les citoyens. Le citoyen n’est pas seulement la personne engagée dans la vie publique : la « virtus » lui fait aussi préférer l’intérêt général au sien propre, et ne pas suivre seulement les lois conformes à son intérêt.
Nous n’en sommes pas seulement à mille lieues parce que de méchants subversifs nous attaqueraient, animés de mauvaises intentions ! Nous en sommes à mille lieues parce que plus personne, sous la cinquième république, ne fait la différence entre l’État, dont le chef est le leader de fait de la « majorité présidentielle », et le gouvernement. Quand les commentateurs eux-mêmes posent comme le remède à l’illégalité une action plus modérée et plus négociée du gouvernement, ils sont dans cette confusion. Une action plus modérée et plus négociée est souhaitable pour améliorer les réformes, et Dieu sait si certaines en ont besoin. La répression de l’action illégale est du domaine de la sauvegarde de l’État de droit, qui n’est pas seulement attaqué quand la puissance publique viole les libertés des citoyens. Il l’est aussi quand la puissance publique les laisse violer.
De ce point de vue, les moulinets verbaux autoritaires et la rhétorique syndicale ont le même effet : les institutions en place, les corps constitués, ne sont que des obstacles empêchant la volonté politique, pseudo-autoritaire ou pseudo-révolutionnaire, de s’exprimer. On brise ainsi toutes les médiations entre des citoyens d’opinions divergentes.
Les institutions que les autoritaires et les pseudo-révolutionnaires méprisent sont pourtant irremplaçables : elles sont le lieu où l’on peut parler calmement. La France actuelle est dominée par les cris, les indignations plus ou moins sincères, les slogans et les caricatures. Elle est l’enjeu d’une empoignade interminable entre la fraction de la classe politique temporairement au pouvoir et les 10 ou 15 % de la population qui constituent la France militante, ne reconnaissant de légitimité qu’associative ou « spontanée ».
Dans ce mode de représentation déformant s’expriment pourtant de vraies requêtes, urgentes et contradictoires : le besoin d’ordre et de modernisation, la souffrance sociale, la peur du lendemain, le sentiment d’injustice. Sans aucune chance de transformer durablement quoi que ce soit. Alors, de ce blocage, peut-il naître une révolution ? C’est faire beaucoup d’honneur aux protagonistes de ce drame en trompe l’œil que de le croire. Tant que les personnes mobilisées ne défendent que leur intérêt (et c’est le cas de tous les mouvements actuels, malgré l’habillage rhétorique qui m’évoque la sincérité des publicités bancaires), elles ne soulèvent qu’elles-mêmes. Nulle mystique politique n’est au rendez-vous. Faux autoritaires et faux révolutionnaires peuvent faire beaucoup de dégâts. Mais les trépignements d’impatience et les colères infantiles manquent de la persévérance qui crée de vrais bouleversements.
3 commentaires:
Je vous cite : "[...]que des assemblées générales qui n’ont d’autre légitimité que celles qu’elles s’arrogent prennent des « décisions » qui se proclament légales [...]"
Sans vraiment prendre parti pour les blocages, on peut cependant répondre à cela que les différentes "AG" qui sont organisées sont la manifestation d'une "démocratie révolutionnaire", vieille tradition française, ou comment la rue décide qu'elle a l'autorité parce qu'elle vote. Ces AG sont censées être ouvertes à tous et permettent de choisir en commun du blocage ou non, quand la majorité des voix se prononce contre, les blocages sont levés. Il est donc aisé de répondre aux mécontents qu'ils ont le devoir de faire valoir leur avis dans ces réunions ou de se taire s'ils ne s'y sont pas rendus, tout comme lors des scrutins légaux.
Que répondre?
La procédure est elle illégitime car "anti-démocratique" ou parce que non prévue par la loi?
C'est une vraie question. Le problème d'une AG c'est qu'elle rassemble au mieux quelques centaines de personnes qui sont censées en représenter des milliers. Les milliers non représentés n'ont pas désigné les autres, premier problème. Si on veut savoir ce que pensent les étudiants, on peut organiser éventuellement un scrutin à bulletin secret.
Le second problème c'est qu'on vote un blocage qui est illégal. Une AG rassemble les participants du mouvement, elle devrait se borner à prendre des décisions qui n'engagent que les tenants du mouvement et qui s'inscrivent dans le cadre de la loi républicaine : l'AG ne crée par un nouvel Etat dont le territoire serait la fac et qui devrait se donner une constitution. L'AG rassemble des citoyens qui sont soumis aux lois de leur pays comme les autres. le fait qu'ils choisissent d'y déroger à plusieurs ne leur donne pas la légitimité, c'est à dire le droit d'être obéi.
Le problème est toujours le même en démocratie : qui représente "le peuple" ? L'Etat de droit organise cette représentation et en limite le pouvoir : les citoyens ont des droits. Comme le dit la DDHC, nul ne peut être contraint de faire ce à quoi la loi n'oblige pas.
Il y a donc une double imposture des AG : le "nous sommes les étudiants" au lieu de "nous sommes la partie la plus motivée des étudiants" et le "nous pouvons décider le blocage et donc suspendre les lois de la République".
Mais les AG ont pour elle la force de la tradition post 1968 et de la tradition plus longue des luttes syndicales.
En tout cas, merci de votre commentaire, franc et ouvert !
Sans remonter jusqu'à la Genèse,on peut considérer que la France a traversé au cours de son Histoire des périodes de tumultes considérables: révolution de 1789,la période napoléonienne,la révolution de 1830,celle de 1848 le Second Empire,la Commune,première guerre mondiale,la seconde,les guerres coloniales,bref des évenements de caractère quasi telluriques qui devraient entrainer inévitablement des changements dans la façon d'appréhender le monde, de s'y mouvoir, de s'y comporter. Dans la foulée,au contact des réalités,cela devrait entrainer aussi la dissipation de mythes, d'illusions,ce que Vilfredo Pareto appelait "les résidus". Pourtant,Siècle aprés Siècle pourrait-on dire,subsiste en France,un fond de ce qu'il faut bien appeler nihilisme. A quoi, l'historien que vous êtes l'attribue-til? Autrement dit, quel est,pour utiliser les mots de Raymond Aron "la causalité historique" qui fait que ce pays est ingouvernable?
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