Désespérer, c’est la grande tentation, les lecteurs de Péguy le savent bien. Une tentation qui a pour elle toutes les apparences de la raison et souvent plus. Et il faut bien le dire : c’est surtout quand on est profondément démocrate, profondément libéral et profondément républicain que le spectacle de la démocratie libérale française qu’est (quoi qu’on en dise) la Vème République (j’allais écrire « finissante », mais on n’en est pas sûr) paraît désespérant. Et cela se reflète dans notre microcosme universitaire : c’est quand on aime profondément à la fois la République et l’Université que le tableau offert par le face à face entre une affligeante bureaucratie qui ne conçoit des réformes libérales que de la manière la plus dirigiste qui soit, sans même parvenir à élaborer un texte « clef en main » qui tienne debout, et d’éminents universitaires mettant parfois toute leur application à retomber en enfance, que le tableau de certaines grandes universités (j’en connais au moins une) orchestrant leur suicide, donne envie d’une petite cure d’individualisme du type « Brassens au coin du feu ».
C’est quand on pense que la dose indispensable de libéralisme réside dans la prise en compte d’une réalité économique, qui sait se rappeler durement à notre sempiternelle volonté de tricher, que l’on s’inquiète vraiment. Quand on sait que le système économique est bien auto-correcteur, mais que le prix de la correction peut être démesuré et très lourd socialement, que la réalité économique ne nous ménage pas et que si nous voulons être humains quand les mécanismes de l’échange ne le sont pas, il faut d’abord s’en donner les moyens par une gestion saine ; quand on sait tout cela, l’on s’inquiète vraiment de voir l’argent virtuel d’un système bancaire tenté ces dernières années par le charlatanisme et la prestidigitation mathématisé remplacé par de l’argent public tout aussi virtuel, puisqu’il est emprunté.
Pour remédier à tout cela, je pratique une forme d’optimisme très particulière : j’essaie de me placer dans le temps long. Non pas le long terme de Keynes, celui auquel « nous sommes tous morts », non pas un avenir indéfini, mais le temps long de ce qui dure. Le temps long des petits cailloux que l’on pousse, et qui finissent par faire une digue. Le temps où les rappels « à temps et à contretemps » de quelques vérités élémentaires, de quelques principes simples, finissent par être entendus, pour un temps, entre deux tourbillons d’illusions plus ou moins désintéressées. Je commentais ce matin avec mes étudiants, dans un amphi d’emprunt pour tourner le blocage sorbonnard infligé par nos propres autorités de tutelle, celles qui devraient veiller à ce que nous puissions travailler en paix, le discours de Montalembert au congrès de Malines. Ce catholique libéral y incitait son Église à accepter la liberté de conscience (qu’il ne distinguait pas de la « liberté religieuse »). Il lançait cet appel en 1863, avant de voir fondre sur lui en 1864 le Syllabus et en 1870 l’infaillibilité pontificale, qui le désespéra. Force est de constater que le catholicisme a fini par y venir. Montalembert n’avait pas attendu le succès pour croire ce qu’il croyait. Je pense aussi à l’inquiétude de ceux qui, dans les années 1980, comme Jean-François Revel (Comment les démocraties finissent, 1983), insistaient la vulnérabilité des démocraties libérales, alors même qu’en 1989, le mur de Berlin allait chuter. Ils avaient peut-être tort de mésestimer non pas tant la force intrinsèque de la vérité que la vulnérabilité, la difficulté à durer de ce qui repose sur le mensonge. Je crois qu’il est important de travailler à essayer de comprendre lucidement la situation présente, aussi douloureuse que cette compréhension puisse être, pour y démêler ce qui peut durer et ce qui doit changer. N’écoutons pas ceux qui nous appellent à être les architectes d’utopies qui ne servent qu’à refuser la réalité et s’en laver les mains à l’avance, qui ne servent qu’à nous délivrer illusoirement du fardeau du présent. Gardons nos puissances d’affection à ce qui mérite de durer, et ne nous lassons pas de proposer de changer le reste. Je sais bien ce qui est terrifiant, quand on n’est pas un révolutionnaire en chambre : le peu de temps qu’il faut pour désorganiser ce qui marche, et l’immense énergie nécessaire pour faire tourner et tant soit peu améliorer les choses.
C’est quand on pense que la dose indispensable de libéralisme réside dans la prise en compte d’une réalité économique, qui sait se rappeler durement à notre sempiternelle volonté de tricher, que l’on s’inquiète vraiment. Quand on sait que le système économique est bien auto-correcteur, mais que le prix de la correction peut être démesuré et très lourd socialement, que la réalité économique ne nous ménage pas et que si nous voulons être humains quand les mécanismes de l’échange ne le sont pas, il faut d’abord s’en donner les moyens par une gestion saine ; quand on sait tout cela, l’on s’inquiète vraiment de voir l’argent virtuel d’un système bancaire tenté ces dernières années par le charlatanisme et la prestidigitation mathématisé remplacé par de l’argent public tout aussi virtuel, puisqu’il est emprunté.
Pour remédier à tout cela, je pratique une forme d’optimisme très particulière : j’essaie de me placer dans le temps long. Non pas le long terme de Keynes, celui auquel « nous sommes tous morts », non pas un avenir indéfini, mais le temps long de ce qui dure. Le temps long des petits cailloux que l’on pousse, et qui finissent par faire une digue. Le temps où les rappels « à temps et à contretemps » de quelques vérités élémentaires, de quelques principes simples, finissent par être entendus, pour un temps, entre deux tourbillons d’illusions plus ou moins désintéressées. Je commentais ce matin avec mes étudiants, dans un amphi d’emprunt pour tourner le blocage sorbonnard infligé par nos propres autorités de tutelle, celles qui devraient veiller à ce que nous puissions travailler en paix, le discours de Montalembert au congrès de Malines. Ce catholique libéral y incitait son Église à accepter la liberté de conscience (qu’il ne distinguait pas de la « liberté religieuse »). Il lançait cet appel en 1863, avant de voir fondre sur lui en 1864 le Syllabus et en 1870 l’infaillibilité pontificale, qui le désespéra. Force est de constater que le catholicisme a fini par y venir. Montalembert n’avait pas attendu le succès pour croire ce qu’il croyait. Je pense aussi à l’inquiétude de ceux qui, dans les années 1980, comme Jean-François Revel (Comment les démocraties finissent, 1983), insistaient la vulnérabilité des démocraties libérales, alors même qu’en 1989, le mur de Berlin allait chuter. Ils avaient peut-être tort de mésestimer non pas tant la force intrinsèque de la vérité que la vulnérabilité, la difficulté à durer de ce qui repose sur le mensonge. Je crois qu’il est important de travailler à essayer de comprendre lucidement la situation présente, aussi douloureuse que cette compréhension puisse être, pour y démêler ce qui peut durer et ce qui doit changer. N’écoutons pas ceux qui nous appellent à être les architectes d’utopies qui ne servent qu’à refuser la réalité et s’en laver les mains à l’avance, qui ne servent qu’à nous délivrer illusoirement du fardeau du présent. Gardons nos puissances d’affection à ce qui mérite de durer, et ne nous lassons pas de proposer de changer le reste. Je sais bien ce qui est terrifiant, quand on n’est pas un révolutionnaire en chambre : le peu de temps qu’il faut pour désorganiser ce qui marche, et l’immense énergie nécessaire pour faire tourner et tant soit peu améliorer les choses.
3 commentaires:
Je vous lis avec attention et je ne comprends toujours pas votre opinion concernant les opposant à la loi LRU. Cela m’ennuie d’autant plus que je partage partiellement votre position, mais par défaut.
Vous êtes visiblement contre la loi, insatisfaisante (et illisible mais c'est une autre histoire) mais aussi vous avez le plus profond mépris pour ceux qui s'y opposent (je n'ai pas besoin de vous citer vous avez vos propos en tête j'imagine). Je reconnais que la solution des blocages n'est pas bonne, et j'ai eu la chance de pouvoir faire tous mes cours dans un UFR qui n'a pas été affecté par le mouvement. J'aurais été affligée de ne pouvoir assurer normalement mon service, non pas que je me serais ennuyée car il y a tant d'autres choses à faire mais parce que j'aurai ressenti un grand malaise à être rémunérée par mon université pour des cours que je ne donne pas. Cela ne s'est pas produit, tant mieux!
Mais dans le même temps, comme la plupart de mes collègues, toute tendance politique confondue, je désapprouve le texte de la loi LRU. Et je ne saurais condamner ceux qui la contestent par la force (modérée tout de même, ce ne sont pas des Hooligans), non que la manière me semble acceptable, mais la fin justifie les moyens. Je ne saurais pas non plus me joindre à eux car cela contredirait mes principes. Mais j'ai au moins le bon gout de respecter la mobilisation des grévistes.
Après tout, si le rapport de force avait tourné en leur faveur nous leur aurions été reconnaissant de l'effort. Car à critiquer la loi et s'affliger des effets dramatiques qu'elle risque d'avoir mais dans le même temps ne pas s'engager, cela revient à voir sa maison brûler sans essayer d'éteindre les flemmes.
Que faire? Laisser un texte qu'on désapprouve passer au nom de la "tyrannie de la majorité".
Plus largement est-ce qu'un gouvernement élu est compétant dans tous les domaine du simple fait de sa légitimité démocratique? Et si non quel contre-pouvoir y opposer? (Tocqueville a t il apporté une réponse qui puisse nous satisfaire dans le cas présent? j'en doute)
Et pour élargir encore, une "démocratie participative" serait-ce un État dans lequel avant de faire un loi sur l'Université le gouvernement consulte très largement le corps universitaire et tient compte de son avis? ou encore avant de faire une loi sur l'hôpital on entende les médecins du service publique attachés à leur fonction et qui ont a cœur de l'améliorer? N'est ce pas tout simplement ce qu'on fait les gouvernements précédents, de droite ou de gauche, avant de mener des réforme de fond : prendre en compte la réalité de terrain et ne pas se baser sur des clichés tel que l'universitaire-fainéant? Problème conjoncturel donc ou absence gênante de contres-pouvoirs?
Évidemment je ne vous demande pas de répondre à toutes ce patchwork de questions, disons que je m'interroge tout haut et si au passage vous avez un avis sur un certains points je serai intéressée d'avoir votre analyse.
Chère "Ju"
C'est un plaisir d'être critiqué de cette manière là, fine et inflexible. Mon prochain post sera donc non pas tant une réponse qu'une tentative de mieux rendre compte de ma position, à partir de ce que vous dites. Pour l'instant, ce qui est curieux c'est que vous identifiez l'ensemble du mouvement aux opposants à la loi LRU, qui ne sont qu'une partie (la plus radicale) du mouvement. Mais n'anticipons pas... je dois vous lire plus attentivement pour poursuivre le dialogue... En tout cas, d'ores et déjà merci.
Oui pardon, une erreur d'inattention, je venais de lire un tract étudiant qui évoquait la loi LRU, d'où la confusion.
Pour plus de précision, la loi LRU est celle sur laquelle il y a eu je crois le plus de critiques de la part des étudiants. Les enseignants-chercheurs ont surtout visé la réforme de leur statut (évidemment!) et les modalités de recrutement des enseignants du secondaire (capes-agreg). C'est sur ces deux points, et surtout sur le discours méprisant qui ont accompagné l'annonce de la réforme, que le front de contestation a été assez large chez les enseignants, et c'est sur ces points de réforme que je voulais revenir.
Concernant la loi LRU, les avis sont partagés mais elle a moins d'implication dans le quotidien et a donc moins mobilisé l'an dernier. Comme vous ne l'ignorez pas notre Président était contre au moment de sa prise de fonction, il semble toutefois qu'il soit prêt à s'en accommoder sans trop de difficulté. Sur ce point je crois qu'il faudra voir à terme pour juger (mais "à long terme nous serons tous morts" n'est-ce pas!).
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