Nous avons pris l’habitude en France d’opposer à tout bout de champ les « réformateurs » aux « conservateurs ». Cette grille en apparence logique a deux défauts majeurs. Le premier est de faire croire qu’être conservateur est être partisan du statu quo. Hors, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, des partis considérés comme « conservateurs », et qui se désignent parfois ainsi eux-mêmes (les conservateurs anglais, la CDU allemande, les Républicains américains) ont procédé à des nombre de réformes. Qui peut considérer Margaret Thatcher, Ronald Reagan, Helmut Kohl ou Angel Merckel comme des partisans du statu quo ?
Chez nous, les forces conservatrices ont été marginalisées, et se sont assez souvent marginalisées elles-mêmes en refusant le tournant libéral et démocratique : les « royalistes » avec leur frange ultra, devenus « légitimistes » après 1830, les monarchistes des années 1870, malgré quelques tentatives de les remettre dans le jeu, pour élaborer un conservatisme à l’anglaise : ce fut le rêve de Chateaubriand en son temps, ce fut aussi celui du pape Léon XIII quand il lança en 1890-1892 la politique de « Ralliement » des catholiques français à la République. Il n’y a donc eu personne pour tenter d’allier fidélité aux forces traditionnelles et intégration dans le jeu démocratique, du moins explicitement…
Opposer des « réformistes » aux « conservateurs » alors que personne ne se dit en France « conservateur » et que tous les candidats aux présidentielles et tous les partis sont obligés, en démocratie, de proposer des réformes, ne nous aident pas tellement à penser le débat contemporain : les 35 heures, en 1997, étaient une réforme, leur neutralisation actuelle en est une autre. Nous avons donc besoin, pour penser la politique contemporaine, d’une typologie des réformes. J’en propose une, schématique.
Je repars pour cela du débat entre Edmund Burke et Thomas Paine, deux grands penseurs britanniques, au moment de la Révolution française. Burke était critique de la Révolution, et Paine en était chaudement partisan, alors que tous deux étaient des libéraux. Burke critiquait les droits de l’homme, la nouvelle constitution française et leur prétention à refonder, à partir de principes abstraits et absolus, l’ordre politique. Il pensait que les « améliorations » ne pouvaient être apportées à l’ordre politique que de manière très progressive, en respectant la tradition nationale et la nature des choses. Paine au contraire pensait que Burke promouvait la « démocratie des morts » en étouffant les vivants sous le poids de la tradition. Suivre les principes nouveaux était un acte libérateur, il fallait s’affranchir de la pesanteur des héritages…
Nous pouvons tirer de là deux conceptions de la réforme, un conception « radicale » et une conception « conservatrice ». La conception radicale pose d’abord les principes, et considère que la réalité doit s’y adapter. On peut prendre deux exemples, l’un malheureux, l’autre heureux : les 35 heures déjà citées, et la loi sur la parité. Une réforme radicale peut débloquer une situation (comme dans toutes les formes de l’affirmative action, et dans le cas de la parité qui contribue à promouvoir la place des femmes en politique) et parfois peut ne pas atteindre ses objectifs, voire nuire, parce qu’elle méprise la réalité (comme dans le cas des 35 heures).
La conception conservatrice de la réforme considère qu’il faut adapter les lois à la réalité sociale, économique, nationale, internationale, et aux contraintes que cette réalité impose. Si le terme de « conservatrice » gêne – et c’est pour longtemps le cas en France », on peut appeler ce type de réforme des réformes d’adaptation. Les réformes du marché du travail, comme une éventuelle réforme de l’hôpital, peuvent entrer dans cette catégorie. On pourrait également risquer l’expression de réforme pragmatique.
Burke était un avocat de la prudence politique, de ce qu’on appellerait le réalisme, et n’envisageait pas le nouveau monde démocratique qui s’annonçait. Par contre, il a prévu la Terreur dès les débuts de la Révolution française. Paine était un avocat d’une politique reposant sur des principes absolus, démocratiques, affirmés sans concessions : il entrevit nos démocraties modernes, mais fit un passage dans les geôles de Robespierre qui dut réjouir son adversaire. Tous les camps pratiquent un dosage de radicalisme et de conservatisme : Burke n’aurait sûrement pas approuvé l’intervention américaine en 2003, et le plan de démocratisation du Moyen-Orient (les « dominos démocratiques ») porte la marque de l’optimisme painien…
Ajoutons enfin, pour finir une réforme optimiste, que certaines réformes peuvent être justifiables sur le plan des principes universels comme sur celui du réalisme pragmatique : ainsi, la proclamation en 1882 de l’obligation scolaire par Jules Ferry…
mercredi 16 juillet 2008
Réforme, réformes
Mots-Clés :
¨Paine,
Burke,
conservatisme,
jérôme grondeux,
jules ferry,
radicalisme,
réforme
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2 commentaires:
joli texte, cher Jéjé : peut-on conclure que Paine aurait une conception "idéologique" de la réforme qui s'apparente à la notion de "progrès", là où Burke défend le principe d'un système qui s'adapte à son temps et qu'il faut savoir amender (grosso modo, l'opposition entre le constitutionnalisme à la française, et le constitutionnalisme à l'américaine) ?
Et Maupassant disait : "Les conservateurs sont en réalité ceux qui ne veulent rien changer. Sauf ce qui ne va pas."
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