Discussion dans la nuit rémoise, en marchant avec un ami.
Expert en politique extérieure, éminent observateur et analyste de la politique
intérieure française, riche d’une expérience diplomatique, j’ai la surprise de
voir qu’il partage mon inquiétude, et qu’il lui donne de nouveaux aliments. La
conversation sinue entre le passé et l’avenir, entre la chute du communisme,
les ratés de la politique française face à la réunification de l’Allemagne (que
tant de bons esprits essaient aujourd’hui de camoufler habilement), et
l’actuelle politique européenne de François Hollande.
La nuit serait douce si un petit vent coupant ne rappelait
qu’on entre dans l’automne. La vie française de ces années est peut-être ainsi.
J’essaie depuis longtemps de me garder du pessimisme à long
terme, qui me semble une attitude de défiance a priori par rapport à mon
pays ; pendant l’été, j’ai attendu
de voir se dessiner les contours de la nouvelle politique du pays en Europe.
Dans cette attente, une impression s’est formée, pas très agréable, mais très
persistante. Je voudrais savoir si mon compagnon de promenade, esprit incisif,
la partage.
Il me semble que l’expression pompeuse de
« réorientation de la politique européenne » masque un abandon du
leadership partiel de la France en Europe.
« Leadership partiel »… Le tandem franco-allemand
a structuré la construction européenne jusqu’à la chute du mur de Berlin.
Certes, Georges Pompidou avait voulu se donner une possibilité de sortir du
tête à tête exclusif avec la République Fédérale Allemande en acceptant enfin,
rompant avec le veto du Général, l’entrée du Royaume-Uni dans l’Europe. Il n’en
reste pas moins que les progrès de la construction européenne ont dû beaucoup
aux tandems Helmut Schmidt / Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Kohl / François
Mitterrand.
Même après la réunification, le tandem s’était ressoudé,
autour du troc historique de l’abandon du mark contre la perspective d’une
union européenne rigoureuse. Nicolas Sarkozy a su nouer également, malgré des
débuts un peu difficile, une relation de confiance (pour autant que le mot ait
un sens en politique) avec Angela Merkel, après, semble-t-il, avoir connu
quelques tentations d’alliances de revers avec l’Europe latine.
Il y avait peu de franche démagogie dans la campagne de
François Hollande, qui a visiblement cherché à limiter les dégâts.
Malheureusement, cette démagogie portait sur le point central de l’Europe. Dans
la nuit rémoise, la conversation nous emmène en un autre point, il a quelques
mois, au Maroc, à Rabat. Un remarquable historien du socialisme, proche de
François Hollande, avait bien voulu répondre à ma question sur ce point. En
gros, il m’avait dit : nous savons que nous ne pourrons pas renégocier le
traité. Nous le ratifierons, mais nous obtiendrons en échange quelques mesures
sur la croissance. Nous étions quelques semaines avant l’élection…
Il m’apparaissait alors évident que la manœuvre, avec ce
qu’elle supposait de duplicité électorale, serait difficile à « faire
passer » auprès de l’électorat de gauche, très divisé, comme on sait, sur
la question européenne. Je sous-estimais
par contre grandement la dégradation pourtant prévisible des rapports
franco-allemands qui s’ensuivrait.
On a voulu nous rassurer par la compétence linguistique d’un
premier ministre germanophone. Faible argument, d’autant plus que ce dernier
est déjà marginalisé. Et argument qui en dit long sur la vision des relations
internationales, et des Allemands, qui le sous-tend.
Nous continuons à marcher sous les arbres, dont l’alignement
évoque une cour de récréation. Cette image continue bien à m’obséder :
j’ai l’impression que dans l’Union Européenne, en ce moment, les Français se
sont transformés en chef de file des élèves en difficulté et des élèves
turbulents. En porte-parole des élèves en difficulté et des élèves turbulents.
Au mieux, ils parviendront peut-être à être élus délégués de classe. Mais ils
ne seront pas « tête de classe », encore moins professeurs. Ils
peuvent défendre les intérêts des uns ou des autres, mais l’initiative,
l’élaboration de la ligne leur échappe. Ils s’expriment, ils peuvent
contrebalancer : ils ne pèsent plus.
L’illusion d’un bras-de-fer avec l’Allemagne masque cet
abaissement. Nombre de ceux qui sont inquiets du statut de la France sont
distraits par le souverainisme. Les souverainistes rejouent, en 2012, la carte
de 2005 : ils estiment que du rejet du traité de souveraineté, ou de
l’effondrement de l’euro, la France sortirait à terme libre et agrandie.
Amoureux de la grandeur française, amoureux de la
souveraineté nationale française, ils ne saisissent pas que cette grandeur et
cette souveraineté se jouent en partie à
l’intérieur de la construction européenne ; que dans un organisme en
perpétuelle évolution, c’est en se plaçant en tête, non en queue, que l’on peut
orienter les autres. Fondamentalistes conséquents de la souveraineté
nationale, c’est finalement en elle, dans une sorte d’ultra-démocratisme
patriote, qu’ils placent toutes les solutions. Sincères, logiques, ils se
condamnent, me semblent-ils, à l’impuissance.
Le vent balaie plus fortement la ville, la nuit est un peu
plus noire. Malgré le vent, la douceur refuse décidément de disparaître. Une
impression fugace de ce que nous vivons. Entre les renoncements des uns et la
myopie des autres, la France recule en Europe. Mais elle est là. J’aimerais que
ces impressions nocturnes prennent un jour la figure d’un simple mouvement de
doute.
4 commentaires:
Peut-être serait-il temps d'accepter que la France est un pays comme un autre et n'a plus de légitimité qu'un autre à exercer un quelconque leadership. Le monde est à tout le monde...
Et en étant moins arrogant, nous perdrons peut être un peu d'influence mais serons à long terme plus respectés.
@ Nil : je crois qu'il faut prendre la juste mesure de ce que nous sommes et de ce que nous représentons, dans plusieurs régions du monde l'influence française reste forte. Le tandem franco-allemand a été jusqu'à très récemment une réalité, et la taille du pays en Europe reste aussi quelque chose d'important.
Je ne crois pas qu'il faille baisser les ambitions, personne ne nous en sera reconnaissant. Et si l'arrogance doit être évitée, c'est justement, à mon sens, parce qu'elle précède des abaissements.
Le plus grave dans la pensée actuelle du gouvernement, avec ou sans un 1er ministre germanophone, est l'absence de vision à long terme, ou du moins le manque de courage politique pour dire ce que souhaite la gauche gouvernementale pour l'Europe.
N'en déplaise au Front de Gauche et au Parti Communique, leur gauche ne sera jamais majoritaire au Parlement Européen. Aussi, il ne reste que le système actuel, avec la Commission et les représentants des Gouvernements qui n'a rien de très démocratique.
Et dans ces conditions, avec Mr. Mélenchon, nous quittons l'Euro et l'Europe, vieux rêve communiste.
Autrement, il y a l'option de défendre nos idées de l'intérieure de l'Europe. Plaçons-nous en tête comme vous le préconisez. Que le gouvernement trace une voix, indique sa vision et nous serons déjà à contre-courant des habitudes de nos politiques. La Construction Européenne mérite plus que ces jérémiades de droite ou de gauche, elle devrait être ce Nouveau Territoire de l'Ancien Monde.
@bs : je suis d'accord avec votre diagnostic. La difficulté pour se faire entendre en ce sens est 1) la construction du projet 2) le souci lucide du positionnement de la France.
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